dimanche 23 septembre 2018

Textes pour un sujet : La raison s'oppose-t-elle toujours au préjugé ?

Lorsque, dans les matières qui se fondent sur l’expérience et le témoignage, nous bâtissons notre connaissance sur l’autorité d’autrui, nous ne nous rendons ainsi coupables d’aucun préjugé ; car, dans ce genre de choses, puisque nous ne pouvons faire nous-mêmes l’expérience de tout ni le comprendre par notre propre intelligence, il faut bien que l’autorité de la personne soit le fondement de nos jugements. - Mais lorsque nous faisons de l’autorité d’autrui le fondement de notre assentiment (1) à l’égard de connaissances rationnelles, alors nous admettons ces connaissances comme simple préjugé. Car c’est de façon anonyme que valent les vérités rationnelles ; il ne s’agit pas alors de demander : qui a dit cela ? mais bien qu’a-t-il dit ? Peu importe si une connaissance a une noble origine ; le penchant à suivre l’autorité des grands hommes n’en est pas moins très répandu tant à cause de la faiblesse des lumières personnelles que par désir d’imiter ce qui nous est présenté comme grand.

KantLogique(1800)
(1) donner son assentiment : approuver et tenir pour vrai.




L’esprit a une structure variable dès l’instant où la connaissance a une histoire. En effet, l’histoire humaine peut bien, dans ses passions, dans ses préjugés, dans tout ce qui relève des impulsions immédiates, être un éternel recommencement ; mais il y a des pensées qui ne recommencent pas ; ce sont les pensées qui ont été rectifiées, élargies, complétées. Elles ne retournent pas à leur aire restreinte ou chancelante. Or l’esprit scientifique est essentiellement une rectification du savoir, un élargissement des cadres de la connaissance. Il juge son passé historique en le condamnant. Sa structure est la conscience de ses fautes historiques. Scientifiquement, on pense le vrai comme rectification historique d’une longue erreur, on pense l’expérience comme rectification de l’illusion commune et première.

BachelardLe nouvel esprit scientifique(1934)




Le préjugé héréditaire est une sorte de raison qui s’ignore. Il a ses titres aussi bien que la raison elle-même ; mais il ne sait pas les retrouver ; à la place des bons, il en allègue d’apocryphes. Ses archives sont enterrées ; il faut pour les dégager des recherches dont il n’est pas capable ; elles subsistent pourtant, et aujourd’hui l’histoire les remet en lumière. – Quand on le considère de près, on trouve que, comme la science, il a pour source une longue accumulation d’expériences : les hommes, après une multitude de tâtonnements et d’essais, ont fini par éprouver que telle façon de vivre ou de penser était la seule accommodée à leur situation, la plus praticable de toutes, la plus bienfaisante, et le régime ou dogme qui aujourd’hui nous semble une convention arbitraire a d’abord été un expédient avéré de salut public. Souvent même il l’est encore ; à tout le moins, dans ses grands traits, il est indispensable, et l’on peut dire avec certitude que, si dans une société les principaux préjugés disparaissaient tout d’un coup, l’homme, privé du legs précieux que lui a transmis la sagesse des siècles, retomberait subitement à l’état sauvage et redeviendrait ce qu’il fut d’abord, je veux dire un loup inquiet, affamé, vagabond et poursuivi.
Hyppolite Taine(1828-1893), Les origines de la France contemporaine(1875-1893).

Aristophane, douceur de la vie aux champs

TRYGÉE.
Par Zeus ! c’est une belle chose qu’un hoyau bien emmanché ; et les fourches à trois pointes brillent vivementau soleil. Elles nous servent à aligner comme il faut les rangées d’arbres. Comme je souhaite depuis longtemps rentrer moi-même dans mon champ et retourner avec ma pioche mon petit terrain ! Ah ! souvenez-vous, mes amis, de la vie d’autrefois, que nous procurait la Déesse, cabas, figues, myrtes, vin doux, diaprures de violettes près du puits, oliviers que nous regrettons ! En mémoire de tous ces biens, adorez aujourd'hui la Déesse !
LE CHOEUR
Salut ! Salut ! Combien nous attendrit ta venue, ô Déesse bien-aimée ! Je suis consumé du regret de ton absence et je veux ardemment retourner aux champs. En effet, tu étais pour nous un grand bien, ô Déesse regrettée, pour nous tous qui menons la vie champêtre (γεωργὸν βίον) : seule, tu nous venais en aide. Nous goûtions, grâce à toi et depuis longtemps, mille douceurs gratuites et délicieuses. Tu étais, pour les agriculteurs, les grillades de froment et la santé. Aussi les vignes, les jeunes figuiers, toutes les plantes sourient de joie à ton approche.

Aristophane, La Paix(421 av. J.-C.)

samedi 22 septembre 2018

Hésiode La malédiction du travail

En effet, les dieux ont caché aux hommes les ressources de la vie ; sinon, le travail d’un seul jour suffirait pour te procurer la nourriture d’une année entière, même sans rien faire. Vite, tu irais suspendre le gouvernail au-dessus de la fumée ; les travaux des bœufs et des mules laborieuses cesseraient. Mais Zeus cacha ces ressources, irrité, dans son âme, parce que Prométhée à l’esprit retors l’avait trompé. Voilà pourquoi il médita de créer aux hommes de tristes soucis. Il cacha le feu ; de nouveau alors, le noble fils de Japet trompa la vigilance de Zeus qui lance la foudre et lui déroba le feu, pour les hommes, dans le creux d’une férule. Dans son courroux, Zeus, l’assembleur de nuées, lui dit : « Fils de Japet, toi qui en sais plus que les autres, tu te réjouis d’avoir volé le feu et d’avoir trompé mon âme : voilà une cause de grand malheur pour toi, comme pour les hommes de demain ; je leur donnerai, moi, un fléau, en place du feu ; ils s’en réjouiront tous dans leur coeur et entoureront d’amour leur propre mal. »
Il parla ainsi, puis se mis à rire, le père des Dieux et des hommes. Et il donna, à l’illustre Héphaïstos, l’ordre de former immédiatement un mélange de terre et d’eau, d’y introduire la voix et la vigueur vitale de l’être humain, et d’en faire un beau corps aimable de jeune fille, semblable, par sa forme, aux déesses immortelles. Ensuite, Athéna devait l’initier à ses travaux : le tissage de la toile bien ouvragée ; Aphrodite d’or devait répandre la grâce, autour du visage, avec le désir angoissant et les soucis qui rongent les membres. À Hermès, le tueur d'Argos, il ordonna de mettre en elle un caractère de chien et un esprit habile en dissimulation. Il dit, et les dieux obéirent à Zeus souverain, fils de Cronos. Aussitôt le célèbre Boiteux façonna, avec de la terre, un corps semblable à une vierge timide, selon les volontés du Cronide. Athéna, la déesse aux yeux étincelants, la para d’une ceinture et de vêtements. À son cou, les Grâces divines et l’auguste Persuasion attachèrent des colliers d’or, et les Heures à la belle chevelure la couronnèrent de fleurs printanières. Pallas Athéna disposa, sur son corps, toute la parure. Alors, dans son sein, le tueur d’Argos forma les mensonges, les propos séducteurs et un caractère perfide, par le vouloir de Zeus qui tonne lourdement ; en elle, le héraut des dieux plaça le langage ; et il donna à cette femme le nom de Pandore, parce que tous les habitants de l'Olympe avaient offert ce présent, ce fléau pour les hommes mangeurs de pain. Puis, quand il eut bien achevé sa ruse profonde, insurmontable, le père des dieux envoya à Épiméthée, pour lui amener le présent divin, l’illustre tueur d'Argos, le rapide messager. Épiméthée ne se souvint pas que Prométhée lui avait dit de ne jamais accepter un don de Zeus Olympien, mais de le lui renvoyer, de peur qu’il n’en advînt quelque mal pour les mortels. Il l’accepta donc, et, quand il eut le mal, il comprit.
Autrefois les tribus des hommes vivaient, sur la terre, à l’abri des maux, de la pénible fatigue et des maladies douloureuses qui donnent la mort aux humains. Mais la femme ayant, de ses mains, soulevé le couvercle de la jarre, laissa les maux se répandre et prépara, pour les hommes de tristes soucis. Seul, l’Espoir restait où il était, dans son infrangible prison, à l’intérieur de la jarre, près des lèvres du vase, car la femme le devança et replaça le couvercle, selon la volonté de Zeus qui tient l’égide, l’assembleur de nuées. Mais d’autres misères, par milliers, errent parmi les mortels : la terre est remplie de maux, la mer en est remplie. Soit le jour, soit la nuit, à leur fantaisie, les maladies s’en vont à l’aventure porter le mal aux hommes, silencieusement, car le prudent Zeus leur a retiré la parole. C’est ainsi, qu’il est tout à fait impossible d’échapper aux desseins de Zeus.
Hésiode,Les Travaux et les Jours(fin du VIII° siècle av. J.-C.).

jeudi 20 septembre 2018

Hésiode éloge du travail

En vérité, il n’est pas qu’une sorte de Lutte, mais, sur terre, il en est deux, l’une sera louée de qui l’aura connue, l’autre est condamnable c’est qu’elles ont un caractère tout opposé. Celle-ci favorise les fléaux de la guerre et de la discorde, la cruelle ! pas un mortel ne l’aime, mais, contraints par la volonté des immortels, les hommes rendent un culte à cette Lutte accablante. 
Quant à l’autre, son aînée, ce fut la Nuit ténébreuse qui l’enfanta, et le Cronide, qui siège dans l’éther, sur son trône élevé, la plaça aux racines de la terre et la fit bien meilleure pour les hommes ; celle-là pousse au travail même l’indolent aux mains oisives ; car l’homme qui néglige le travail, s’il porte ses regards sur un autre homme devenu riche, s’empresse à labourer, à planter et à mettre du bien dans sa maison ; le voisin envie le voisin ardent à s’enrichir. Cette Lutte est bonne aux mortels. Le potier est jaloux du potier et le charron du charron ; le mendiant porte envie au mendiant et l’aède à l’aède.
Hésiode, Les Travaux et les Jours (fin VIII° siècle av. J.-C.)

dimanche 16 septembre 2018

Socrate fait l'éloge de l'agriculture (texte)

[1] « Ce que je te dis là, Critobule, continua Socrate, n’est que pour t’apprendre que même les plus heureux des hommes ne peuvent se passer de l’agriculture. Sans contredit, le soin qu’on y apporte est une source de plaisir, de prospérité pour la maison, et d’exercice pour le corps, qu’elle met en état d’accomplir tous les devoirs d’un homme libre. [2] Et d’abord, tout ce qui est essentiel à l’existence, la terre le procure à ceux qui la cultivent ; et les douceurs de la vie, elle les leur donne par surcroît. Ensuite, les parures des autels et des statues, celles des hommes eux-mêmes, avec leur cortège de parfums suaves et de délices pour la vue, c’est encore elle qui les fournit. [3] Viennent encore mille aliments qu’elle produit ou qu’elle développe : car l’élève des troupeaux se lie étroitement à l’agriculture ; de telle sorte qu’elle nous donne de quoi sacrifier pour apaiser les dieux et subvenir à nos propres besoins.
[4] « D’ailleurs, en nous offrant une variété si abondante, elle n’en fait point le prix de la paresse ; elle nous apprend à supporter les froids de l’hiver et les chaleurs de l’été. L’exercice qu’elle impose à ceux qui cultivent la terre de leurs mains leur donne de la vigueur ; et, quant à ceux qui surveillent les travaux, elle les trempe virilement en les éveillant de bon matin, et en leur faisant faire de longues marches.
« En effet, aux champs, de même qu’à la ville, c’est à heure fixe que se font les opérations les plus essentielles. [5] Si l’on veut avoir un cheval bon pour le service de l’État, l’agriculture est ce qu’il y a de mieux fait pour nourrir ce cheval ; si l’on veut servir dans l’infanterie, elle vous fait le corps vigoureux. La terre ne favorise pas moins les plaisirs du chasseur, puisqu’elle offre une nourriture facile aux chiens et au gibier. [6] D’autre part, si les chevaux et les chiens reçoivent des services de l’agriculture, ils les lui rendent à leur tour : le cheval, en portant l’inspecteur aux champs de grand matin et en lui donnant la faculté d’en revenir tard ; le chien, en empêchant les animaux sauvages de nuire aux productions et aux troupeaux, et en assurant la tranquillité de la solitude.
[7] « La terre encourage aussi les cultivateurs à défendre leur pays les armes à la main, par ce fait même que ses productions sont offertes à qui veut, et la proie du plus fort. [8] Est-il, en outre, un art qui, mieux qu’elle, rende apte à courir, à lancer, à sauter ; qui paye d’un plus grand retour ceux qui l’exercent ; qui offre plus de charmes à ceux qui s’y livrent ; qui tende plus généreusement les bras à qui vient lui demander ce qu’il lui faut ; qui fasse à ses hôtes un accueil plus généreux ? [9] En hiver, où trouver mieux un bon feu contre le froid ou pour les étuves qu’à la campagne ? En été, où chercher une eau, une brise, un ombrage plus frais qu’aux champs ? [10] Quel art offre à la divinité des prémices plus dignes d’elle, ou célèbre des fêtes plus splendides ? En est-il qui soit plus agréable aux serviteurs, plus délicieux pour l’épouse, plus désirable pour les enfants, plus libéral pour les amis ? [11] Quant à moi, je serais surpris qu’un homme libre cherchât une position plus attrayante, ou une occupation plus agréable et plus utile à la vie. [12] Ce n’est pas tout : la terre enseigne d’elle-même la justice à ceux qui sont en état de l’apprendre ; car ceux qui s’appliquent le plus à la cultiver, elle leur rend le plus de bienfaits. [13] Que quelque jour de nombreuses armées viennent arrêter dans leurs travaux ceux qui vivent aux champs, où ils puisent une éducation forte et virile, cette excellente préparation de l’âme et du corps leur permettra, si Dieu n’y met obstacle, de marcher sur les terres de ceux qui les dérangent et de leur prendre de quoi se nourrir. Souvent même, à la guerre, il est plus sûr d’enlever sa nourriture à la pointe des armes qu’avec les instruments aratoires.
[14] « L’agriculture nous apprend encore à nous aider les uns les autres : car pour marcher contre les ennemis il faut des hommes, et c’est avec des hommes que se façonne la terre. [15] Celui donc qui veut être bon cultivateur doit se préparer des ouvriers actifs et prêts à obéir ; de même que celui qui marche contre les ennemis doit avoir pour système de récompenser ceux qui font ce que doivent faire des hommes de cœur, et de punir ceux qui manquent à la discipline. [16] Ainsi le cultivateur ne doit pas encourager moins souvent ses travailleurs, que le général ses soldats. L’espérance, en effet, n’est pas moins nécessaire aux esclaves qu’aux hommes libres ; elle l’est même davantage, afin qu’ils veuillent rester.
[17] « On a dit une grande vérité, que l’agriculture est la mère et la nourrice des autres arts : dès que l’agriculture va bien, tous les autres arts fleurissent avec elle ; mais partout où la terre est forcée de demeurer en friche, presque tous les autres arts s’éteignent et sur terre et sur mer. »
Xénophon, Économiques, chapitre V (extrait)

samedi 8 septembre 2018

Document : La sphéricité de la Terre dans l'Antiquité

On peut encore démontrer la sphéricité de la terre par les phénomènes qui frappent nos sens. Ainsi, si l’on supposait que la terre n’est pas sphérique, les éclipses de lune ne présenteraient par les sections qu’elles présentent, dans l’état actuel des choses ; car la lune, dans ses transformations mensuelles, affecte toutes les divisions possibles, tantôt demi-pleine, tantôt en croissant, tantôt pleine aux trois quarts ; mais dans les éclipses, la ligne qui la termine est toujours courbe. Par conséquent, comme la lune ne s’éclipse que par l’interposition de la terre, il faut bien que ce soit la circonférence de la terre, qui, étant sphérique, soit cause de cette forme et de cette apparence.
Bien plus, d’après la manière même dont les astres se montrent à nous, il est prouvé que non seulement la terre est ronde, mais même qu’elle n’est pas très grande ; car il nous suffit de faire un léger déplacement, soit au midi, soit au nord, pour que le cercle de l’horizon devienne évidemment tout autre. Ainsi les astres qui sont au-dessus de notre tête subissent un changement considérable, et ils ne nous semblent plus les mêmes, selon qu’on va au midi, ou au nord. Il y a certains astres qu’on voit en Égypte et à Chypre, et qu’on ne voit plus dans les contrées septentrionales. Certains astres, au contraire, qu’on voit constamment dans les contrées du nord, se couchent quand on les considère dans les contrées que je viens de nommer. Ceci prouve non seulement que la forme de la terre est sphérique, mais encore que sa sphère n’est pas grande ; car autrement on ne verrait pas de tels changements pour un déplacement si petit.
Ainsi, quand on suppose que le pays qui est aux colonnes d’Hercule (1) va se rejoindre au pays qui est vers l’Inde, et qu’ainsi il n’y a qu’une seule et unique mer, on ne me paraît pas faire une supposition par trop incroyable. On cite entr’autres preuves les éléphants, dont l’espèce se retrouve à ces deux extrémités du globe ; ce qui n’est possible que si ces deux extrémités se tiennent et se rejoignent en effet.
AristoteTraité du ciel(iv° siècle av. J.-C.)

(1) colonnes d’Hercule : nom chez les Grecs du détroit de Gibraltar. Christophe Colomb (1451-1506) connaissait cette thèse d’Aristote qui a vraisemblablement inspiré son voyage.

Preuve empirique de Strabon (58 av. J.-C.-25 ap. J.-C.) qui montre la sphéricité de la Terre.










Schéma de la méthode d'Erathostène (274-194 av. J.-C.) pour mesurer la circonférence de la Terre

Gnomon (n.m.) : instrument formé d’une tige verticale projetant l’ombre du soleil ou de la lune sur un écran horizontal et permettant ainsi de mesurer leur hauteur au-dessus de l’horizon.










1. Leçon sur la raison et la croyance

Introduction.
La croyance consiste à accepter une idée sans preuve. Soit elle porte sur un fait soit elle concerne une personne. Ex : je crois que Sydney existe ou je crois que Henri IV a existé ; je crois en mon ami Gontran ou en mon amie Cunégonde. La deuxième forme de croyance est la foi (ex : avoir foi en Dieu).
La raison, c’est la faculté de lier des idées. D’où le raisonnement. C’est elle qui nous invite à chercher des preuves pour savoir et non simplement croire. Elle pourrait se définir comme la faculté qui nous permet de distinguer le vrai du faux, voire le bien du mal.
Ex : la Terre est ronde : c’est une croyance.
Ex : la Terre est ronde car lors des éclipses de Lune, on voit toujours une forme courbe (cf. Le document : La sphéricité de la Terre dans l’Antiquitéhttp://laphilodeluxe.blogspot.com/2018/09/document-la-sphericite-de-la-terre-dans_8.html) : c’est une connaissance.
La raison semble préférable à la croyance, non pas pour persuader car la croyance le permet, mais pour découvrir la vérité et en être alors convaincu.
Toutefois, il y a des cas où chercher à prouver n’est peut-être pas la meilleure solution. Par exemple, dans l’amitié ou l’amour.
De la raison ou de la croyance, laquelle est préférable et dans quel domaine ?

I. « Penser est une aventure ».
Si la raison veut pouvoir s’exercer et donc chercher des preuves, elle doit refuser toutes les croyances. Sinon, elles influeront sur ce que l’esprit accepte ou pas. Ainsi voit-on certaines croyances religieuses conduire à refuser certaines hypothèses à tester. Par exemple, le passage de la Bible (Josué 10 : 12) où Dieu est censé arrêter la course du Soleil pour aider les armées de Josué, a servi à refuser l’hypothèse d’une Terre en mouvement autour du Soleil.
Il faut donc que la raison remette tout en cause, qu’elle doute de tout, y compris de ce qu’on croit savoir. Dès lors, on peut dire avec Alain que « Penser est une aventure » (Propos sur la religion (1938), LVI Le dieu égyptien, propos du 29 octobre 1923).
Car, qui exerce sa raison ne peut savoir ce qui en résultera. Et l’aventure est préférable à la routine qui ne nous permet pas de savoir quoi que ce soit.Or, dans cette hypothèse, il n’y aurait aucune pensée à laquelle on pourrait s’arrêter. Et surtout on ne pourrait jamais commencer de penser. Ne faut-il pas alors admettre sans (les) discuter certaines idées ? Comment les admettre ?

II. Le cœur et la raison.
Il faut qu’il y ait des principes pour qu’on puisse user de la raison. Par principe, il faut entendre une proposition, vraie, indémontrable et qui sert à démontrer d’autres propositions (éventuellement avec l’aide d’autres principes). Les propositions démontrées sont des conséquences. C’est ce que font les mathématiciens par exemple.
Si on n’admet pas des principes, alors, le seul usage possible de la raison consistera à refuser toute possibilité de démontrer ou de prouver une vérité. Car, comme on ne peut démontrer à l’infini, ce sur quoi on s’appuiera ne sera qu’une simple hypothèse, c’est-à-dire une proposition dont on ne sait si elle est vraie ou fausse. Telle est la position des sceptiques (comme Sextus Empiricus), c’est-à-dire des philosophes pour qui la vérité est inconnaissable.
Or il y a une contradiction dans la position des sceptiques puisqu’ils usent de la raison tout en lui refusant la possibilité d’atteindre le vrai. Il faut donc admettre des principes mais d’où peuvent-ils venir ?
On peut donc avec Pascal dans les Pensées distinguer le cœur et la raison. Le premier permet de connaître les premiers principes, c’est-à-dire les propositions qui sont à la base de toute connaissance. La vérité des principes se sent ; elle ne se conclut pas. Et c’est à partir de ses principes qu’on peut déduire à titre de conséquences d’autres vérités : tel est le rôle de la raison.
Il est alors possible d’admettre les vérités de la foi comme des vérités du cœur. C’est vrai de la confiance qu’on a dans les autres et également des croyances religieuses. Car la raison ne peut les réfuter.
Toutefois, si dans les sciences, il y a des principes, ils sont valables universellement et surtout l’expérience peut venir les remettre en cause. Par contre, comment savoir si c’est le judaïsme, le christianisme, l’islam ou l’hindouisme qui est la vraie religion, voire s’il y en a une ?
Il n’est donc pas possible de toujours faire confiance au cœur. Si donc ni la croyance ni la raison ne peuvent prétendre atteindre la vérité, laquelle peut toutefois être préférée ou bien faut-il choisir arbitrairement l’une ou l’autre ?

III. La valeur de la philosophie.
On peut considérer que les simples croyances, si elles permettent de vivre, ne permettent en aucun cas d’avoir l’esprit ouvert. Qui se contente de répéter les croyances qui ont cours dans sa société, voire dans le petit groupe de ceux avec qui il vit, est en quelque sorte enfermé dans un cercle étroit de “pensées”. Non seulement il ne peut découvrir de vérités, mais il ne peut corriger ses erreurs. Il ne peut même concevoir ce qui est différent de son point de vue.
Si donc la raison dans son exercice ne peut garantir de découvrir la vérité, elle peut suggérer des possibilités en remettant en cause les croyances admises. C’est en ce sens que la philosophie a une valeur dans la mesure où elle est un exercice de la raison. Elle conduit comme Russell le montre dans ses Problèmes de la philosophie à ouvrir l’esprit. C’est bien le doute qui résulte de l’exercice de la raison qui conduit à libérer l’esprit de ses préjugés. Tout au moins, à en éliminer provisoirement certains. Si au bout de l’exercice de la raison se trouve la croyance, voire la foi, alors, elle est un résultat qui peut toujours être remis en cause. La croyance est alors éclairée. Le dogmatisme au sens courant, c’est-à-dire le refus de toute pensée autre, est limité, voire éradiqué.

Bilan.
On ne peut préférer la raison à la croyance dans la mesure où la première ne permet pas seule de découvrir la vérité, ni la croyance à la raison dans la mesure où elle ne peut garantir non plus la découverte de la vérité. On peut par contre s’appuyer sur la raison pour remettre en cause les croyances qu’on nous inculque et ainsi s’ouvrir l’esprit.
Pour découvrir la vérité, ne faut-il pas alors s’en tenir à l’expérience ?