Il n’est pas rare dans un débat de voir les deux
protagonistes s’affronter sans que l’un ou l’autre reconnaisse qu’il a tort. Et
pourtant, s’ils ne sont pas d’accord, c’est bien que l’un au moins a tort.
Chacun pourtant reste attaché à ce qu’il croit. On peut donc se poser la
question : Peut-on combattre une croyance par la raison ?
Il est vrai que la raison, dans la mesure où elle est
la faculté qui nous permet de distinguer le vrai du faux, notamment en
cherchant des preuves de ce qu’on peut avancer, paraît tout à fait à même de
combattre la croyance qui s’affirme comme vrai sans preuve. Mieux, elle peut le
faire au sens où elle en a le droit pour préserver la possibilité de la vérité.
Et pourtant, on voit régulièrement des hommes qui
conservent leurs croyances, même si on avance des preuves les remettant en
cause. La croyance paraît alors avoir le droit d’être.
Le problème se pose de savoir s’il est possible, voire
légitime, et comment, de combattre une croyance par la raison.
La raison a la possibilité et le droit de combattre la
croyance pour la vérité, mais la croyance a le droit de préserver les
sentiments fondamentaux, aussi la raison a le droit et la possibilité de
combattre la croyance qui enferme pour libérer la pensée.
En prouvant, on détruit la croyance quant à sa
prétention à être vraie. En effet, la croyance est une proposition qu’on tient
pour vraie sans preuves. Elle peut être vraie ou fausse comme Socrate le fait
reconnaître à Gorgias, le personnage éponyme d’un dialogue de Platon. En
prouvant une croyance fausse, on la détruit. Ainsi les Grecs ont détruit la
croyance que la Terre, la Lune ou le Soleil sont des Dieux. Mais en prouvant
une croyance vraie, on la détruit comme croyance. Or, prouver, c’est ce que la
raison cherche et exige dans la mesure où elle est la faculté qui, en nous,
nous amène à chercher à distinguer le vrai du faux. Elle peut donc combattre la
croyance puisqu’elles ont la vérité comme terrain commun.
En outre, la raison peut détruire la croyance en ce
sens qu’elle en a le droit car la croyance, en prétendant à la vérité, sans
montrer que c’est bien le cas puisqu’elle se présente sans preuve, ne mérite
pas d’être. Lorsqu’on ne sait pas, on doit simplement avouer son ignorance. Ou
alors, on cherche et on émet des hypothèses qu’on cherche à prouver. Au moins
on présente comme une hypothèse et non comme une croyance ce dont on n’a pas la
preuve. Par contre, la croyance, parce qu’elle implique qu’on prétende
s’engager tout en se dégageant de l’effort de justifier ce qu’on soutient, est
toujours illégitime. On ne devrait jamais dire : “je crois que …” , mais
“peut-être que …”
Cependant, si la raison peut légitimement combattre la
croyance, il n’en reste pas moins vrai que certaines croyances paraissent tout
à fait légitimes. N’a-t-on pas raison de croire en un ami par exemple ?
Dès lors, la raison n’est-elle pas dans l’impossibilité de combattre la
croyance en général ? N’est-ce pas même illégitime ?
Il n’y a de preuves qu’à partir des croyances dans les
premiers principes. Or, comme Pascal le soutient dans les Pensées (1670,
posthume, n°110 Lafuma), les premiers principes sont connus immédiatement, par
le cœur ou le sentiment. Dès lors, on croit en eux. La raison ne peut les
combattre comme le font les pyrrhoniens ou sceptiques dans la mesure où ils
sont hors de son champ de compétence. Elle peut démontrer ou prouver, mais à
partir des premiers principes. Par exemple, un physicien doit d’abord croire au
mouvement et s’interroger ensuite pour savoir si c’est la Terre qui est en
mouvement ou le Soleil. La raison ne peut donc combattre la croyance dans les
premiers principes.
On ne peut pas non plus détruire une croyance parce
que la raison ne peut juger de tout.« Le cœur a ses raisons que la raison
ne connaît point ; on le sait en mille choses. » écrit Pascal dans
les Pensées (n°423 Lafuma). Ainsi, les sentiments ne peuvent être
légitimement combattus par la raison car ils fondent les relations entre les
hommes. De même pour la foi. Pascal a donc raison d’écrire : « C’est
le cœur qui sent Dieu et non la raison. Voilà ce que c’est que la foi. Dieu
sensible au cœur, et non à la raison. » (Pensées, n°424 Lafuma).
Néanmoins,si la croyance dans les premiers principes
ou la foi paraissent échapper à la compétence de la raison, sa prétention à
être vrai sans examen paraît difficile lorsque les croyances s’opposent entre
elles comme on le voit avec la diversité des religions. Dès lors, la raison ne
peut-elle pas, sans prétendre être la source de toute vérité, combattre la
croyance qui prétend dans certains domaines, définir ce qui est vrai ?
En remettant en doute, la raison peut combattre la
croyance, non pas en donnant des preuves, mais en prouvant, sans jamais
s’arrêter, donc en remettant en cause non seulement la croyance, mais ce
qu’elle-même soutient. Dès lors, elle ne soutient pas qu’elle détient la
vérité, mais elle montre que la croyance n’est pas fondée. C’est pour cela que
le philosophe Alain écrivait que « Penser est une aventure » dans ses
Propos sur la religion (1938). En doutant de tout, même de ce qui passe
pour vrai, la raison déracine ce qui fait la croyance : l’habitude.
En outre, elle peut légitimement combattre la croyance
car cette dernière nous enferme dans un monde de préjugés, propres à un temps
et un lieu. Si elle ne peut détruire le sentiment qui fait la croyance, elle
amène chacun à s’interroger sur ses croyances et permet ainsi de s’en libérer.
C’est en ce sens que Russell dans le chapitre XV des Problèmes de
philosophie (1912) intitulé « Valeur de la philosophie »,
considérait que le doute que propose la raison en philosophie permet de voir le
monde avec des yeux neufs et ainsi de libérer l’esprit.
En un mot, le problème était de savoir s’il est possible, voire légitime, et comment, de combattre
une croyance par la raison. Dans la mesure où la croyance prétend à la vérité
sans preuve, la raison peut légitimement la détruire comme croyance en
prouvant. Mais la raison elle-même repose sur certaines croyances
fondamentales, voire ne peut remettre en cause la foi, qu’elle soit religieuse
ou en autrui. Aussi, c’est à la condition de libérer des croyances en tant
qu’elles visent à enfermer dans une vision déterminée du monde que la raison
peut en toute légitimité détruire la croyance.
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