mardi 15 novembre 2022

corrigé du sujet: La liberté d'expression autorise-t-il de soutenir n'importe quelle opinion?

En démocratie, la liberté d’expression, c’est-à-dire le droit accordé aux individus d’énoncer ce qu’ils pensent, apparaît comme indispensable pour que les citoyens puissent savoir quel sont les projets des uns et des autres pour la communauté.  Elle n’a aucune limite sans quoi, des opinions seraient interdites, donc des points de vue qui peuvent intéresser le public. La liberté d’expression autorise, c’est-à-dire permet de soutenir n’importe quelle opinion.

Toutefois, elle peut alors être utilisée pour détruire la démocratie et la liberté d’expression avec elle de sorte qu’il faudrait la limiter.

On peut donc se demander s’il est possible de fixer des limites à la liberté d’expression sans la détruire et donc fixer quelle opinion doit être bannie. La liberté d’expression autorise bien à soutenir n’importe quelle opinion, mais la liberté d’expression n’autorise pas à soutenir les opinions qui conduisent à sa disparition. aussi la loi doit-elle limiter la liberté d’expression comme tout droit.

 

 

La liberté d’expression doit et peut être totale. Ainsi les États-Unis par le premier amendement de leur constitution : « Le Congrès ne fera aucune loi qui touche l'établissement ou interdise le libre exercice d'une religion, ni qui restreigne la liberté de parole ou de la presse, ou le droit qu'a le peuple de s'assembler paisiblement et d'adresser des pétitions au gouvernement pour la réparation de torts dont il se plaint. » admette une liberté d’expression totale. Elle permet notamment aux négationnistes d’être hébergés sur des sites aux États-Unis. En ce sens John Stuart Mill (1806-1973) dans De la liberté (1859) soutenait que seuls les actes peuvent être interdits dan la mesure où ils nuisent à autrui ; les opinions quelles qu’elles soient doivent être autorisées dans la mesure où elles ne nuisent pas en tant que telles à autrui.

Tolérer ainsi les intolérants n’est pas contradictoire dans la mesure où il n’y a pas de danger immédiat de voir supprimer la liberté d’expression comme le soutient John Rawls (1921-2002) dans sa Théorie de la justice(1971).

Quant aux opinions insultantes ou irrespectueuses, elles peuvent être combattues juridiquement par les lois qui interdisent les atteintes à l’honneur de la personne.

 

Cependant, accorder une liberté totale d’expression n’a de valeur que pour un pays habitué à la liberté et pour qui c’est une valeur pluriséculaire comme les États-Unis dont les colonies étaient déjà fondées sur la liberté d’expression que les immigrants venaient chercher en fuyant la vieille Europe, de sorte que l’interdiction de certaines opinions menaçant la liberté d’expression est peut-être le meilleur moyen pour qu’elle ne disparaisse pas là où manque cette tradition, voire pour qu’elle puisse s’établir.

 

 

Si on admet les opinions qui sont contraires à la liberté d’expression, qu’elles soient celles d’idéologies qui prétendent connaître les lois régissant la nature ou l’histoire, ou qu’elle soient celles de certaines religions à prétention politique, interdire l’expression de ses opinions, c’est garantir la possibilité que la liberté d’expression perdure. Spinoza déjà dans le Traité théologico-politique (anonyme, 1670) soutenait que les opinions séditieuses pouvaient être interdites par l’État. Il entendait par là celles qui incitent à rompre avec l’État. Dans un État démocratique, présenter une idéologie ou une religion comme seules légitimes, c’est refuser le pluralisme et la libre discussion des opinions avec ceux qui ne pensent pas droitement, c’est donc chercher à détruire la liberté d’expression.

Ainsi en Allemagne, la cour constitutionnelle de Karlsruhe, veille à ce que nul ennemi de la liberté ne puisse sévir ; en ce sens, elle avait interdit le parti communiste en 1956 dans ce qui était la République fédérale d’Allemagne. La démocratie a été préservée ainsi en Allemagne alors que la république de Weimar avait été supprimée par les nazis qui supprimèrent la liberté d’expression dont il s’était servi.

Il faut donc contrairement à ce que soutient John Rawls ne pas tolérer les intolérants. Ce n’est pas une menace pour la liberté d’expression elle-même : il faut garantir le droit de chacun de faire valoir l’innocuité de ses positions.

Ainsi, les opinions insultantes et dégradantes doivent être interdites parce qu’elles suscitent des conflits susceptibles de se transformer en actes violents.

 

Néanmoins, désigner a priori les opinions interdites même sur la base d’une expérience historique douloureuse comme celle de l’Allemagne, risque de conduire à refuser l’expression des opinions d’une partie non négligeable du peuple, ce qui est contradictoire du point de vue démocratique. Ne faut-il pas plutôt définir par la loi ce qui est permis et ce qui est interdit ?

 

 

Toutes les libertés doivent être limitées sous peine que leur abus soit destructeur. Il faut distinguer les actes et les expressions. Les premiers produisent des effets, les seconds non. Mais, certaines expressions sont comme des actes : ce sont les performatifs dont parlait John Austin (1911-1960), dans Quand dire c’est faire(How to do Things with Words, 1962),  c’est-à-dire les paroles qui réalisent les actes. On peut donc les condamner à ce titre. 

On doit donc s’en remettre à la loi pour définir les expressions légitimes. Ainsi la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 intégré dans la constitution de la quatrième république puis dans celle de la cinquième stipule dans son article 11 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi. »

Ainsi est-ce la légitimité démocratique qui fixe les limites de la liberté d’expression et interdit de soutenir n’importe quelle opinion. Les ennemis de la liberté d’expression sont ainsi condamnables dans la mesure où ils veulent la détruire en posant leur idéologie ou leur religion comme seule légitime.

De la même façon, les opinions insultantes peuvent être interdites par la loi, en tant qu’elles nuisent à l’estime de soi de l’individu, voire du groupe auquel il appartient.

 

En un mot, le problème était de savoir s’il est possible de fixer des limites à la liberté d’expression sans la détruire et donc fixer quelle opinion doit être bannie. En première analyse la liberté d’expression autorise bien à soutenir n’importe quelle opinion dans une démocratie qui garantit à chacun qu’il puisse participer à la vie publique. néanmoins la liberté d’expression n’autorise pas à soutenir les opinions qui conduisent à sa disparition. Aussi la loi doit-elle limiter la liberté d’expression comme tout droit et ainsi la protéger des opinions qui sont des actes destructeurs.