mercredi 20 janvier 2016

Le désir - corrigé d'une dissertation : Y a-t-il un plaisir à désirer ?

Cupidon avec son arc et ses flèches est une allégorie traditionnelle du désir. L’amoureux est blessé, il souffre et pourtant qui voudrait, surtout jeune, ne pas connaître l’amour ? Y a-t-il donc un plaisir à désirer ?
Il y a apparemment une contradiction dans l’idée d’un plaisir à désirer puisque le désir est plutôt souffrance et le plaisir ce qui la fait cesser. Un plaisir à désirer semble donc une contradiction dans les termes.
Et pourtant, nous désirons désirer comme si l’état même du désir comportait un certain plaisir. Augustin ne dit-il pas dans les Confessions (~398) qu’il aimait à aimer (III, 1) ?
Dès lors on peut se demander si cela a un sens et lequel d’admettre qu’il y a un plaisir à désirer.
Le plaisir à désirer est-il dans l’imagination ? Le désir est-il seulement souffrance ? Le désir n’implique-t-il pas un plaisir corrélatif de son être même ?


L’idée d’un plaisir à désirer est paradoxale mais le paradoxe se dissipe si on prend en compte le fait que le désir, tout en étant le manque d’un objet qui est, voire qui nous paraît essentiel, peut se réaliser sur deux plans différents. D’une part, sur le plan du réel et c’est le plaisir au sens ordinaire. Ainsi a-t-on du plaisir après avoir mangé. D’autre part, sur le plan de l’imagination. On éprouve en effet du plaisir à se représenter le désir satisfait. La Fontaine (1621-1695) l’illustre dans sa fable « La laitière et le pot au lait » (Fables, VII, 9, 1668). Perette qui part au marché vendre son lait qu’elle a dans un pot sur sa tête, imagine tout ce qu’elle va faire avec. Elle va même jusqu’à penser au passé comme si elle possédait déjà le cochon qu’elle pense pouvoir acheter avec ses bénéfices. Finalement, en sautant, elle fait tomber son pot au lait. Dans sa morale, La Fontaine insiste sur le fait que tous, « Autant les sages que les fous ? » nous aimons imaginer ainsi ce qui est conforme à nos désirs. Mais ce plaisir imaginaire n’est-il pas inférieur au plaisir réel ?
On peut tout au contraire, avec Rousseau, considérer que c’est le plaisir réel qui est toujours inférieur au plaisir imaginaire. C’est ce qui fait qu’il fait s’exclamer ainsi un de ses personnages [C’est Julie devenue Madame de Wolmar qui s’adresse à Saint-Preux] dans son roman épistolaire, Julie ou la nouvelle Héloïse : « Malheur à qui n’a plus rien à désirer ! » (Sixième partie, lettre VIII). En effet, l’argument est que l’homme, étant fini, ne peut, à la différence de l’Être infini, satisfaire réellement ses désirs. Par contre, grâce à l’imagination, il peut embellir l’objet autant qu’il le veut. Ainsi, l’imagination peut plus que la seule réalité qui est finie pour nous. Rousseau peut donc parler d’un « plaisir de désirer ». Comment rendre compte alors de la souffrance qui accompagne aussi le désir ?
C’est que le désir n’est pas seulement relation à un objet, il est aussi relation à un autre sujet. Comme René Girard (1923-2015) l’a soutenu dans Mensonge romantique et vérité romanesque (1961), nous désirons ce que les autres désirent. C’est le désir des autres – réciproquement parfois – qui fixe l’objet de nos désirs. Aussi, lorsque nous ne désirons que seul, notre imagination peut se laisser aller à embellir le désir. Mais lorsque nous nous tournons vers autrui, alors nous souffrons de ne pas avoir ce que les autres désirent. Ainsi, dans Le Rouge et le Noir (1830) de Stendhal (1783-1842), monsieur de Reynal veut prendre Julien Sorel pour précepteur de ses enfants parce que Valenod qui a de beaux chevaux n’a pas de précepteur. Il suffit que sa femme évoque la possibilité que Valenod le prenne pour que son projet lui paraisse approuvé. C’est donc bien le caractère mimétique de désir qui se montre là. Et s’il y a aussi une satisfaction, elle est tout entière dans l’idée de réaliser ce que l’autre ne peut réaliser.

Cependant, ne pas réaliser son désir, quoi qu’on imagine par ailleurs, c’est nécessairement être frustré et donc souffrir. Qui a faim ne se réjouit pas d’imaginer ce qu’il peut manger. Au contraire, cela l’affligera. Dès lors, le désir n’est-il pas essentiellement souffrance de sorte que le plaisir à désirer ne serait qu’une sorte d’illusion ?


En tant qu’il est manque, le désir fait nécessairement souffrir. C’est pourquoi le plaisir le fait disparaître. Le plaisir lui-même est donc comme Épicure, selon la Lettre à Ménécée, l’a bien vu, l’absence de douleur pour le corps comme l’absence de trouble pour l’âme. En effet, lorsque nous désirons, nous éprouvons la souffrance de ne pas avoir quelque chose. C’est le cas dans la faim ou la soif. Mais c’est le cas aussi pour des désirs moins élémentaires comme ceux du voyage ou de la mode. Ainsi, un plaisir à désirer est strictement impossible puisqu’il impliquerait à la fois la souffrance du désir et le plaisir de la disparition du désir. Tout au plus est-on satisfait à l’idée qu’on sera satisfait et non par le désir lui-même. Mais n’y a-t-il pas certains désirs qui sont en quelque sorte toujours présents et qui ne peuvent disparaître ? N’y a-t-il pas un plaisir à désirer pour ces désirs-là ?
On peut en effet avec Épicure distinguer entre les désirs naturels et les désirs vains. Les premiers comprennent les désirs naturels et nécessaires, que ce soit pour vivre ou pour être heureux, et les désirs seulement naturels, c’est-à-dire qui appartiennent à tous les hommes sans reposer sur des représentations mais dont l’absence de satisfaction n’est pas négative pour l’individu. Les seconds sont tous les désirs qui n’ont pas de limites ou qui impliquent une variation. Dès lors, aucun plaisir ne peut permettre qu’ils disparaissent ne serait-ce que momentanément. On peut prendre comme exemple le désir de Dom Juan, le personnage éponyme de la pièce (1665) de Molière (1622-1673). En effet, il veut conquérir toutes les femmes et dans la scène 2 de l’acte I, il explique à son valet Sganarelle que c’est parce que « Tout le plaisir est dans le changement. » Dès lors, le plaisir n’est-il pas dans le désir comme Dom Juan l’exprime ? Or, qui recherche ce type de désir ne peut être véritablement heureux au sens d’obtenir du plaisir puisqu’il est nécessairement dans une anticipation qui fait que son plaisir actuel est recouvert par le désir de la suite. C’est au contraire la souffrance perpétuelle au moins sous la forme du trouble de l’âme dont parle Épicure qui gagne celui qui ne peut jamais s’arrêter de désirer et qui par conséquent souffre toujours. Faut-il alors penser que la vie peut être sans désir pour qu’il y ait plaisir ?
Dans le Gorgias, Socrate compare deux types de vie avec l’image de récipients qu’on remplit de différentes denrées précieuses comme le lait, le miel et le vin. Il y a ainsi un récipient solide de sorte que celui qui l’a rempli en a fini. Autrement dit, il peut vaquer à ses occupations sans souffrir du plaisir. Et il y a un récipient percé de sorte que celui qui le possède doit constamment remplir ses récipients. Pour lui le désir ne s’achève jamais, il est en quelque sorte toujours renaissant. La première vie Socrate l’appelle réglée, la seconde déréglée. Or, selon lui, la seconde est éprouvante. Autrement dit, le plaisir n’est possible que lorsque le désir est satisfait. Un plaisir à désirer est donc strictement impossible.

Néanmoins, on doit pouvoir distinguer le désir du besoin. Si ce dernier comble un manque, le premier a quelque chose de positif. Dès lors, cette positivité paraît de nature à rendre possible un plaisir à désirer. Mais comment est-il possible s’il n’est pas dans l’imagination ?


Désirer, ce n’est pas seulement manquer. Comme Platon le montre à travers le discours de Diotime dans le Banquet, le désir comme l’amour est double. Fils de Pauvreté et d’Expédient selon sa généalogie mythique, il est tout autant manque que ressource ou puissance d’agir. Si par le premier caractère, il n’est pas ce qu’il recherche, par le second il peut se mettre en quête de ce qu’il recherche. Ce caractère double du désir permet de penser qu’il y a un plaisir à désirer du côté justement où le désir est un mouvement positif. En effet, dans l’activité se manifeste un plaisir, non pas de voir achevé le désir, mais qui se trouve dans l’activité elle-même. C’est en ce sens qu’Alain, dans les Propos sur le bonheur (1925, XCVII Aristote), explique que le plaisir accompagne l’activité. Ainsi en va-t-il du latiniste ou du musicien qui prend du plaisir l’un à traduire, l’autre à exercer son art. Mais ne peut-on pas faire un pas de plus et ne voir le désir que comme quelque chose de positif ?
C’est qu’en effet, on peut considérer avec Spinoza dans l’Éthique (posthume 1677) que le désir est l’effort (conatus) pour persévérer dans son être (scolie de la proposition 9 de la troisième partie de l’Éthique). Autrement dit, il est d’abord positif. Il est ce par quoi nous sommes conduits à chercher certains biens non parce qu’ils sont des biens mais parce que nous les désirons. L’homme est alors désir en tant qu’il a conscience de cet effort que Spinoza nomme de façon générale « appétit » lorsqu’il est question de l’être tout entier mais qui prend le nom de volonté lorsqu’il s’agit simplement de l’âme ou de l’esprit seul. Aussi le plaisir accompagne-t-il la réalisation du désir. Il n’est nul besoin d’évoquer le manque. Si le plaisir cesse, c’est parce que le désir s’émousse ou parce que les biens obtenus dépassent la mesure. Ainsi, lorsque nous mangeons par exemple, le plaisir accompagne la réalisation du désir. On peut penser au festin qu’organise Gervaise au chapitre 7 dans L’Assommoir (1877) d’Émile Zola (1840-1902). Si l’idée de manger une oie fait plaisir ce n’est pas seulement parce que l’imagination embellit la réalité, c’est bien plutôt parce que le désir lui-même rend désirable l’objet même. Et le repas lui-même où tout le monde mange plus que de raison montre que c’est bien le désir qui fait que son objet est désiré et non l’inverse. Comment rendre compte donc de la souffrance qui parfois nous anime ?
C’est que d’une part le désir peut être lié à des idées adéquates ou inadéquates. Dans ce dernier cas, il peut donc conduire le sujet à souffrir de l’objet même du désir. Trop manger, trop boire, c’est tout simplement dépasser la mesure de ce qui permet au corps de se conserver. D’autre part, le désir peut ne pas être satisfait, ce qui crée alors le besoin, c’est-à-dire le manque. C’est en ce sens que Deleuze (1925-1995) et Guattari (1930-1992) ont pu écrire dans L’Anti-Œdipe (1972) que « le désir (…) a peu de besoins ». C’est bien parce qu’il est fini que l’homme ne peut pas ne pas avoir aussi des besoins, voire dans certaines conditions extrêmes être réduit aux besoins. Et c’est le besoin qui attire d’abord l’esprit qui croit alors être dans un état de manque. C’est pour cela que hors du besoin, le plaisir à désirer n’est rien d’autre que le plaisir silencieux qui accompagne la vie dans son déploiement normal.


Disons en guise de conclusion que le problème était de savoir s’il y avait un sens et lequel à admettre l’existence d’un plaisir à désirer. On a vu qu’on pouvait le concevoir comme appartenant à l’imagination qui embellit le plaisir. Mais elle est bien plutôt ce qui masque plutôt la souffrance. Aussi, c’est parce que le désir est essentiellement positif, qu’il est dans l’effort (conatus) pour persévérer dans son être que le plaisir l’accompagne nécessairement.


jeudi 14 janvier 2016

Descartes, Les passions de l'âme, analyse de l'article 14.

Texte.
Art. 14. Que la diversité qui est entre les esprits peut aussi diversifier leur cours.
L’autre cause qui sert à conduire diversement les esprits animaux dans les muscles est l’inégale agitation de ces esprits et la diversité de leurs parties. Car lorsque quelques-unes de leurs parties sont plus grosses et plus agitées que les autres, elles passent plus avant en ligne droite dans les cavités et dans les pores du cerveau, et par ce moyen sont conduites en d’autres muscles qu’elles ne le seraient si elles avaient moins de force. (340)
Descartes, Les passions de l’âme, première partie (1649).

Analyse.
La diversité des esprits, analysée en terme d’agitation et de diversité des parties explique est une autre cause de la diversité des actions sur les muscles et donc sur les mouvements du corps. Elle concourt à la cause extérieure de sorte qu’on peut la considérer comme une cause interne. Pour le justifier, Descartes conçoit des esprits animaux dont les parties sont à la fois plus grosses et plus agitées. S’il présente une différence quantitative en apparence, elle ne donne lieu à aucune mesure ou même idée d’une mesure possible. Leur mouvement alors est celui de la ligne droite et Descartes pose qu’une différence de force les conduirait en d’autres muscles ou en d’autres pores du cerveau. On peut comprendre qu’il s’agit alors d’aller plus ou moins loin, mais il faut avouer que le propos de Descartes manque pour le moins de clarté.
S’il faut convenir qu’il s’agit là d’une explication mécanique, sa portée “biologique” est pour le moins obscure. Car, le mouvement des muscles pour un vivant n’est pas un simple effet. Et la connexion entre le mouvement dans les pores du cerveau et celui vers les muscles n’est pas expliqué. On peut remarquer aussi qu’aucun exemple ne vient illustrer le propos pour lui donner une chair. Enfin, le mécanisme implique lorsqu’il s’agit du vivant qu’une fonction soit ainsi expliquée, ce qu’on ne voit pas. La grosseur des parties d’une montre ne suffit pas pour rendre compte de l’effet qu’elle produit et même pas d’ailleurs des mouvements élémentaires qui s’opèrent.


dimanche 10 janvier 2016

Hume, Enquête sur l'entendement humain - plan analytique, Section V Solution sceptique de ses doutes, Première partie

Hume, Enquête sur l’entendement humain, traduction par André Leroy, présentation par Michelle Beyssade, GF n°1305.

Plan analytique

Section V Solution sceptique de ses doutes.
Première partie.
Après avoir comparé la passion philosophique à la passion religieuse qui risque d’entraîner l’homme à aller dans le sens où le pousse son inclination naturelle et après avoir exposé quelques exemples de philosophies qui le manifestent, Hume présente la philosophie académique et sceptique (qu’il identifie) comme n’ayant pas cet inconvénient. Au contraire, c’est la seule qui parce qu’elle prône le doute, n’est que pure passion de la vérité. Il s’étonne qu’elle soit condamnée. Il propose comme hypothèse que c’est parce qu’elle ne flatte aucune passion qu’elle passe immorale (p.103-104).
Hume prévient que les conséquences négatives de l’enquête ne peuvent avoir aucune influence sur la vie. Le principe de la nature humaine qui fait faire un pas dans le raisonnement expérimental mérite simplement d’être découvert (p.104-105).
Hume suppose un homme qui arriverait avec toutes ses capacités cognitives mais sans expérience. Méconnaissant les pouvoirs cachés des choses, Hume en en déduit son incapacité à faire la moindre hypothèse sur la causalité. Il en serait réduit à la perception et à la mémoire (p.105).
Le même homme ayant acquis de l’expérience, inférerait les effets des causes sans mieux connaître les pouvoirs cachés des choses et sans un raisonnement spécifique. Hume en déduit qu’un autre principe explique qu’il raisonne ainsi sur les faits (p.105).
Ce principe est l’accoutumance selon Hume. Ce n’est pas nécessairement le principe dernier mais il suffit à rendre compte du fait que l’homme, lorsqu’il infère des faits, tire une conclusion après de nombreux cas alors qu’il ne le fait pas à partir d’un seul à la différence des raisonnements mathématiques (p.105-106).
Note de Hume (p.106-108).
Hume rapporte d’abord la distinction entre raison et expérience utilisée par les auteurs sur les sujets moraux, politiques et physiques, l’une étant indépendante de l’autre, ce qu’il illustre par un raisonnement montrant qu’il faut limiter le pouvoir politique et l’usage des exemples pour montrer la même chose (p.106-107).
Il précise que dans la conduite de la vie on préfère l’homme expérimenté au novice qui n’a que la raison (p.107).
Il avance sa thèse : cette distinction est erronée (p.107).
À l’examen, les prétendus raisonnements reposent sur une expérience première, la seule différence est qu’ils supposent une réflexion sur l’expérience pour en dégager les éléments importants alors que dans d’autres cas de l’expérience se dégage l’inférence (p.107-108).
La différence entre novice et homme expérimenté n’est que de degré, le premier applique moins bien les maximes qui viennent de l’expérience où sait moins ce qu’il faut ou non négliger dans les circonstances particulières (p.108).
Retour au texte principal.
Hume pose que l’accoutumance est le grand principe de la nature humaine qui permet non seulement de raisonner mais également d’ajuster les moyens aux fins, qui permet donc d’anticiper et d’agir (p.107).
Hume précise que l’accoutumance ne peut produire son effet sur l’esprit que si elle repose sur un fait présent aux sens ou à la mémoire sans quoi il n’y aurait qu’hypothèse. Comme il ne peut y avoir régression infinie, il est nécessaire de s’appuyer sur un fait (p.107-109).
Hume en conclut que la conjonction entre le constat d’un fait et une suite coutumière forme nos raisonnements sur les faits de façon aussi nécessaire que nous ressentons certaines passions dans certaines circonstances (p.109).
Toutefois, Hume va faire de la croyance et de la conjonction coutumière qui la fonde l’objet d’une enquête abstraite dont il dispense les lecteurs peu intéressé par la spéculation (p.109-110).


La raison et la croyance - corrigé d'une explication de texte de Spinoza sur la crédulité

Sujet.
Si les hommes avaient le pouvoir d’organiser les circonstances de leur vie au gré de leurs intentions, ou si le hasard leur était toujours favorable, ils ne seraient pas en proie à la superstition. Mais on les voit souvent acculés à une situation si difficile, qu’ils ne savent plus quelle résolution prendre ; en outre, comme leur désir immodéré des faveurs capricieuses du sort les ballotte misérablement entre l’espoir et la crainte, ils sont en général très enclins à la crédulité. Lorsqu’ils se trouvent dans le doute, surtout concernant l’issue d’un événement qui leur tient à cœur, la moindre impulsion les entraîne tantôt d’un côté, tantôt de l’autre ; en revanche, dès qu’ils se sentent sûrs d’eux-mêmes, ils sont vantards et gonflés de vanité. Ces aspects de la conduite humaine sont, je crois, fort connus, bien que la plupart des hommes ne se les appliquent pas (…) En effet, pour peu qu’on ait la moindre expérience de ceux-ci, on a observé qu’en période de prospérité, les plus incapables débordent communément de sagesse, au point qu’on leur ferait injure en leur proposant un avis. Mais la situation devient-elle difficile ? Tout change : ils ne savent plus à qui s’en remettre, supplient le premier venu de les conseiller, tout prêts à suivre la suggestion la plus déplacée, la plus absurde ou la plus illusoire ! D’autre part, d’infimes motifs suffisent à réveiller en eux soit l’espoir, soit la crainte. Si, par exemple, pendant que la frayeur les domine, un incident quelconque leur rappelle un bon ou mauvais souvenir, ils y voient le signe d’une issue heureuse ou malheureuse ; pour cette raison, et bien que l’expérience leur en ait donné cent fois le démenti, ils parlent d’un présage soit heureux, soit funeste.
Spinoza, Traité théologico-politique (anonyme 1670)

Pour expliquer ce texte, vous répondrez aux questions suivantes, qui sont destinées principalement à guider votre rédaction. Elles ne sont pas indépendantes les unes des autres et demandent que le texte soit d'abord étudié dans son ensemble.


QUESTIONS :

1) Dégagez la thèse principale du texte et les étapes de son argumentation.
2) Expliquez :
a) « leur désir immodéré des faveurs capricieuses du sort les ballotte misérablement entre l’espoir et la crainte »
b) « Si, par exemple, pendant que la frayeur les domine, un incident quelconque leur rappelle un bon ou mauvais souvenir, ils y voient le signe d’une issue heureuse ou malheureuse. »
3) Toute croyance est-elle un effet de l’incertitude ?

Corrigé

Croire qu’un miroir brisé apporte le malheur ou que le vendredi 13 est un jour de chance font partie de ces superstitions dont les hommes sont friands. Comment en rendre compte ?
Tel est le problème dont traite cet extrait du Traité théologico-politique de Spinoza.

1) Spinoza veut montrer que la crédulité des hommes vient de leurs désirs et des circonstances difficiles où ils se peuvent les réaliser.
Pour le montrer, le philosophe commence par poser des conditions qui rendraient impossible la crédulité, à savoir d’une part que les hommes puissent régir les circonstances de leur vie ou d’autre part que le hasard leur soit toujours favorable. Chacune des conditions suffit pour qu’il n’y ait pas de superstition, c’est-à-dire de croyances en des signes favorables ou défavorables par rapport à la réalisation de nos désirs dans la mesure où ils dépendent de la réalité extérieure.
À ces conditions Spinoza oppose les conditions réelles qui permettent la superstition. La première est que les hommes vivent dans des difficultés telles qu’ils ne sont pas capables de se décider. La seconde condition réelle est que les hommes ont des désirs sans limites de ce qui ne peut leur être apporté que par le sort ou le hasard, ce qui les amène à osciller entre la crainte et l’espoir. De ces deux conditions Spinoza en déduit la crédulité humaine, c’est-à-dire l’aptitude à croire n’importe quoi, même ce qui est absurde. C’est ce qui explique la superstition.
Il montre les hommes dans les situations de doute et de désir fort et vif. Ils sont alors conduits à adhérer pour le moindre motif à une idée ou une autre, c’est-à-dire à ce qui confirme leur espoir ou leur crainte et ceci d’autant plus que l’événement répond plus à ce dont ils ont envie. Il leur oppose les hommes dans des situations de certitude. Dans ce dernier cas, ils se prévalent de qualités qu’ils n’ont pas. Il fait remarquer que ce qu’il propose est bien connu, qu’il y a là des aspects de la conduite humaine, c’est-à-dire que tous les hommes sont ainsi. Il concède que cette connaissance, les hommes ne se l’appliquent pas à eux-mêmes.
Il explique cette thèse en s’appuyant sur l’expérience de chacun. Tout homme peut observer que c’est lorsque le sort est favorable, soit en « période de prospérité », que les autres hommes, intellectuellement les plus faibles s’attribuent une sagesse qu’ils ne possèdent pas. Le ton ironique de Spinoza se continue lorsqu’il avance que ce serait une injustice que de leur donner un avis. Comprenons que c’est ce qu’ils pensent, à tort. Il oppose à cela les mêmes hommes dans une situation difficile. Ils sont alors près à suivre n’importe qui et à croire n’importe quoi. Pour montrer à quel point les hommes ont des croyances peu croyables, Spinoza qualifie, en utilisant un superlatif de quantité, de « déplacée », c’est-à-dire de peu appropriée à la situation, d’« absurde », c’est-à-dire de contraire à la réalité et d’« illusoire », c’est-à-dire de purement imaginaire. Il ajoute que l’espoir et la crainte vont être suscités par des motifs sans aucune importance. Il l’illustre par l’exemple d’un incident qui, associé à un souvenir, va conduire à y voire le signe d’un événement favorable au désir s’il s’agit d’un bon souvenir et d’un événement défavorable, s’il s’agit d’un mauvais souvenir.

2)
a) Lorsque Spinoza écrit des hommes que « leur désir immodéré des faveurs capricieuses du sort les ballote misérablement entre l’espoir et la crainte », il indique la cause principale de la crédulité des hommes. En effet, tout désir vise à se réaliser. Or, certains désirs ne peuvent être réalisés par celui qui désire mais c’est la réalité extérieure qui le permet. Et elle n’est pas toujours favorable sans être nécessairement toujours défavorable. D’où l’idée de sort. Sort qui peut être bon si le désir est satisfait, mauvais dans le cas contraire. Si donc on ne sait pas si la réalité extérieure va nous permettre de voir nos désirs réalisés, et si ces désirs sont forts et vifs, on oscillera entre l’espoir, c’est-à-dire une attente favorable et la crainte, une attente défavorable dans la mesure où notre esprit est orienté par notre désir.

b) Spinoza, lorsqu’il écrit « Si, par exemple, pendant que la frayeur les domine, un incident quelconque leur rappelle un bon ou mauvais souvenir, ils y voient le signe d’une issue heureuse ou malheureuse. », veut montrer comment les hommes croient en des superstitions. Ainsi, il pose l’hypothèse d’un état de frayeur qui domine les hommes. Dans ce cas, si un incident qui survient produit un souvenir, bon ou mauvais, les hommes voient dans ce souvenir un signe d’une réalisation favorable ou défavorable de ce qu’ils désirent pour se sortir de la frayeur. Dès lors, le contenu du souvenir devient donc ce qui annonce l’événement positif ou négatif même s’il n’a aucun rapport avec lui.

3)
Selon Spinoza, c’est parce que les hommes sont dans des situations d’incertitude par rapport à certains de leurs désirs qu’ils sont crédules, c’est-à-dire qu’ils ont des croyances dans lesquelles ils ne devraient pas croire.
Or, l’idée de croyance, c’est celle d’une certitude subjective qui s’oppose au doute.
Dès lors, toute croyance est-elle un effet de l’incertitude ?

Les hommes peuvent avoir des croyances tout en étant sûrs d’eux-mêmes. C’est ce que montre l’analyse par Spinoza des hommes imbus d’eux-mêmes. Il montre ironiquement qu’ils n’écoutent même aucun conseil. Ce n’est donc pas tant l’incertitude qui produit la croyance que la situation où sont les hommes. En effet, lorsque leur situation est bonne, ils sont certains d’eux-mêmes et en même temps ont des croyances.
Pourtant, un simple changement produit le doute. N’est-ce pas qu’il y a de l’incertitude à la racine de leur croyance ?

En réalité, la certitude que les hommes ont dans de bonnes situations porte sur eux-mêmes plutôt que sur leur croyance que n’importe quelle situation peut changer. Aussi y a-t-il bien de l’incertitude à la racine de la croyance même si elle n’est pas un doute complet. C’est que la croyance est une pseudo sagesse comme le montre l’ironie de Spinoza. Qui sait véritablement est dans une certitude qui s’appuie sur des preuves. Qui croit ne peut pas ne pas savoir qu’il n’a pas de preuve de ce qu’il avance de sorte qu’il ne peut pas ne pas toujours en même temps douter de sa croyance.
Néanmoins, l’incertitude où est celui qui croie ne suffit pas pour faire naître la croyance ? Cette incertitude ne tient-elle pas fondamentalement aux désirs qu’ont certains hommes ?

On voit donc que c’est plutôt dans les situations où les hommes dépendent du sort extérieur qu’il y a incertitude. Or, pour que de telles situations soient possibles, il faut que les hommes aient certains désirs. Qui désire apprendre les mathématiques ne dépendra pas du sort. Par contre, qui désire être riche, admiré, etc. dépendra du sort, c’est-à-dire de l’adéquation ou non entre ses désirs et la réalité extérieure, y compris social. Dès lors, les hommes qui ont de tels désirs vont croire pour combler la situation d’incertitude où ils sont. Telle est la source de la superstition.

Disons pour conclure que Spinoza a montré dans cet extrait du Traité théologico-politique que la superstition provenait des situations où les hommes désirent fortement ce qui dépend du sort et donc, incertains, se laissent aller à croire en de mystérieux signes, pour apaiser leurs craintes.
Le philosophe montre donc implicitement que c’est en changeant nos désirs que nous pouvons vaincre la superstition en nous.


vendredi 1 janvier 2016

Leibniz, biographie

Leibniz, biographie : un philosophe courtisan.

Gottfried Wilhelm Leibniz est né le 1er (ou le 4) juillet 1646 à Leipzig. Son père, Friedrich Leibniz (1597-1652) était juriste et professeur de philosophie morale à l’université de Leipzig. Sa mère était Catherina Schmuck (1621-1664). Elle était la seconde femme de Friedrich Leibniz qui avait un garçon et une fille d’un premier mariage. Elle était la fille de Wilhelm Schmuck (1575-1634), professeur en droit et en droit canon dans la même université. Sa famille était de confession luthérienne.

Le 5 septembre 1652, Leibniz perd son père. Il commence ses études à la Nicolai-Schule de Leipzig. Il apprend le latin et le grec. Il lit la littérature latine contre l’avis de ses maîtres, Johann Hornschuh (1600-1663), philosophe et philologue et Tilemann Bachusius ( ?- ?).

En 1661, à quinze ans, il entre à l’université de Leipzig. Il est l’élève de Jacob Thomasius (1622-1684) pour qui l’histoire de la philosophie est un objet d’étude. En mathématiques, il est l’élève de Johann Kühn (1619-1676). Il connaît les littératures grecque et latine, la scolastique et découvre Francis Bacon (1561-1626), Thomas Hobbes (1588-1679), René Descartes (1596-1650) et Pierre Gassendi (1592-1655).

En 1663, il est bachelier avec une Thèse sur le principe d’individuation (Disputatio de principio individui) d’inspiration nominaliste. Il poursuit ses études à Iéna où il suit l’enseignement d’Ehrard Weigel (1625-1699), mathématicien, juriste et philosophe, du philosophe et historien Johann Andreas Bose (1626-1674) et suit les conférences sur le droit données par Johann Christoph Falkner (1629-1681), conseiller à la Cour supérieure de justice qui deviendra Rector magnificus de l’Université d’Iéna dans les années 1670.

En 1664, sa mère meurt. Il s’oriente vers le droit.

En 1666 il devient docteur en droit à l’université d’Altdorf, près de Nuremberg avec une thèse De casibus perplexis in jure (Sur les cas complexes en droit ou Sur les cas embrouillés en droit). On lui propose de devenir professeur extraordinaire de droit à l’université : il décline l’offre. Il publie la Dissertatio de Arte combinatoria (De l’art combinatoire).

En 1667, à Nuremberg, Leibniz serait devenu membre de la confrérie des Rose-Croix. Il en serait un temps le secrétaire. Dans la même ville, il rencontre le baron Johann Christian Von Boyneburg ou Jean-Christophe de Boinebourg (1622-1672), ancien protestant converti au catholicisme, ancien Grand Maréchal, puis Premier Ministre auprès de l’Archevêque-Électeur de Mayence, Johann Philipp Von Schönborn (1605-1673). Ce dernier, archevêque catholique, participe à l’élection de l’empereur du Saint Empire Romain Germanique. Leibniz devient le protégé du baron de Boinebourg. Il publie la Methodus nova discendae docendaeque Jurisprudentiae (Nouvelle méthode pour apprendre et pour enseigner la jurisprudence).

En 1668, il écrit Confessio naturae contra atheistas (Témoignage de la nature contre les athées).

En 1669 il écrit Un essai de démonstration politique à propos de l’élection d’un roi en Pologne sous un pseudonyme à l’instigation du baron de Boinebourg qui s’investit dans l’élection du nouveau.

En 1670, il reprend pour l’Archevêque-Électeur de Mayence la Nouvelle méthode pour apprendre et pour enseigner la Jurisprudence. Il devient son conseiller. Il est chargé d’améliorer le code civil. Il écrit une Dissertation sur la sécurité de l’Allemagne. Il écrit également une Dissertatio de stylo philosophica Nizolii (Dissertation sur le style philosophique de Nizolius), une préface à l’ouvrage qu’il édite de cet écrivain et philosophe italien (1488-1567). Il écrit aussi deux traités scientifiques : Theoria motus abstracti (Théorie du mouvement abstrait) qu’il dédit à l’Académie des sciences de Paris et Theoria motus concreti seu Hypothesis physica nova (Théorie du mouvement concret ou Hypothèse physique nouvelle) qu’il dédit à l’Académie des sciences de Londres. Encouragé par le baron de Boinebourg, il se penche sur le problème théologique de la transsubstantiation. Il prend contact avec le théologien janséniste Antoine Arnauld (1612-1694). Il participe aux protestations lors de la publication du Traité théologico-politique de façon anonyme même si Spinoza a rapidement été démasqué. Il dénoncera à Arnauld un « ouvrage effrayant » sur la liberté de penser qui sape les bases de la religion : luthérien et catholique s’entendent.

En 1671, Boinebourg veut convertir un ami, Andreas Wissowatius (1608-1678), un Socinien qui avait publié à partir de 1656 la Bibliotheca Fratrum Polonorum, recueil de doctrine socinienne. Elle provenait de Lelio Sozzini (1525-1562) et Fausto Sozzini (1539-1604), son neveu, deux Italiens réfugiés en Pologne qui avaient fondé une Église qui prônait le déisme et le rationalisme, niant la Trinité, la divinité du Christ et le péché originel. Boinebourg veut le convaincre de l’ancienneté de la religion catholique, sans succès. Leibniz écrit alors une lettre au nom de Boineburg intitulée La sainte Trinité défendue par la doctrine de la raison et suivant de nouvelles découvertes. Il correspond avec Spinoza (1632-1677). Il lui envoie un écrit sur l’optique, Notitia opticae promotae (Avis sur l’amélioration de l’optique) dans une lettre datée du 5 octobre 1671 où il le qualifie de « médecin très célèbre et philosophe très profond » (cf.Lucien Fevre, « Dialogues de grands esprits : Leibniz , Spinoza et le problème de l’incroyance au XVII° », Annales 1947,2-1, pp.45-52). Spinoza lui répond dans une lettre du 9 novembre 1671.

En 1672, Leibniz est envoyé en mission diplomatique auprès de Louis XIV (1638-1643-1715) auprès de qui il se rend avec le fils de Boinebourg. Il doit le convaincre de conquérir l’Égypte pour abattre l’empire ottoman plutôt que d’attaquer les États allemands. C’est pour lui l’occasion de rencontrer les plus grands esprits d’Europe comme le philosophe Malebranche (1638-1715), le penseur janséniste Arnauld, le physicien Christian Huygens (1629-1695). Il veut y montrer la machine à calculer de son invention qui perfectionne celle de Blaise Pascal (1623-1662). Il étudie les manuscrits de ce dernier grâce à l’autorisation de la famille Périer. De là lui serait venu selon son témoignage ultérieur son idée du calcul intégral. Son protecteur, le baron de Boinebourg, meurt en décembre.

De janvier à mars 1673, il effectue un voyage en Angleterre et rencontre Oldenburg, le secrétaire de la Royal Society et correspondant de Spinoza, avec lequel il s’entretient de mathématiques. Il rencontre également le physicien Robert Boyle (1627-1695), l’architecte et savant Christopher Wren (1632-1723) et le mathématicien John Wallis (1616-1703). Il est élu grâce à ce dernier à la Royal Society. Entre temps, l’Électeur de Mayence meurt le 12 février.

En 1675, c’est à Paris que Leibniz met au point sa découverte mathématique fondamentale, celle du calcul différentiel et intégral. Il échoue dans sa tentative d’entrée à l’Académie des Sciences de Paris. Il travaille à l’amélioration des montres.

En octobre 1676, Leibniz quitte Paris pour rentrer en Allemagne, à Hanovre, où il va devenir bibliothécaire du duc Jean-Frédéric de Brunswick-Lunebourg (1625-1679), ancien protestant converti au catholicisme. Il rend visite à Spinoza (1632-1677) en novembre à Paviljoensgracht : le courtisan rend visite à l’artisan déjà malade et mourant. Il passe par Londres où il rencontre le mathématicien John Collins (1623-1685), un ami de Newton (1642-1727). Arrivé à Hanovre, il achète pour son maître de nombreux ouvrages.

En 1677, il a des entretiens avec l’anatomiste danois Niels Stensen (Nicolas Stenon en français) notamment sur le thème de la liberté.

En janvier 1678, il publie le De corporum concursu où il adopte comme formule de la force = mv2.

En 1679 sous l’impulsion du duc de Hanovre, il travaille à la réconciliation des Églises, raison pour laquelle il entre en correspondance avec Bossuet (1627-1704) qui durera jusqu’en 1680. D’autres interlocuteurs sont concernés : Paul Pellisson (1624-1693), Mme de Brinon (1631-1701) notamment. Le 18 décembre, Jean-Frédéric de Brunswick-Lunebourg meurt. Son frère cadet, Ernest (1629-1698) lui succède. Leibniz va devenir proche de son épouse, Sophie de Bohème (1630-1714) et de leur fille Sophie-Charlotte (1668-1705), future reine de Prusse.

À partir de 1680, et jusqu’en 1686, il s’occupe activement des installations minières dans le Harz.

En 1682, les Acta Eruditorum sont fondés à Leipzig. Cette revue scientifique, la première en territoire allemand, rédigée en latin est dirigée par Otto Mencke (1644-1707) qui a certainement été inspiré par Leibniz.

En octobre 1684, Leibniz expose le calcul infinitésimal dans la Nova methodus pro maximis et minimis dans les Acta Eruditorum. Le 8 octobre, Sophie-Charlotte de Hanovre épouse l’Électeur de Brandebourg, Frédéric III (1657-1713), futur roi de Prusse. Il publie également les Meditationes de cognitione, veritate et ideis(Méditations sur la Connaissance, la Vérité et les Idées) où il critique la conception cartésienne de l’évidence ainsi que sa méthode d’analyse des idées. Il commence une correspondance avec Simon Foucher (1644-1696), prêtre et philosophe critique de Malebranche, qui durera jusqu’en1693.

Le 18 octobre 1685, Louis XIV révoque l’édit de Nantes d’avril 1598 qui accordait aux protestants une certaine liberté de culte. Dorénavant, les sujets du roi devront être catholiques. S’ensuit un vaste exil au profit des pays protestants. Il rédige le Discours de métaphysique dans les dernières semaines de l’année, voire au début de l’année suivante.

En 1686, il publie en français le Discours de métaphysique. Commence l’importante correspondance avec Arnauld sur les thèses du Discours qui durera jusqu’en 1688. Il développe ses considérations sur le calcul infinitésimal. Il publie la Brevis demonstratio erroris memorabilis Cartesii (Brève démonstration d’une erreur mémorable de Descartes) où il soutient le principe de la conservation de la force contre la thèse de Descartes et des cartésiens sur la conservation de la quantité de mouvement. Il écrit Generales Inquisitiones de analysi notionum et veritatum où il distingue les vérités nécessaires des vérités contingentes. Il écrit Systema Theologicum, formulaire de réconciliation entre les Églises chrétiennes (à l’exception des calvinistes) qui échoue notamment en raison de l’opposition de Bossuet (1627-1704).

De 1687 à 1690, il voyage en Autriche, dans divers territoires allemands et en Italie (notamment à Rome et à Florence) pour rechercher des documents sur la maison de Brunswick. Début 1687, Newton publie ses Principes mathématiques de la philosophie naturelle qui contiennent non seulement la loi de la gravitation universelle mais aussi son calcul des fluxions.

En 1689, Leibniz écrit la Dynamica de potentia et legibus naturaecorporae (De la puissance dynamique et des lois de la nature corporelle).

En 1692, l’État de Hanovre devient un Électorat. Leibniz a contribué à cet événement. Il écrit les Animadversiones in partem generalem principiorum cartesianorum (Remarques sur la partie générale des principes de Descartes) et l’Essai de dynamique.

En 1693, il écrit le Codex juris gentium diplomaticus (Code diplomatique du droit des gens).

En 1694, il écrit De primae philosophiae emendiatione (De la réforme de la philosophie première). En 1694 au plus tôt, 1698 au plus tard, il rédige en allemand De la sagesse (Von der Weisheit).

En 1695, il publie le Specimen Dynamicum et le Système nouveau de la Nature et de la communication des Substances.

En 1696 Leibniz devient conseiller secret d’Ernest-Auguste, duc de Brunswick-Lunebourg.

En 1697, il écrit De rerum originatione radicali (De l’origine radicale des choses). Il publie les Novissima Sinica où il expose ses connaissances sur la Chine qu’il a obtenues grâce à sa correspondance avec divers jésuites.

Le 23 janvier 1698, Ernest-Auguste, duc de Brunswick-Lunebourg meurt. Son fils, Georges-Louis (1660-1727) lui succède. Il publie De ipsa Natura (De la nature elle-même). Il commence une correspondance avec le philosophe protestant Pierre Bayle (1647-1706) qui se continuera jusqu’en 1702 et une autre avec Malebranche.

En 1699, il commence une correspondance avec le physicien néeerlandais Burchard de Volder (1643-1709) qui continuera jusqu’en 1706. Newton envoie une notification à la Royal Society accusant Leibniz de plagiat concernant le calcul infinitésimal. Dans le même temps, il œuvre dans l’ombre contre lui.

En 1700, Leibniz entre comme membre étranger à l’Académie des Sciences de Paris. Le 11 juillet, sur les conseils de Leibniz, voit le jour la Société des Sciences de Berlin par Frédéric III de Prusse, le Prince-Électeur de Brandebourg qui deviendra plus tard l’Académie de Berlin.

Le 18 janvier 1701, Frédéric III devient roi de Prusse sous le nom de Frédéric 1er. Leibniz commence à publier l’histoire de la maison de Hanovre.

En 1703, il commence les Nouveaux essais sur l’entendement humain, critique de l’Essai philosophique sur l’entendement humain de John Locke (1632-1704), publié en décembre 1689 et traduit en français par le protestant Pierre Coste (1668-1747) alors réfugié aux Pays-Bas.

Le 28 octobre 1704, Locke meurt.

En 1705 Leibniz achève les Nouveaux Essais sur l’entendement humain. La mort de Locke l’amène à ne pas publier le texte. Il écrit le Discours de la conformité de la foi et de la raison, futur avant-propos de la Théodicée.

En 1706, il commence une correspondance avec le jésuite Barthélémy Des Bosses (1668-1738) qui se continuera jusqu’à sa mort et avec le physicien et “biologiste” néerlandais Nicolas Hartsoeker (1656-1725), partisan par ses observations de la théorie dite animalculiste de la reproduction, c’est-à-dire que les enfants sont emboités dans les spermatozoïdes – théorie qu’adoptera Leibniz. Cette correspondance durera jusqu’en 1712.

En 1709, Leibniz commence une correspondance qui se continuera jusqu’à sa mort avec l’archéologue et philosophe Louis Bourguet (1678-1742) d’origine française dont la famille s’était exilée après la révocation de l’édit de Nantes.

En 1710 paraît à Amsterdam la première édition, en français, des Essais de théodicée sans nom d’auteur. Puis il rédige en latin La Cause de Dieu (Causa Dei) qui résume et met en forme la théodicée.

En 1711, Leibniz rencontre le tsar Pierre 1er le Grand (1672-1725) à Torgau à l’occasion du mariage de son fils avec Charlotte de Brunswick-Lunebourg qui a lieu le 25 octobre. Leibniz soumet au tsar un plan d’organisation politique, économique et scientifique de la Russie.

En 1712, il séjourne à Vienne. Le tsar Pierre le Grand le nomme « conseiller intime de justice ». Newton obtient de la Royal Society un rapport officiel lui accordant le titre de “premier inventeur” du calcul infinitésimal qui condamne Leibniz.

En 1713 est signée la paix d’Utrecht, c’est-à-dire deux traités de paix qui mettent fin à la guerre de Succession d’Espagne, le premier signé le 11 avril entre le royaume de France et le royaume de Grande-Bretagne, le second le 13 juillet entre l’Espagne et la Grande-Bretagne. Leibniz, qui a été nommé conseiller particulier de l’empereur Charles VI (1685-1740), travaille au rapprochement des deux empereurs pour lesquels il travaille.

En 1714, il rédige en français la Monadologie, Principes de philosophie pour Rémond, un membre de la cour du duc d’Orléans et les Principes de la nature et de la grâce fondée en raison pour le prince Eugène de Savoie (1663-1736) qu’il a rencontré. Le 1er août, l’Électeur de Hanovre monte sur le trône d’Angleterre sous le nom de George 1er. Leibniz est candidat en décembre pour être nommé historiographe du roi d’Angleterre, candidature qu’il envoie au ministre Andreas Gottlieb Von Bernstorff (1649-1726) sans savoir que le poste était déjà pourvu. Il est normalement refusé. Le roi lui-même était peu enclin à l’employer à ce poste.

En 1715, il correspond avec le théologien, ami et porte-plume de Newton, Samuel Clarke (1675-1729). La correspondance porte sur les principes de la philosophie naturelle. Dans le même temps Newton rallume la polémique relative au calcul infinitésimal et humilie publiquement Leibniz lors d’une réunion de la Royal Society.

Il meurt le 14 novembre 1716 à Hanovre dans une solitude certaine. Inhumé provisoirement ce jour-là, il est officiellement enterré le 14 décembre accompagné par une poignée de personnes dans l’indifférence générale, notamment de la cour de Hanovre.

En 1717, Fontenelle prononce son éloge funèbre devant l’Académie des Sciences de Paris.

En 1720 paraît une édition de la Monadologie par un disciple de Wolf, Heinrich Köller.

En 1721 paraît une traduction allemande de la Monadologie. Le nom du traducteur n’est pas indiqué. On pense qu’il s’agit de Wolf lui-même (cf. Bouveresse, cours au collège de France, 7 janvier 2009).

En 1765 les Nouveaux Essais sur l’entendement humain sont publiés.

En 1948 Gaston Grua (1903-1955) édite deux volumes de textes inédits de Leibniz.