On montre souvent le savant
s’opposer à la religion ou aux idées reçues. Est-ce à dire que le savoir
s’établit contre la croyance ?
Ce qui donne à le penser est que
le savoir repose sur des preuves et que pour chercher des preuves et
éventuellement en trouver, il faut rompre avec la croyance qui consiste à tenir
quelque chose pour vrai sans preuve.
Pourtant, le savant ne peut pas
tout remettre en cause constamment et donc doit bien croire, voire croire pour
savoir.
Dès lors, le savoir s’établit-il
contre la croyance ou bien est-il possible avec certaines croyances et si oui lesquelles ?
C’est contre la croyance que le
savoir s’établit, mais il lui faut certaines croyances, qu’il peut toutes
transformer de façon à véritablement s’établir.
Que le savoir s’établisse contre
la croyance se montre au fait que souvent la science s’est opposé aux croyances
religieuses, les plus absolues des croyances où la certitude est exigée, le
doute proscrit et la preuve absente puisque la croyance religieuse ou foi exige
de donner son assentiment sans preuve mais par pure confiance. C’est ainsi que
l’héliocentrisme a dû combattre le géocentrisme que prônait l’Église comme le
montre l’affaire Galilée (1564-1642). Ce dernier défendait l’héliocentrisme
parce que certains faits ne collaient pas avec le géocentrisme. C’était le cas
des phases de Vénus qu’il avait observées grâce à la lunette astronomique.
Elles supposaient que la planète tourne autour du Soleil et non autour de la
Terre. Malgré cela, il fut contraint d’affirmer vrai le géocentrisme après un
procès en juin 1633. L’Église s’appuyait essentiellement sur la foi en la Bible (Josué, 10, 12-13) où il est affirmé que Josué a arrêté le Soleil
alors que Galilée s’en tenait aux observations qu’il suscitait. Mais ne peut-on
garder des croyances tout en cherchant à savoir ?
En fait, la démarche du savant
exclut la croyance et c’est bien contre elle que le savoir s’établit. En effet,
dans la mesure où il prouve ce qu’il avance, il détruit par-là même la
croyance. C’est qu’elle ne consiste pas à simplement tenir pour vraie une
proposition. Elle le fait sans preuve, voire contre les preuves comme dans les
croyances aux miracles. Au contraire, le savant parce qu’il prouve, refuse
toutes les croyances. Le savoir est rendu possible par la transformation des
croyances en hypothèses comme Nietzsche l’a bien vu dans Le Gai savoir (1886, livre V, n°344).
Néanmoins, s’il est vrai que le
savoir s’établit contre la croyance, pour rechercher, le savant doit s’appuyer
sur certaines croyances car, s’il les remet toutes en causes, il ne pourra plus
rien chercher. Dès lors, ne faut-il pas penser qu’il y a des croyances contre
lesquels le savoir ne peut s’établir ?
Comme le savoir ne peut pas
consister à tout démontrer, il doit reposer sur des croyances, c’est-à-dire des
propositions qu’on tient pour vraies sans preuves. Selon Pascal, dans les Pensées (1670, posthume, n°110 Lafuma),
la vérité n’est pas connue que par la raison mais aussi par le cœur qui connaît
les premiers principes des sciences comme les mathématiques et la physique. En
effet, le mathématicien comme le physicien, croit au mouvement, au nombre, au
temps, à l’espace. Il peut ensuite démontrer ou prouver à partir de là. Par
exemple, que les corps tombent à la même vitesse sur Terre quel que soit leur
poids comme Galilée l’a fait. On peut même tenter de prouver ce qui a été
établi comme l’astronome David Scott (né en 1932) qui, en 1971 (Apollo 15) a
laissé tomber en même temps un marteau et une plume sur la Lune qui sont
arrivés ensemble pour confirmer la théorie de Galilée. Or, ne peut-on pas
considérer les croyances comme de simples hypothèses ?
Dans ce cas, il est vrai qu’on
élimine bien toutes les croyances et que les points de départ sont de simples
hypothèses. Il n’en reste pas moins vrai comme Nietzsche le montre dans Le Gai savoir (n°344) que le savant
lui-même ne peut se passer de croyance. C’est celle selon laquelle il n’y a
rien de plus nécessaire que la vérité. C’est que le savant, puisqu’il cherche
la vérité, ne peut pas la connaître. Il a donc foi en elle. Par conséquent, le
savoir ne peut pas s’établir contre la croyance, mais seulement contre
certaines croyances.
Toutefois,s’il est vrai qu’il
faut des points de départ pour que le savoir s’établisse, ils peuvent n’être
que provisoires, car le savoir repose essentiellement sur l’examen des preuves.
Dès lors, ne faut-il pas qu’il s’établisse contre la croyance, non pas en la
remplaçant, mais en empêchant qu’elle puisse renaître d’une façon ou d’une
autre ?
Le savoir implique de remettre en
cause ce qu’on croyait. Alain disait ainsi que qui veut savoir ne doit plus
croire dans ses Propos sur la religion
(1938). C’est que la croyance au sens propre, c’est non seulement tenir pour
vraies certaines représentations, mais s’être accoutumé à elles. Les croyances
reposent sur des coutumes ancrées en nous. Aussi le savoir doit-il les
déraciner sans quoi il ne peut s’établir. Et il lui faut non moins rejeter les
croyances qui proviennent du savoir en tant qu’on ne les examine plus. Soit la
croyance selon laquelle la Terre est sphérique née au V° siècle av. J.-C. et
encore en vigueur au XVII° siècle. Newton (1642-1727) l’a remise en cause en
émettant l’hypothèse d’une Terre aplatie aux pôles, hypothèse vérifiée au
XVIII°. Or, le savant ne doit-il pas croire au moins à l’idée de vérité ?
Même cette idée, le savoir peut la
remettre en cause dans la mesure où il ne prétend pas connaître, mais
simplement douter en suggérant des possibilités inaperçues. Dès lors, nul
besoin de croire en la vérité. On peut, sans la nier, considérer avec Russell
que l’incertitude qui caractérise la philosophie lui donne non pas la capacité
de répondre de façon complète aux questions qu’elle pose, mais de façon
incomplète. Un tel savoir incomplet ne peut s’établir qu’en se libérant de
toutes les croyances, c’est-à-dire en étant contre la croyance en général. Il
met donc de côté la certitude de la vérité.
Disons pour finir que le problème
était de savoir si on peut penser que le savoir s’établit contre la croyance ou
s’il est possible avec certaines croyances et dans ce cas lesquelles. Le savoir
paraît s’établir contre la croyance parce qu’il implique qu’on prouve ce qu’on
avance, donc qu’on refuse d’accepter sans preuve comme dans la croyance.
Pourtant, le savoir, pour s’établir, a besoin de points de départs. Or, s'il
semble être des croyances, on peut penser bien plutôt qu’il s’agit
d’hypothèses, mais surtout que le savoir s’établit par sa capacité de remise en
cause.
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