mardi 21 avril 2020

corrigé d'une explication de texte de Rousseau sur les inégalités

Il est aisé de voir qu’entre les différences qui distinguent les hommes, plusieurs passent pour naturelles qui sont uniquement l’ouvrage de l’habitude et des divers genres de vie que les hommes adoptent dans la société. Ainsi un tempérament robuste ou délicat, la force ou la faiblesse qui en dépendent, viennent souvent plus de la manière dont on a été élevé que de la constitution primitive des corps. Il en est de même des forces de l’esprit, et non seulement l’éducation met de la différence entre les esprits cultivés, et ceux qui ne le sont pas, mais elle augmente celle qui se trouve entre les premiers à proportion de la culture. Or si l’on compare la diversité prodigieuse d’éducations et de genres de vie qui règnent dans les différents ordres de l’état civil (1), avec la simplicité et l’uniformité de la vie animale et sauvage où tous se nourrissent des mêmes aliments, vivent de la même manière, et font exactement les mêmes choses, on comprendra combien la différence d’homme à homme doit être moindre dans l’état de nature que dans celui de société et combien l’inégalité naturelle doit augmenter dans l’espèce humaine par l’inégalité d’institution.
Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes (1755).
(1) les différents ordres de l’état civil : les différentes classes de la société.

 Pour expliquer ce texte, vous répondrez aux questions suivantes, qui sont destinées principalement à guider votre rédaction. Elles ne sont pas indépendantes les unes des autres et demandent que le texte soit d'abord étudié dans son ensemble.


Questions

1) Dégagez l’idée centrale et les articulations du texte.
2)
a. Expliquez, en vous appuyant sur des exemples du texte, pourquoi les différences culturelles passent pour naturelles.
b. Quel sens a la distinction entre inégalité naturelle et inégalité d’institution ?
3) L’éducation augmente-t-elle inévitablement les inégalités ?


Corrigé
 Les inégalités qu’il y a entre les hommes sont-elles naturelles ou bien proviennent-elles plutôt de la culture ? Tel est le problème dont traite cet extrait du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes de 1755.
1) Rousseau veut montrer que les inégalités les plus importantes entre les hommes sont essentiellement culturelles.
L’extrait commence par poser que nombre d’inégalités entre les hommes ne sont pas naturelles comme on le croit , mais sont dues enréalité aux modes de vie culturelles des hommes. Rousseau le montre par induction en prenant différents exemples. Il donne d’abord des exemples relatifs aux capacités physiques qui sont dues à la façon dont on a été élevé. Puis il donne des exemples des capacités intellectuelles dont les différences entre individus sont dues à la culture acquise ou non.
Il ajoute ensuite un second argument qui consiste à comparer d’un côté la diversité des modes de vie et d’éducations qui se trouvent dans les différents groupes sociaux et la vie animale uniforme pour comprendre que les inégalités entre les hommes sont bien essentiellement dues à la culture. D’un côté, les modes de vie humains et les modes d’éducation sont très différents, ce qui est facteur d’inégalités. D’un autre côté, la vie animale présente une grande simplicité qui n’accroit pas les inégalités. Comprenons que dans chaque espèce, les animaux se nourrissent et vivent de la même manière.
Rousseau en déduit d’abord qu’à l’état de nature, c’est-à-dire si on prend l’homme abstraction faite de tout ce que la société lui apporte, il y a moins de différence entre les hommes que dans l’état de société. Il en déduit ensuite que l’inégalité naturelle elle-même augmente en fonction de l’inégalité d’institution.

2)
a. Les différences culturelles passent pour naturelles car elles sont acquises très tôt. Prenons d’abord avec Rousseau l’exemple des différences physiques. Comme elles s’inscrivent dans les faits et que le corps est au départ naturel, les différences entre les individus vont passer pour naturelles. Pourtant, selon la façon de vivre et l’habitude, c’est-à-dire un comportement quasi automatique, irréfléchi et acquis, le corps aura plus ou moins de force, etc.
Prenons ensuite les différences intellectuelles qui sont l’autre exemple de Rousseau. Certains hommes, parce qu’ils sont cultivés, comprennent mieux que ceux qui ne le sont pas. Et même entre hommes cultivés, il y a encore des différences. On croit alors qu’il s’agit de dons naturels alors que c’est l’éducation et la façon de vivre qui explique surtout que certains sont plus intelligents que d’autres dans la société.

b. La distinction entre inégalité naturelle et inégalité d’institution que Rousseau propose est celle entre ce qui s’impose à tous les hommes, à savoir l’inégalité naturelle et contre laquelle ils ne peuvent apparemment rien faire, et celle dont ils sont les auteurs, à savoir l’inégalité d’institution et qu’ils peuvent donc modifier, voire supprimer. Par exemple les inégalités de taille ou de mémoire sont, en un sens, naturelles. Mais un enfant mal nourri ou mal stimulé aura une taille ou une mémoire culturelle inférieure à celle qu’il aurait pu avoir, voire à celle d’un autre qui aurait pu être plus petit ou moins oublieux.
Dès lors, le sens de cette distinction est de mettre en lumière ce sur quoi les hommes peuvent agir. Sans cette distinction, on pourrait croire que toutes les inégalités sont naturelles et alors on ne ferait rien ou qu’elles sont toutes d’institution et alors qu’on pourrait toutes les modifier.
Enfin, on peut émettre l’hypothèse que cette distinction n’est qu’abstraite, car, dans la réalité, comment faire la différence entre ce qui vient de la nature et ce qui vient de la culture ? C’est proprement impossible. Comment savoir quelle taille est naturelle lorsqu’on voit des populations entières grandir lorsqu’elles changent de mode de vie ?

3) Ainsi Rousseau a montré que l’éducation en tant qu’elle fait d’un être naturel un être social accroit les inégalités entre les hommes à la fois entre les individus et entre les groupes sociaux. On pourrait alors croire que seul l’état de nature permet l’égalité entre les hommes ou plutôt la plus petite inégalité possible alors que l’éducation entraîne de façon inévitable un accroissement des inégalités. Or, ce que l’éducation peut faire, elle peut le défaire, voire faire autrement. On peut donc se demander si elle accroit inévitablement les inégalités pour Rousseau ou bien si elle peut les combattre voire corriger les inégalités naturelles.


Il est vrai que Rousseau nous présente ici un tableau qui est celui de l’accroissement des inégalités tant physiques qu’intellectuelles. C’est que la diversité des mœurs spécialise les individus. Leur performance physique et ou intellectuelle dépend donc de cette spécialisation. Dès lors, l’éducation amenant des nouveautés par rapport à l’état de nature, c’est-à-dire la situation hypothétique où serait l’homme s’il ne vivait pas en société, les inégalités naturelles ne peuvent pas ne pas s’accroître. L’un développera telle aptitude et sera contrarié pour les autres.

Cependant, l’éducation consistant à donner ce qu’un individu n’a pas, peut être la même pour tous.


En ce sens, comment pourrait-elle accroître inévitablement les inégalités ? Il suffirait qu’elle uniformise les modes de vie pour qu’il n’y ait pas d’accroissement des inégalités ? En effet, supposons une société où tous les individus apprennent les mêmes choses. Tous et toutes font du sport pour développer leur corps. Tous et toutes acquièrent une culture. À supposer qu’il y ait des inégalités naturelles, elles ne s’accroîtraient pas puisqu’il n’y aurait pas cette grande diversité de mode de vie et d’habitude que Rousseau constate.
Toutefois, une telle éducation, qui ressemble à celle de la Sparte antique, n’est pas possible. Toute société en effet implique une certaine diversité de tâches, de métiers et/ou de fonctions. C’est justement la diversité que la culture permet. Reste alors à l’éducation à ne pas accroître les inégalités mais au contraire à réaliser l’égalité.
Pour cela il faut que l’éducation donne à chacun les mêmes principes de base et une diversité qui ne hiérarchise pas les individus. Elle peut même tenter d’inverser le cours naturel en donnant plus à ceux qui ont moins. Est-ce souhaitable n’est pas la question. C’est possible. Par conséquent l’éducation n’augmente pas inévitablement les inégalités. Le texte de Rousseau permet une telle interprétation.
En effet, ce sont les ordres inégalitaires de la société que l’éducation consacre. À l’époque de Rousseau, on ne peut que penser à la différence entre les trois ordres, le Tiers-État, le clergé et la noblesse. Lorsque les disciples de Rousseau supprimeront les ordres lors de la révolution française, ils créeront les conditions de l’égalité.

En un mot, Rousseau, dans cet extrait du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes de 1755, a voulu montrer que les inégalités naturelles sont bien moins importantes que les inégalités culturelles. Or, celle-ci proviennent de l’éducation. Nous avons vue qu’elle peut les corriger, voire qu’elle peut tenter de réaliser l’égalité.
Doit-elle le faire ?



samedi 11 avril 2020

corrigé d'une dissertation que puis-je comprendre de moi?

« Je ne me comprends plus » ou encore « je me sens étranger à moi-même » entend-on souvent. Que puis-je alors comprendre de moi ?
Dans la mesure où je suis conscient de moi, où je suis responsable de mes actes, il n’y a rien de moi que je ne puisse comprendre. Ce sont les autres que je cherche à comprendre, car, leurs intentions m’étant inconnues, il me faut les retrouver à partir des gestes, des actions ou des gestes qui sont les leurs.
Reste qu’il n’est pas rare qu’on s’étonne soi-même et qu’on est amené à considérer alors qu’on pourrait avoir à se comprendre tout comme on a à comprendre les autres. Ce qu’on dit ou fait nous paraît avoir un sens mais un sens qui nous échappe.
On peut donc se demander s’il y a des conditions qui permettent de déterminer ce que je peux comprendre de moi.
Comprendre n’a de sens que pour autrui, ce qui m’est étranger s’explique mais ne se comprend pas sauf ce qui ressortit du sens qui naît de ce qu’il y a d’inconscient dans le sujet.


La certitude de mon moi m’est connue grâce à la conscience. C’est pour cela que Descartes en faisait la première vérité pour un esprit qui doute de tout : « je pense donc je suis » écrit-il dans la quatrième partie du Discours de la méthode (1637). Ainsi, ce que je fais ou ce que je pense ne peut en aucun cas m’échapper. Je peux rater ce que je fais mais non le sens de ce que je fais puisque c’est un acte, c’est-à-dire ce qui résulte d’une intention qui est mienne. Même l’acte involontaire a un sens qui est déterminé par le sujet. L’involontaire se dit par contraste avec ce qui a été fait en connaissance de cause. Je fais tomber un pot de fleur sans le faire exprès parce que je veux attraper une balle est un acte involontaire en ce sens que ma volonté était d’attraper une balle. Si quelqu’un est blessé, je puis être accusé de négligence, mais non d’avoir voulu blesser. Si donc comprendre signifie prendre avec, saisir la représentation par la conscience, je ne peux pas faire autre chose que me comprendre. Mieux, il n’y a rien en moi entendu comme un être conscient que je ne puisse comprendre. Mais, si comprendre s’oppose à ne pas comprendre, je ne peux rien comprendre de moi parce que je sais toujours ce que je fais. Autrement dit, je ne me comprends pas, je sais toujours immédiatement ce que je vis.
Ce qui le confirme, c’est que la compréhension au sens précis consiste soit à saisir immédiatement ce qu’autrui signifie, soit à l’inférer après un travail d’interprétation. Dans le premier cas, je comprends un propos, un geste, un signe d’un autre. J’attribue à autrui une intention à partir de ce qu’il me montre de la même façon que je lui montre ce que je pense en parlant, en émettant des signes, etc. La différence entre moi et autrui implique qu’il est le seul que je peux comprendre. Quant à moi, je saisis directement mon vécu. Tel est le rôle de la conscience. On doit en ce sens opposer comprendre à expliquer en suivant Dilthey (1839-1911) dans Le monde de l’esprit (1926). Expliquer, c’est rendre compte d’un phénomène en le ramenant à une loi qui le lie à d’autres phénomènes. On peut expliquer les mouvements des planètes, les réactions chimiques ou les processus physiologiques. Comprendre, c’est saisir le sens d’un esprit singulier même s’il s’inscrit dans un collectif, groupe, société, État, culture, etc. C’est que le collectif se distingue toujours d’un autre collectif. Ainsi la physique ou la biologie me permet d’expliquer les forces qui rendent compte d’un fait, par exemple la mort de Jules César (100-44 av. J.-C.) alors que l’histoire implique de comprendre le sens ou les sens qui a animé l’action de ceux qui l’ont tué. Et cette tentative de compréhension peut être erronée ou seulement hypothétique s’il manque de documents. Quant à chacun d’entre les acteurs de l’histoire, leur conscience de leur vécu impliquait qu’ils ne pouvaient pas se tromper sur eux-mêmes.

Cependant, d’où vient que, parfois, il me semble que je ne me comprenne pas, en ce sens que ce que je fais ou ce que je pense me paraît avoir une intention ou une signification obscure ? D’où vient que mes intentions même puissent m’apparaître à tel point obscures que je me demande ce que je veux vraiment ?


S’exprimer, c’est manifester physiquement ce qu’on veut dire. Or, justement, cette dimension physique est ce qui produit des effets dans la pensée qui lui échappent. L’esprit est alors conduit à tenter de les comprendre comme s’il y avait quelqu’un qui voulait dire quelque chose. Alain, dans les Propos sur le bonheur (1925, 1928) en donne des exemples significatifs. Ainsi, parle-t-il d’une nourrice qui croit que les cris d’un enfant tiennent à sa volonté, voire à son hérédité jusqu’à ce qu’elle trouve une épingle plantée dans sa peau. De même, Masséna, le courageux maréchal d’empire, est effrayé par l’ombre d’une statue. Il n’y a rien à comprendre dans les pensées qui se forment en moi par mon corps. Elles ne sont que des interprétations dues à l’ignorance où je me trouve de moi-même. C’est le corps en moi qui explique les signes apparents. C’est-à-dire que les pensées sont des effets de causes corporelles selon le modèle qu’Alain reprend du Traité des passions (1649) de Descartes. Chercher à se comprendre, c’est alors s’illusionner sur soi-même. Tel est le propre de la pensée religieuse qui cherche une volonté mauvaise à la racine de nos pensées obscures, voire qui l’attribue à un tout Autre, le Malin. Reste qu’il y a des idées qui ne peuvent s’expliquer par le corps. Peuvent-elles s’expliquer ou faut-il les comprendre et comment ?
C’est la société qui explique les apparents signes que ne peut expliquer le corps. En effet, l’homme vit nécessairement en société. Il produit socialement son existence. Aussi chacun noue-t-il avec les autres des rapports qui sont nécessaires dans l’activité productive comme Marx le soutient dans la préface de sa Critique de l’économie politique (1859). Aussi, les idées que les hommes se font, sur eux, sur la société, sur le droit, etc., ce que Marx nomme idéologie, sont déterminées par ce que les hommes font. Chacun est donc traversé par des idées auxquelles il adhère sans en connaître les causes. Elles peuvent lui paraît obscures et méritées une interprétation. Mais ce serait accepter que chacun se comprenne à partir de ce qu’il pense de lui-même et on peut avec Marx soutenir qu’on ne peut juger un individu à partir de l’idée qu’il se fait de lui-même, ce qui est vrai pour chacun de l’idée qu’il a de lui. Aussi, la conscience que chacun a de lui dépend de la vie sociale et non l’inverse. Et de même, on ne peut juger une époque sur la conscience qu’elle a d’elle-même. Il faut au contraire expliquer la conscience y compris les contradictions qui créent des obscurités dans les idées par les contradictions réelles qui traversent la vie sociale.

Néanmoins, même si nombre de nos comportements et de nos idées peuvent s’expliquer, encore faut-il commencer par les comprendre, sans quoi l’explication apparaît impossible. Dès lors, que puis-je comprendre de moi s’il est vrai qu’il y a en moi des idées que je n’ai pas vraiment formées et qui font que, selon le mot de Rimbaud (1854-1891), « je est un autre » (lettres du Voyant, c’est-à-dire lettre à Georges Izambard [1848-1931] du 13 mai 1871 et lettre à Paul Demeny [1844-1918] du 15 mai 1871) et qu’en même temps, nombre d’idées que j’ai de moi-même peuvent et doivent s’expliquer plutôt que se comprendre ?

Quoi qu’il en soit du corps et de ses effets sur notre pensée, l’inconscient psychique est une hypothèse qui permet de donner un sens à l’idée que je peux comprendre de moi ce qui m’échappe par un travail d’interprétation. Freud raconte dans le chapitre 17 de son Introduction à la psychanalyse (1917) l’histoire d’une de ses patientes, âgée de 30 ans qui, lorsqu’elle était chez elle, courrait contre sa volonté. Elle allait ainsi de sa chambre et à une autre pièce où elle se plaçait à un endroit déterminé, appelait sa femme de chambre, puis reprenait sa course. Elle ne comprenait pas pourquoi elle agissait ainsi. Aucune explication de type physiologique n’expliquait la série précise de ses actes. Aucun trouble ne pouvait rendre compte du fait que ses jambes exécutaient les mouvements de la course contre sa volonté, contre son intention. Et c’est ce qui la conduisit à consulter en vue de se comprendre elle-même. Elle finit au cours des entretiens avec Freud par se rappeler sa nuit de noces, dix ans plus tôt avec un mari âgé et impuissant qui fit plusieurs allers et retours sans succès de sa chambre à la sienne. Au petit matin, il fut même maladroit pour verser de l’encre rouge sur le lit pour faire croire à sa réussite à la femme de chambre. Elle finit par indiquer à Freud qu’elle se plaçait toujours derrière une tache sur un tapis lorsqu’elle appelait la femme de chambre. Elle et Freud comprirent alors qu’elle rejouait sa nuit de noces, qu’elle essayait de la réussir. C’est donc le sens du désir dans la mesure où il est inconscient parce qu’il se heurte aux interdits sociaux que je peux comprendre de moi, parfois directement comme ce savant qui « oublia » d’aller à son mariage, ce qui lui fit comprendre qu’il ne désirait pas se marier, parfois indirectement grâce à un thérapeute. Autrement dit, l’insertion du sujet dans une culture produit en lui de l’inconscient. Où se situe la limite de la compréhension dans le sujet ?
Si on fait avec Freud l’hypothèse d’un inconscient psychique (cf. Métapsychologie, III Inconscient, § 1, 1924), c’est parce que nos intentions n’ont pas toujours l’évidence ou l’immédiateté que nous leur prêtons rapidement. Et c’est aussi parce qu’elles ne peuvent s’expliquer, c’est-à-dire être simplement ramenées à des causes. Le “sujet” se trouve ainsi en quelque sorte séparé de lui-même car, si ses désirs aspirent en quelque sorte à accéder à la conscience pour être réalisés, ce par quoi ils s’opposent aux exigences sociales est refoulé par l’éducation. C’est ce refoulé qui, passant en quelque sorte de façon détourné dans la conscience, exige d’être compris. C’est lui qui est la source de toutes ces idées obscures qui résistent à la saisie de la conscience comme à l’explication physiologique.
Bien évidemment, comme ce que je peux comprendre de moi est, par définition, ce qui peut être un sens vrai ou un sens faux, la dite compréhension demeure hypothétique. Le thérapeute comme moi-même, non seulement sommes soumis aux signes qui exigent d’être compris, mais de telle sorte qu’il n’y a personne pour garantir que la compréhension est exacte. Aussi, de même que dans les sciences expérimentales, une expérience corrobore une hypothèse, c’est-à-dire échoue à montrer qu’elle est fausse comme Karl Popper l’a montré dans sa Logique de la découverte scientifique (1934), de même une interprétation et la théorie sur laquelle elle repose ne peut qu’être hypothétique et l’interprétation est corroborée si et seulement si elle est construite de telle façon qu’il soit possible de la mettre en défaut.


Disons donc pour finir que le problème était de savoir ce que je peux comprendre de moi étant données les pensées obscures qui me paraissent miennes et pourtant étrangères en même temps. Il est d’abord apparu que seul autrui pouvait être compris en ce sens que je cherche ses intentions à partir des signes qu’il émet en m’appuyant sur la conscience de mon vécu qui elle, est indubitable. Dès lors, l’obscur en moi, c’est ce que j’ai à expliquer, par mon corps ou par mon insertion dans la vie sociale. Il n’en reste pas moins vrai qu’il reste, après explication, ce qui y est rebelle. C’est là où l’hypothèse de l’inconscient a son sens. Elle permet de dégager une sphère qui m’appartient tout en m’étant étrangère et que j’ai à comprendre tout comme si j’étais un autre pour moi-même, compréhension qui demeure fondamentalement hypothétique.

mardi 7 avril 2020

explication d'un extrait des Lois de Platon sur la nécessité des loi


Sujet
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Les hommes doivent nécessairement établir des lois et vivre selon des lois, sous peine de ne différer en aucun point des bêtes les plus totalement sauvages. La raison en est qu’aucune nature d’homme ne naît assez douée pour à la fois savoir ce qui est le plus profitable à la vie humaine en cité et, le sachant, pouvoir toujours et vouloir toujours faire ce qui est le meilleur. La première vérité difficile à connaître est, en effet, que l’art politique véritable ne doit pas se soucier du bien particulier, mais du bien général, car le bien commun assemble, le bien particulier déchire les cités, et que bien commun et bien particulier gagnent tous les deux à ce que le premier, plutôt que le second, soit solidement assuré.
Platon, Les Lois (vers 347 av. J.-C.)

Pour expliquer ce texte, vous répondrez aux questions suivantes, qui sont destinées principalement à guider votre rédaction. Elles ne sont pas indépendantes les unes des autres et demandent que le texte soit d'abord étudié dans son ensemble.


Questions
1. Dégagez les idées essentielles du texte et leur articulation.
2. Expliquez : « le bien commun assemble, le bien particulier déchire les cités. »
3. En l’absence des lois, les hommes seraient-ils vraiment réduits à l’état de bêtes sauvages ?


Corrigé

[Ce texte est extrait de l’ouvrage de Platon intitulé : Les Lois, livre IX, 874e-875b.]

Les sociétés humaines sont régies par des lois. On les perçoit souvent comme des entraves et il arrive qu’on rêve de s’en passer. Toutefois, les lois paraissent nécessaires pour définir ce que chacun peut faire dans une société. Sans elles, les hommes ne vivraient pas humainement.
En l’absence des lois, les hommes seraient-ils vraiment réduits à l’état de bêtes sauvages ?
Tel est le problème que résout Platon dans cet extrait de son ouvrage intitulé Les Lois. Platon y soutient deux idées essentielles. Premièrement, les lois doivent régir la vie des hommes en société et deuxièmement, l’art politique doit privilégier le bien commun.
On verra pourquoi les hommes ne peuvent pas se passer de lois pour vivre humainement, puis pourquoi ils doivent privilégier le bien commun et enfin pourquoi ce sont les lois qui définissent le bien commun.


Platon commence par énoncer deux thèses, à savoir premièrement que les hommes sont dans la nécessité conditionnelle d’énoncer des lois, c’est-à-dire des règles d’action et deuxièmement qu’ils sont dans la nécessité de vivre selon les lois qu’ils ont inventées. C’est qu’il est possible d’énoncer des lois sans les suivre, dans ce cas, c’est comme s’il n’y avait pas de lois. Il énonce ensuite la condition qui rend nécessaire ses deux thèses, à savoir qu’en l’absence d’une vie conforme aux lois les hommes ne vivraient pas comme des hommes, mais comme les bêtes les plus totalement sauvages. Il faut entendre par là des animaux qui font preuve de cruauté envers les autres. On voit donc que s’il y a des lois mais que les hommes ne les respectent pas, ils se comporteront comme des bêtes sauvages. Il faut donc comprendre que l’absence de lois désigne essentiellement le respect des lois.
Il donne les raisons de ses thèses. Elles sont négatives. Elles expriment ce qui rendrait possible que l’homme n’obéît à aucune loi. La première condition est qu’il faudrait qu’un homme naquît en sachant ce qui est le mieux pour la vie humaine. Or, ce n’est pas le cas. Il faut donc que les lois apprennent aux hommes ce qui est le mieux pour eux. C’est donc leur ignorance innée qui rend potentiellement les hommes dangereux comme des bêtes sauvages.
La deuxième condition qui est double et qui suit la première est de pouvoir faire ce qu’il sait être le mieux et de vouloir le faire. En effet, on peut savoir et ne pas pouvoir faire. On peut savoir et ne pas vouloir faire. C’est donc finalement l’absence de volonté constante pour agir pour le bien de la vie humaine qui explique l’attitude animale et cruelle des hommes en l’absence de lois.
Or, n’est-il pas possible que les hommes sans lois vivent pacifiquement entre eux ? Pourquoi devraient-ils s’affronter nécessairement ?

Platon explique ensuite d’où vient cette absence de connaissance de ce qui est préférable pour la vie humaine. Il s’agit de la deuxième idée essentielle. Elle exige de connaître une première vérité relative à l’art politique. On peut comprendre par là le savoir et le savoir-faire appliqués à la politique comme on parle de l’art médical. L’art politique véritable selon l’auteur a pour finalité le bien de la communauté tout entière et non le bien particulier de celui qui exerce le pouvoir ou celui de l’individu qui doit agir. Ce bien particulier peut être celui d’un groupe.
Il l’explique en disant que le bien commun, c’est-à-dire le bien de la cité, permet à celle-ci de s’unir. Chaque cité a donc son bien propre. Par bien, il faut entendre ce qu’on doit vouloir pour réaliser une certaine fin. Par exemple, la santé est la fin de l’art médical et le bien pour un vivant. La vie en commun harmonieuse est donc le bien de la cité. À l’inverse, le bien particulier déchire les cités, c’est-à-dire qu’il empêche s’il est poursuivi, de rendre possible la cité, c’est-à-dire la vie ensemble. On comprend en quoi l’homme s’il ne vit pas en cité se comporte comme une bête sauvage. Il faut comprendre par là que, solitaire, il ne peut pas ne pas s’en prendre aux autres hommes qu’il attaque lorsque son bien est en jeu. Et s’il s’agit de groupes particuliers, ils se combattent mutuellement comme dans les cas de guerres civiles.
Platon justifie cette préférence pour le bien commun en considérant que non seulement le choisir permet de le satisfaire mais également de réaliser le bien particulier alors que l’inverse paraît impossible. La raison en est que chercher uniquement le bien particulier contribue à faire la guerre en quelque sorte contre les autres. Dès lors, on est conduit à ne pas se satisfaire. À l’inverse, satisfaire le bien commun permet de satisfaire le bien particulier sans s’affronter avec les autres. L’individu trouve alors dans le bien commun de quoi satisfaire ses aspirations. Sa vie n’est pas une guerre continuelle.
Pourquoi alors les lois sont-elles nécessaires ? Ne peuvent-elles pas conduire au contraire à favoriser certains au détriment d’autres ?

En effet, il est toujours possible que les lois servent certains et en desservent d’autres. C’est d’ailleurs ce que soutiendra Rousseau dans ses Lettres écrites de la Montagne. Dans ce cas, les hommes pourraient être comme des bêtes sauvages dans la mesure où les uns se serviraient des lois contre les autres. Plus précisément, ce sont les chefs qui se comporteraient comme des sortes de loups dévorant le troupeau de ceux qui leur sont soumis. N’est-ce pas cela la tyrannie ?
Cependant, lorsqu’on analyse la tyrannie, force est de remarquer qu’elle est justement un pouvoir sans loi. C’est pourquoi le tyran est comme un loup. Il fait ou croit faire tout ce qui lui plait. Suivre son bon plaisir n’est pas une loi. Et on ne peut même pas parler de loi du plus fort puisque le tyran n’est jamais assez fort pour dominer. Il lui faut compter sur des alliés. Dès qu’il y a des lois, celles-ci, qu’elles prévoient une hiérarchie ou qu’elles soient les mêmes pour tous, organisent la vie en collectivité. Tout le monde y est soumis. Nul ne peut les utiliser à son propre avantage.
Plus précisément, les lois constituent le bien commun en l’absence d’un homme capable de le connaître et surtout capable de le mettre en œuvre. Il doit donc lui aussi être soumis aux lois même s’il a un poste de gouvernant. Il ne peut avoir de pouvoir qu’en fonction des lois. Même s’il fait les lois, elles ne peuvent pas ne pas s’appliquer à lui. Telle est la différence entre une cité organisée selon les lois et une tyrannie qui n’obéit à aucune loi.


Bref, Platon montre dans ce texte que les lois jouent un rôle essentiel dans la vie des hommes. Parce qu’ils ne sont pas capables par eux-mêmes d’agir pour pouvoir vivre avec les autres, elles définissent le bien commun et donc la condition pour que les hommes ne se comportent pas comme des bêtes sauvages, c’est-à-dire des animaux qui n’ont d’autre fin que de réaliser leurs impulsions au détriment des autres.

dimanche 5 avril 2020

une explication de texte de Bachelard sur l'expérience scientifique

Déjà l’observation a besoin d’un corps de précautions qui conduisent à réfléchir avant de regarder, qui réforment du moins la première vision, de sorte que ce n’est jamais la première observation qui est la bonne. L’observation scientifique est toujours une observation polémique, elle confirme ou infirme une thèse antérieure, un schéma préalable, un plan d’observation ; elle montre en démontrant ; elle hiérarchise les apparences ; elle transcende l’immédiat ; elle reconstruit le réel après avoir reconstruit ses schémas.
Naturellement, dès qu’on passe de l’observation à l’expérimentation, le caractère polémique de la connaissance devient plus net encore. Alors il faut que le phénomène soit trié, filtré, épuré, coulé dans le moule des instruments, produit sur le plan des instruments. Or les instruments ne sont que des théories matérialisées. Il en sort des phénomènes qui portent de toutes parts la marque théorique.
 BACHELARD, Le nouvel esprit scientifique (1938).


Pour expliquer ce texte, vous répondrez aux questions suivantes, qui sont destinées principalement à guider votre rédaction. Elles ne sont pas indépendantes les unes des autres et demandent que le texte soit d’abord étudié dans son ensemble.

Questions :


1. Dégagez l’idée directrice du texte et la structure de l’argumentation.
2. Expliquez :

a) « ce n’est jamais la première observation qui est la bonne ».
b) « les instruments ne sont que des théories matérialisées ».
3. Faut-il opposer l’expérience commune et l’expérience scientifique ?


Corrigé


s une inlassable recherche de la v
On se représente souvent le savant dans son laboratoire, voire à son poste d’observation, fabriquant ou scrutant, pour découvrir la vérité. Aussi peut-on s’interroger sur ce qui constitue l’expérience scientifique à proprement parler. C’est ce que fait Bachelard dans ce texte extrait de son ouvrage Le nouvel espritscientifique de 1038.


1. Bachelard veut montrer que l’expérience scientifique est toujours la réponse, positive ou négative, à une question préalable véritablement posée.
Il le montre d’abord pour l’observation, c’est-à-dire pour une expérience qui ne modifie pas intentionnellement le phénomène. En effet, elle suppose de faire attention à ce qu’on veut observer, autrement dit à réfléchir avant que de déterminer ce qu’on va voir. L’auteur en déduit que l’observation commune ou habituelle qui est première ne peut jamais être valable. Il énumère ensuite les caractères de l’observation scientifique qui résultent de sa première remarque. Elle est toujours critique. Elle vise à tester la vérité d’une idée antérieure. Elle s’insère dans un raisonnement. Elle détermine quelle apparence est première ou seconde. Elle va au-delà de ce qui se montre d’abord. Et enfin l’observation scientifique repense le réel sur la base de la théorie qu’elle réaménage.
Il indique ensuite que l’expérimentation, c’est-à-dire l’expérience qui modifie intentionnellement le phénomène à examiner, montre encore mieux le caractère critique de la science. C’est que dans l’expérimentation, le phénomène est fabriqué par des instruments. Bachelard ajoute une seconde prémisse [= proposition entrant dans une démonstration dont on tire une conséquence], à savoir que les instruments scientifiques sont la matérialisation de théories. Il déduit de ses deux prémisses que les phénomènes dans l’expérimentation sont déterminés par la théorie. C’est donc bien elle qui est première.


2. a) En écrivant que « ce n’est jamais la première observation qui est la bonne », Bachelard propose une conséquence de son analyse de l’observation scientifique qui consiste à n’observer qu’à partir d’un protocole qui vise à déterminer ce qu’il y a à regarder. Or, la première observation, ce n’est donc jamais l’observation scientifique, qui est toujours seconde. C’est donc l’observation commune. Qu’est-ce à dire qu’elle n’est jamais la bonne ? Ne peut-elle pas être vraie ? S’il est possible qu’après coup une observation commune, c’est-à-dire telle qu’elle s’opère dans la vie quotidienne se révèle vraie, il est clair que jamais elle ne l’est comme réponse à une interrogation. C’est la raison pour laquelle elle ne peut pas être vraie par elle-même. Elle n’est donc jamais légitime.

b) Lorsqu’il écrit que « les instruments ne sont que des théories matérialisés », Bachelard ajoute une prémisse à son raisonnement qui montre que dans l’expérimentation scientifique, la dimension théorique est plus importante que dans l’observation. Or, pourquoi cette définition restrictive des instruments ?
On peut distinguer, ce que ne fait pas le langage courant, les instruments des outils. Ces derniers servent à fabriquer quelque chose alors que les instruments ont aussi une dimension de connaissance. Dans l’expérimentation, les instruments utilisés servent à fabriquer le phénomène. Ils sont donc conçus pour cela. C’est pourquoi ils résultent d’une théorie au sens d’un ensemble de propositions logiquement reliées qui visent à expliquer les faits. Ils ne sont donc en aucun cas indépendant des théories scientifiques dans lesquelles ils s’insèrent.



3) Or, si une expérience scientifique a pour source une théorie scientifique, l’expérience commune peut aussi bien être conçue comme provenant d’une sorte de théorie commune. Il n’y aurait pas alors de différence entre l’une et l’autre.
Mais l’expérience scientifique tranche aussi par rapport à l’expérience commune qui paraît approximative.
On peut donc se demander s’il faut opposer l’expérience commune et l’expérience scientifique.

L’expérience commune s’oppose à l’expérience scientifique comme l’apparence à la réalité. En effet, la première ne procède pas de la réflexion. C’est pourquoi elle accepte ce qui apparaît.
La seconde ne vient qu’après une réflexion. Par exemple, les hommes dans l’Antiquité croyaient que la Terre était une déesse dont ils racontaient les aventures amoureuses. Les « philosophes » ou savants quant à eux s’interrogèrent sur elle, notamment sur sa forme. Après avoir pensé avec Thalès (vii-vi° av. J.-C.) qu’elle était un disque plat, ils conçurent des observations susceptibles de déterminer si elle n’est pas plutôt sphérique comme le montrent les travaux d’Aristote et de Strabon. Ainsi, la forme courbe réfléchie lors des éclipses de lune, la différence de perception des étoiles (Aristote, Traité du ciel) ou le bateau qui arrive progressivement à l’horizon (Strabon, Géographie) montrèrent que la Terre est ronde.
Toutefois, rien ne garantit qu’une expérience scientifique ne soit pas erronée. Ne faut-il donc pas concevoir leur opposition du point de vue de leur fonction ?

L’expérience scientifique s’oppose à l’expérience commune comme la recherche de la vérité au souci pratique. En effet, lorsque nous observons ou même lorsque nous modifions quelque chose habituellement, ce n’est pas pour trouver une vérité, mais c’est pour agir. De ce point de vue, nous sommes aussi guidés par une sorte de vague théorie pour savoir ce que nous devons voir ou faire. Mais, tant que l’action est efficace, nous ne nous posons pas de questions.
À l’inverse, comme Bachelard l’indique, l’expérience scientifique a pour fonction de confirmer ou d’infirmer une thèse antérieure. C’est dire qu’elle a la vérité pour objectif. Aussi s’oppose-t-elle à l’expérience commune qui est toujours insuffisante du point de vue de la science.
Cependant, rien ne permet d’affirmer qu’une observation ou une expérimentation ne peut pas être mise en défaut. Ne faut-il pas plutôt voir dans l’expérience scientifique un mouvement intellectuel là où l’expérience commune est plutôt figée ?

En effet, le caractère essentiel de l’expérience scientifique selon Bachelard, c’est qu’elle est polémique. C’est dire qu’elle se situe dans la remise en cause. Au contraire, l’expérience commune est la reprise et la répétition de ce qu’on a toujours cru. Un homme d’expérience, c’est en ce sens celui qui, dans un domaine, voire pour la vie humaine en général, a eu beaucoup d’expériences accumulées.
L’expérience scientifique étant polémique, est nécessairement nouvelle. Elle remet en cause ce qui a été jusque-là pensé, y compris en sciences. C’est même la condition de la recherche et donc du progrès des connaissances. Une ancienne expérience scientifique peut donc tomber dans l’expérience commune et perdre ainsi de son caractère polémique.

Disons donc pour finir que ce texte de Bachelard extrait de son ouvrage Le nouvel esprit scientifique  de 1938, montre que l’expérience scientifique rompt avec l’expérience commune en ce qu’elle implique de toujours remettre en cause nos habitudes de pensée. Fruit d’une théorie réfléchie, elle s’insère dans une inlassable et interminable recherche de la vérité.

vendredi 3 avril 2020

Explication d'un texte de Kant extrait de "Théorie et pratique" sur la liberté politique et le bonheur

Sujet.
La liberté en tant qu’homme, j’en exprime le principe pour la constitution d’une communauté dans la formule : personne ne peut me contraindre à être heureux d’une certaine manière (celle dont il conçoit le bien-être des autres hommes), mais il est permis à chacun de chercher le bonheur dans la voie qui lui semble, à lui, être la bonne, pourvu qu’il ne nuise pas à la liberté qui peut coexister avec la liberté de chacun selon une loi universelle possible (autrement dit, à ce droit d’autrui). Un gouvernement qui serait fondé sur le principe de la bienveillance envers le peuple, tel celui du père envers ses enfants, c’est-à-dire un gouvernement paternel, où par conséquent les sujets, tels des enfants mineurs incapables de décider de ce qui leur est vraiment utile ou nuisible, sont obligés de se comporter de manière uniquement passive, afin d’attendre uniquement du jugement du chef de l’État la façon dont ils doivent être heureux, et uniquement de sa bonté qu’il le veuille également, – un tel gouvernement, dis-je, est le plus grand despotisme que l’on puisse concevoir (constitution qui supprime toute liberté des sujets qui, dès lors, ne possèdent plus aucun droit).
Kant, Théorie et pratique (1793)

Pour expliquer ce texte, vous répondrez aux questions suivantes, qui sont destinées principalement à guider votre rédaction. Elles ne sont pas indépendantes les unes des autres et demandent que le texte soit d'abord étudié dans son ensemble.

Questions
1) Dégagez l’idée directrice du texte et la structure de l’argumentation.
2) Expliquez :
a) « pourvu qu’il ne nuise pas à la liberté qui peut coexister avec la liberté de chacun selon une loi universelle possible »
b) « le plus grand despotisme que l’on puisse concevoir »
3) Est-il toujours contraire à la liberté de s’occuper du bonheur d’autrui ?

Corrigé.
Remarque sur la rédaction.
Conformément aux indications données dans l'article sur la méthode des terminales technologiques, ce corrigé correspond à la forme mixte. Aussi les numéros des questions ne sont-ils mis que comme des indications.

On se plaint souvent de l’inaction du gouvernement lorsqu’il s’agit de notre bien-être, voire de notre bonheur. Et pourtant, un gouvernement qui s’occupe du bonheur des gouvernés est-il une bonne chose ?
Tel est le problème dont traite cet extrait de Théorie et Pratique de Kant.

[1)] Kant veut montrer que la recherche par chaque homme de son propre bonheur est légitime et exige un régime qu’on peut appeler républicain.
Kant commence par définir la liberté de l’homme lorsque ce dernier appartient à une communauté. Il en donne une définition négative selon laquelle aucun autre ne peut me contraindre à chercher mon bonheur comme il l’entend. Il faut comprendre que la réciproque est vraie, c’est-à-dire que je n’ai pas non plus le droit de contraindre autrui à chercher à être heureux comme moi je l’entends. Si chacun le tentait, il est clair qu’il y aurait conflit et donc la recherche du bonheur en serait rendue impossible. Kant ne veut pas dire ici qu’il y a différentes voies pour trouver le bonheur. Il veut dire que chacun a la liberté de choisir comment devenir heureux, qu’il le devienne ou non.
[2) a)] En écrivant « pourvu qu’il ne nuise pas à la liberté qui peut coexister avec la liberté de chacun selon une loi universelle possible », Kant veut énoncer la condition qui permet à chacun de chercher son bonheur comme il l’entend. En effet, si une telle liberté nuisait à celle d’autrui et réciproquement, personne n’aurait intérêt pour être heureux à se fonder sur la liberté. Mais pour que la liberté des uns et des autres puisse être en même temps, autrement dit coexiste, il faut une loi universelle possible pour le concevoir. Il faut entendre par là une loi qui est valable pour tous. Sans quoi, il serait possible que les uns aient plus de liberté que les autres et que les uns et les autres ne se nuisent pas directement en apparence. C’est pourquoi Kant ne reprend pas l’idée bien connue selon laquelle la liberté des uns s’arrête où commence celle des autres. Il en va ainsi dans les despotismes. L’absence de liberté des gouvernés s’arrête là où commence la liberté prétendument absolue du despote ou du tyran. Si la loi universelle est possible, c’est qu’il revient au pouvoir de chercher une telle loi pour chaque type d’action. Kant reformule son principe en considérant qu’il s’agit là de ce qui rend possible le droit d’autrui. On peut appeler républicain, un régime politique qui fait de l’universalité de la loi et donc de l’égalité de tous devant la loi, le principe qui régit la relation entre le gouvernement et les gouvernés.
[Retour à 1)] Pour montrer le sens de sa thèse, Kant décrit justement l’hypothèse d’un gouvernement qui procède tout autrement (il s’exprime au conditionnel). Il s’agit d’un gouvernement dont le principe est celui de la bienveillance vis-à-vis du peuple. Kant le compare à la relation entre un père et ses enfants. Il formule donc la définition d’un tel gouvernement : il est paternel. On parle parfois de paternalisme. Il en déduit que les sujets, c’est-à-dire ceux sur qui s’exerce le pouvoir, sont considérés et traités comme des enfants mineurs. Le propre de l’enfant rappelle Kant est son incapacité de décider de ce qui lui est utile ou nuisible. Autrement dit, le gouvernement paternel refuse de considérer des adultes comme des majeurs, c’est-à-dire des êtres responsables de leurs actes et donc capables de chercher par eux-mêmes leur bonheur. Il poursuit sa déduction en indiquant que les gouvernés ont l’obligation d’agir de façon passive pour deux fins : ils doivent attendre que le chef de l’État se prononce sur la façon dont ils ont à être heureux et ils doivent se contenter de sa volonté qu’ils le soient à la façon qu’il a décidée.
[2) b)] Lorsqu’il écrit alors du gouvernement paternel qu’il est « le plus grand despotisme que l’on puisse concevoir », Kant énonce quelque chose d’apparemment paradoxal. En effet, on penserait plutôt que le plus grand despotisme fût plutôt celui qui fait souffrir les gouvernés. Ce n’est donc pas le bonheur qui est la priorité pour un homme pour Kant, mais la liberté. Le gouvernement paternel, en privant les hommes de leur liberté et en leur faisant miroiter le bonheur, s’assure donc que les hommes resteront comme des enfants mineurs, c’est-à-dire ne seront jamais vraiment des hommes. Il est donc bien le plus grand despotisme dans la mesure où il masque aux hommes ce qu’il est. [Retour à 1)] Kant précise dans une parenthèse ce qu’il entend par despotisme : c’est la constitution, autrement dit l’organisation du pouvoir politique, qui supprime aux gouvernés toute liberté au sens de la possibilité de choisir et d’être responsable de soi et dès lors qui leur enlève tous les droits possibles.

[3)] Kant a montré que le pire despotisme consiste à soutenir qu’il veut faire le bonheur des hommes malgré eux. Chacun doit donc avoir le droit de le chercher comme il l’entend. Or, il y a là une thèse qui paraît totalement égoïste et donc immorale. On peut tout au contraire penser qu’il n’est en aucun cas contraire à la liberté de s’occuper des autres pour les aider. Et un gouvernement ne doit-il pas justement tout mettre en œuvre pour satisfaire les aspirations des gouvernés ? Peut-on concilier l’exigence individuelle de recherche de bonheur avec l’aide que chacun est en droit d’attendre.

Kant ne nie nullement qu’il soit possible de s’occuper des autres sans nuire à leur liberté. En effet, sa formulation est négative : il est interdit de contraindre les autres à suivre la voie que je considère comme celle du bonheur. Il est donc tout à fait moral de conseiller, de proposer aux autres de suivre certaines voies. De plus, il est moral d’aider ceux qui le demandent. Il est par contre importun de se mêler des affaires des autres car ce serait chercher à les dominer ou à les traiter comme des mineurs.
Cependant, il s’agit là d’attitudes individuelles. Qu’en est-il du gouvernement lui-même ?

Le gouvernement, s’il n’a pas à interdire aux hommes à rechercher le bonheur comme ils l’entendent, peut leur interdire de commettre des actes nuisibles, y compris pourà eux-mêmes, si l’interdiction est la même pour tous. Interdire l’alcool au volant pour prendre un exemple que Kant ne pouvait connaître, ce n’est pas priver quelqu’un d’un droit, c’est l’empêcher de nuire au bonheur des autres et au sien.
Or, n’est-on pas conduit par extension à légiférer pour toutes les actions des hommes pour répondre à leurs aspirations ?

De même que les tyrans de l’Antiquité étaient souvent soutenus par le peuple contre les aristocrates, un peuple ne peut-il pas vouloir un gouvernement paternel ? Nullement, car ce qui le distingue d’un gouvernement qui cherche à réaliser les aspirations d’un peuple, c’est que le premier nie toute responsabilité des gouvernés alors que le second cherche à proposer les conditions qui favorisent le choix. Par exemple, obliger les enfants à s’éduquer, c’est leur permettre de devenir responsable alors que veiller à ce qu’ils obtiennent des plaisirs, c’est les maintenir dans l’enfance.

Disons donc pour finir que Kant, dans cet extrait de Théorie et Pratique de 1793 (au moment où apparaît la république française) a bien montré qu’un gouvernement devait préserver d’abord la liberté des citoyens et ne s’occuper de leur bonheur qu’en leur donnant les conditions pour qu’ils puissent le rechercher comme ils l’entendent. En ce sens, il répond à l’aspiration humaine fondamentale : la liberté.