lundi 15 novembre 2021

corrigé d'une explication de texte de Locke

 Sujet

 

Expliquez le texte suivant :

C’est donc le travail qui donne à la terre la plus grande partie de sa valeur, et sans lui elle ne vaudrait pratiquement rien ; c’est à lui que nous devons la plus grande part des produits de la terre qui nous sont de quelque usage ; car tout le surplus de valeur qui se trouve dans la paille, le son[i] et le pain provenant d’une acre[ii] de terre cultivée par rapport au produit d’une terre d’aussi bonne qualité mais qui demeure inculte, tout cela est l’effet du travail. En effet, on ne doit seulement inclure, dans le pain que nous mangeons, les peines du laboureur, les fatigues du moissonneur et du batteur[iii], la sueur du boulanger ; mais également le travail de ceux qui ont dressé les bœufs, extrait et travaillé le fer et les pierres, abattu et façonné le bois dont on se sert pour fabriquer les charrues, les moulins, les fours et les nombreux autres instruments qu’exige ce blé depuis le moment où il est semé jusqu’à sa transformation en pain ; il faut, dis-je, mettre toutes ces peines au compte du travail et les tenir pour autant de ses effets : la nature et la terre n’ont fourni que la matière première qui sont presque sans valeur pour elles-mêmes. Ce serait un étrange catalogue – si nous pouvions le dresser – que celui des choses que l’industrie fournit et dont elle fait usage pour la production d’une miche de pain avant qu’elle ne soit disponible pour notre usage : le fer, le bois, le cuir, l’écorce, le bois de charpente, la pierre, le charbon, la chaux, le drap, les teintures, la poix, le goudron, les mâts, les cordes et tous les matériaux dont on s’est servi pour les bateaux qui ont apporté chacun des produits dont chacun des ouvriers s’est servi pour une partie de son travail ; mais ce serait presque impossible, et en tous cas trop long d’en faire le compte.

Locke, Second traité du gouvernement (1690)Locke n’en voit que l



[i] « son » : enveloppe des grains de blé.

[ii] « acre » : mesure de surface des terres agricoles.

[iii] « batteur » : ouvrier agricole.

 

Rédaction de la copie

Le candidat a le choix entre deux manières de rédiger l’explication de texte. Il peut : 

soit répondre dans l’ordre, de manière précise et développée, aux questions posées (option n°1); 

soit suivre le développement de son choix (option n°2). 

Il indique son option de rédaction (option n°1 ou option n°2) au début de sa copie. 

 

 

 

Questions de l’option n°1

 

A. Éléments d’analyse

1. Expliquez « la nature et la terre n’ont fourni que la matière première qui sont presque sans valeur pour elles-mêmes ».

2. Montrez comment l’exemple du pain sert l’argumentation de l’auteur. En quoi est-il particulièrement éclairant ? Donnez d’autres exemples.

3. Pourquoi l’auteur considère-t-il comme « un «étrange catalogue » le fait d’énumérer « des choses que l’industrie fournit et dont elle fait usage pour la production d’une miche de pain avant qu’elle ne soit disponible pour notre usage ».

 

B. Éléments de synthèse.

1. Quelle est la question à laquelle l’auteur tente ici de répondre ?

2. Dégagez les différents moments de l’argumentation.

3. En vous appuyant sur les éléments précédents, dégagez l’idée principale du texte.

 

C. Commentaire.

1. Une nature travaillée est-elle dépourvue de valeur ?

2. Quel sens ce texte permet-il de donner à l’idée de transformation humaine de la nature ?

 

 

Corrigé : option 2

 

Sans la nature qui nous donne les conditions de notre existence, nous ne pourrions pas vivre, encore moins jouir des bienfaits de l’existence.

Mais est-ce la nature ou l’activité humaine, soit le travail qui est la source de la valeur que nous accordons aux choses que nous utilisons ?

Telle est la question à laquelle répond Locke dans cet extrait de son Second traité du gouvernement de 1690.

Locke veut montrer que c’est le travail de l’homme qui donne de la valeur à tous les produits ou objets d’usage.

Pour le montrer, il analyse tout ce qui est nécessaire comme travail pour faire un simple morceau de pain. Il distingue ensuite la matière première que donnent la nature et la terre au travail à proprement parler pour mettre en lumière l’étendue du travail nécessaire dans le moindre des produits ou objets d’usage quotidien.

Reste que la nature est aussi objet d’admiration ; une nature travaillée est-elle dépourvue de valeur ?

On peut enfin se demander quel sens ce texte permet- de donner à l’idée de transformation humaine de la nature ? Qu’implique-t-elle pour l’homme et la nature ?

 

 

Locke énonce d’abord sa thèse selon laquelle c’est le travail qui fait l’essentiel de la valeur à la terre. Aussi en déduit-il que sans travail la terre n’aurait pas de valeur ou très peu. Ce qu’est le travail selon Locke, c’est le fait de faire des produits dont nous faisons usage. Pour le montrer, il prend un exemple remarquable, à savoir celui du pain dans une série qui comprend, la paille et le son. Ces produits sont l’effet du travail de façon évidente pour le lecteur de la fin du XVII°, et pour nous encore.

Il énumère alors tous les efforts, les peines, autrement dit le travail dont l’étymologie admise (comme le trabajo des Espagnols), le latin tripalium, désigne un instrument où on attachait les esclaves pour les torturer et donc l’idée de souffrances. Il faut, outre ceux qui font le pain, inclure le travail de ceux qui en ont préparé les matériaux, les agriculteurs, mais aussi, l’extraction minière pour faire les instruments. Autrement dit, l’exemple du pain qui paraît si banal, montre l’étendue du travail humain qui font la valeur des produits d’usage quotidien. On pourrait illustrer par des exemples d’autres produits alimentaires, y compris les produits de la pêche qui exige de prendre en compte les travaux de fabrications des bateaux, des filets ou des cannes et des hameçons. De même les vêtements exigent de multiples travaux, à tel point qu’en ce début de XXI° siècle, un produit d’usage peut provenir de travaux venant de toute la Terre.

 

Si donc le travail fait l’essentiel de la valeur des produits, quel rôle jouent la nature et la terre ?

Locke considère que la nature et la terre fournissent la matière première. Qu’entendre par là ? lorsqu’on fabrique quelque chose, on utilise des outils, mais aussi des produits de la nature, par exemple un arbre qu’on va abattre pour faire un bateau. Ainsi, c’est la nature qui fournit la matière première ou la terre où l’arbre a poussé de lui-même pour parler comme Aristote dans sa Physique. la matière première au sens propre est ce sur quoi s’exerce l’activité humaine, mais qui n’a pas été modifié. Nombre de matières premières sont en réalité secondes dans la mesure où elles ont été produites par l’homme, comme les planches qu’utilise le menuisier.

 

Peut-on savoir tout ce qu’il y a de travail humain dans les objets d’usage ?

Locke note que ce serait « un étrange catalogue » que celui de tout ce qui est nécessaire pour faire une simple miche de pain. Il s’interroge même sur la possibilité de dresser un tel catalogue qu’il commence. Or, ce catalogue est disparate puisqu’il inclut des produits qui n’ont rien à voir avec le pain, comme le goudron et les cordes, produits qui entrent quand même dans la fabrication du pain que l’on mange. C’est cette disparité qui fait l’étrangeté du catalogue des produits nécessaires pour obtenir la miche de pain dont on dispose.

Il n’en reste pas moins vrai que tous les produits sont nécessaires. Aussi, on voit que la transformation humaine de la nature est multiforme.

 

Selon Locke, non transformés les produits de la nature sont quasiment sans valeur. Or, si tel est le cas pour la production, le rapport de l’homme à la nature n’est peut-être pas seulement celui de la transformation. Dès lors, une nature non travaillée est-elle dépourvue de valeur ?

 

Du point de vue de la production, c’est la nature travaillée, c’est-à-dire modifiée, voire détruite, qui a de la valeur comme produits dont les hommes font usage. C’est ce qui découle de la thèse de Locke selon laquelle le travail humain fait l’essentiel de la valeur des objets d’usage. Certes, la nature non travaillée peut être utilisée parfois directement, comme l’eau qu’on trouve pour boire dans certaines rivières ou sources naturelles. De même le feu naturel que l’homme a su utiliser pour faire cuire ses aliments, voire se défendre des prédateurs, il y a des centaines de milliers d’année. La valeur alors dépend des besoins humains, autrement dit a une valeur ce qui satisfait un besoin humain.

Mais on peut aussi trouver une satisfaction dans la contemplation de la nature vierge ou qui nous paraît telle parce que sa transformation a été très longue comme le note Claude Lévi-Strauss dans Tristes tropiques. L’homme apprécie les beautés de ce qui se développe par lui-même et qui se présente gratuitement à lui.

Ainsi l’homme religieux peut célébrer la nature comme œuvre de Dieu, donnée à l’homme pour qu’il puisse vivre, œuvre qui est un don et non l’effet d’un effort.

 

Comment comprendre alors dans ce texte l’idée de transformation humaine de la nature ?

Il semble que Locke n’en voit que l’aspect positif. Or, à son époque déjà l’agriculture avait produit une grande déforestation. De même la colonisation de l’Amérique du nord conduisait non seulement au même processus, mais aussi à la destruction de peuples entiers, dépossédés de leur rapport à la nature.

Transformer la nature repose pour Locke sur le travail humain qui ne considère la nature que comme une matière première. L’homme est pensé comme extérieur à la nature, comme si elle était destinée à son usage et à sa seule utilité.

L’idée de transformation humaine de la nature de Locke la destitue de toute valeur, ce qu’elle donne à l’homme, sa valeur esthétique, sont totalement négligés.

 

En un mot, Locke veut montrer dans ce texte que c’est le travail humain, c’est-à-dire la peine prise à transformer la matière première pour satisfaire un besoin humain qui donne son sens à la transformation humaine de la nature.

Toutefois, il néglige ainsi la beauté de la nature ainsi que les destructions naturelles et humaines qui accompagnent le travail humain.