Sujet.
Réserver ou suspendre notre jugement, cela
consiste à décider de ne pas permettre à un jugement provisoire de devenir
définitif. Un jugement provisoire est un jugement par lequel je me représente
qu’il y a plus de raison pour la vérité d’une chose que contre sa vérité, mais
que cependant ces raisons ne suffisent pas encore pour que je porte un jugement
déterminant ou définitif par lequel je décide franchement de sa vérité. Le
jugement provisoire est donc un jugement dont on a conscience qu’il est simplement
problématique.
On peut suspendre le jugement à deux
fins : soit en vue de chercher les raisons du jugement définitif, soit en
vue de ne jamais juger. Dans le premier cas la suspension du jugement s’appelle
critique (…) ; dans le second elle est sceptique (…). Car le sceptique renonce
à tout jugement, le vrai philosophe au contraire suspend simplement le sien
tant qu’il n’a pas de raisons suffisantes de tenir quelque chose pour vrai.
Kant, Logique (1800)
Questions :
1° Dégagez l’idée
principale du texte, puis les étapes de son argumentation.
2°
Expliquez :
a) « Un
jugement par lequel je me représente qu’il y a plus de raison pour la vérité
d’une chose que contre sa vérité » ;
b) « Car le
sceptique renonce à tout jugement, le vrai philosophe au contraire suspend
simplement le sien ».
3° Suspendre son
jugement, est-ce toujours renoncer à la vérité ?
Corrigé.
Que faire
lorsqu’on n’a pas de raisons suffisantes pour affirmer la vérité ? Telle
est la question à laquelle répond ce texte de Kant extrait de sa Logique publié en 1800.
Le philosophe veut
montrer que le vrai philosophe suspend son jugement afin de rechercher et de
découvrir la vérité.
Or, en faisant
cela, n’est-on pas conduit à renoncer à la vérité ?
1° Dégagez l’idée
principale du texte, puis les étapes de son argumentation.
Kant veut montrer
que le vrai philosophe se distingue du sceptique en ce qu’il suspend son
jugement pour rechercher la vérité et non pour y renoncer.
Il commence par
définir l’acte de réserver ou de suspendre un jugement. Cette définition est
que c’est l’acte qui consiste à empêcher un jugement provisoire de devenir un
jugement définitif. Il définit ensuite ce qu’est un jugement provisoire. Cette
définition est d’abord que le jugement provisoire a des raisons en pour et en
contre lui mais que les premières sont plus importantes. Ensuite, le jugement
est provisoire parce que les raisons en sa faveur ne sont pas suffisantes pour
qu’il devienne un jugement définitif qu’il nomme aussi jugement déterminant.
Kant définit alors ce dernier comme un jugement dont les raisons sont
suffisantes pour qu’on puisse estimer qu’il est vrai. Il en déduit que le
jugement provisoire est constitué par la conscience de son caractère
problématique.
Après ses
définitions préliminaires, Kant distingue deux objectifs différents lorsqu’on
suspend son jugement. Le premier objectif est de rendre possible la recherche
de raisons afin d’arriver à un jugement définitif. La suspension du jugement
est donc provisoire. Le deuxième objectif est d’arriver à ne pas juger. C’est
donc le jugement provisoire lui-même qui est aboli. La première attitude, il la
nomme critique, la seconde, il la nomme sceptique. Enfin, Kant distingue et
oppose le sceptique au vrai philosophe. L’adjectif « vrai » montre sa
position en faveur de l’attitude critique et contre l’attitude sceptique. L’opposition
réside en ceci que le sceptique suspend définitivement son jugement dans la
mesure où il ne veut pas juger. Alors que le vrai philosophe suspend son
jugement parce qu’il lui manque des raisons suffisantes pour porter un jugement
qui serait alors définitif.
2°
a) Lorsque Kant
écrit « Un jugement par lequel je me
représente qu’il y a plus de raison pour la vérité d’une chose que contre sa
vérité », il définit par là le jugement provisoire. La définition du
jugement provisoire consiste à mettre en avant que l’on a des raisons de le
tenir pour vrai mais aussi pour le tenir pour faux. S’il y en a autant, alors
il n’y a aucune raison de juger, c’est-à-dire d’affirmer la vérité d’une
représentation de la réalité : c’est alors une simple hypothèse. Le
jugement provisoire est celui où il y a plus de raison pour que de raisons contre.
Mais s’il est provisoire, c’est justement parce qu’il y a encore des raisons
qui s’opposent à ce qu’on affirme définitivement sa vérité.
b) Lorsque Kant
écrit « Car le sceptique renonce à
tout jugement, le vrai philosophe au contraire suspend simplement le sien »,
il veut opposer le sceptique au vrai philosophe. Il montre par là qu’il
s’oppose au scepticisme. Il définit le sceptique celui qui renonce à tout
jugement. Autrement dit, lorsqu’il a des raisons contre un jugement mais néanmoins
des raisons pour le jugement plus importantes, le sceptique va suspendre définitivement
son jugement, autrement dit, rester dans le doute. C’est en cela qu’il renonce
à tout jugement. Le vrai philosophe selon Kant n’a pas cette attitude. Il
suspend donc son jugement afin de rechercher les raisons qui lui permettront
d’atteindre un jugement définitif, c’est-à-dire la vérité. Sa suspension du
jugement est donc provisoire.
3° Suspendre son
jugement, est-ce toujours renoncer à la vérité ?
Si je suspends mon
jugement, c’est-à-dire si je considère que je ne peux rien affirmer, il semble
que par définition, cela soit renoncer à la vérité.
Toutefois, il faut
bien suspendre son jugement pour la chercher.
Dès lors, à
quelles conditions suspendre son jugement n’est pas renoncer à la vérité ?
Il semble que
suspendre son jugement, c’est toujours renoncer à la vérité. En effet, s’il
s’agit bien comme Kant le soutient de ne pas transformer un jugement provisoire
en jugement définitif, suspendre son jugement revient à ne pas juger. Car, le
jugement provisoire étant celui qui a plus de raisons d’être affirmé que d’être
nié, il est toujours possible de juger, quitte à accepter qu’il puisse être
remis en cause. Or, si je ne juge pas, dès lors je ne me prononce pas sur la
vérité. Dès lors, cela revient bien à y renoncer. C’est le cas de l’agnostique
qui ne sait pas si Dieu existe ou n’existe pas. Il renonce donc à la vérité
concernant l’existence de Dieu.
Cependant, une
suspension du jugement peut être provisoire. Dans ce cas, il semble qu’elle n’implique
pas de renoncer à la vérité. N’est-ce pas l’attitude critique selon Kant ?
On peut donc comme
le préconise Kant suspendre son jugement en attendant de pouvoir juger
définitivement. On le fait alors afin de rechercher la vérité. Car on va alors
chercher à trouver les raisons qui nous permettent d’avoir un jugement
définitif, c’est-à-dire un jugement vrai. Dès lors, à la condition que la
suspension du jugement soit elle-même provisoire en ce sens qu’elle s’effectue
en attendant qu’on puisse juger définitivement, elle n’implique pas de renoncer
à la vérité. Elle empêche le jugement provisoire de se faire passer pour
définitif.
Néanmoins, tant qu’on
suspend son jugement, on renonce à la vérité. Or, n’est-ce pas une attitude
vraie que celle qui consiste à suspendre son jugement quand on ne peut pas
juger ?
Suspendre son
jugement, cela peut sembler renoncer à la vérité, si, à la manière du
sceptique, on se sert de l’opposition des raisons pour en conclure qu’il est
impossible de décider de ce qui est vrai ou faux. Mais dans la mesure au
contraire où le sceptique met en balance les raisons pour et contre, il refuse
à juste titre de se prononcer sur la vérité. Et c’est cette position qui est
vraie. Car, si je n’ai pas de raison d’affirmer plutôt que de nier, il est vrai
que je dois suspendre mon jugement. Et c’est bien la recherche de la vérité qui
me conduit alors à suspendre mon jugement.
Disons donc que
Kant a voulu, dans cet extrait de sa Logique,
montrer la différence entre le vrai philosophe et le sceptique dans la
suspension du jugement. Si le premier ne suspend son jugement que pour
rechercher la vérité, le second y renoncerait. On a néanmoins vu que le
sceptique pouvait considérer à juste titre que lorsqu’il n’y a pas de solutions
possibles à une question, alors, suspendre son jugement est la vérité.
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