dimanche 11 novembre 2018

Augustin, le plaisir comme fin (texte)

« Que la malice des pécheurs se consomme (Ps. VII, 10 ) ». Cette consommation est ici le comble, d’après cette parole de l’Apocalypse : « Que celui qui est juste le devienne plus encore, et que l’homme souillé se souille davantage (Apocalypse, XXII, 11 ) ». L’iniquité paraît consommée dans ceux qui crucifièrent le Fils de Dieu, mais elle est plus grande chez ceux qui refusent de vivre saintement, qui haïssent les lois de la vérité, pour lesquelles a été crucifié ce même Fils de Dieu. Que la malice donc des pécheurs se consomme, dit le Prophète, qu’elle s’élève jusqu’à son comble et qu’elle appelle ainsi votre juste jugement. Toutefois, non seulement il est dit Que l’homme souillé se souille encore ; mais il est dit aussi : Que le juste devienne plus juste ; c’est pourquoi le Prophète poursuit en disant : « Et vous dirigerez le juste, ô Dieu qui sondez les cœurs et les reins (Psaume VII, 10 ) ». Mais comment le juste peut-il être dirigé, sinon d’une manière occulte ? puisque les mêmes actions que les hommes admiraient dans les premiers temps du christianisme, quand les puissances du siècle mettaient les saints sous le pressoir de la persécution, ces actions, aujourd’hui que le nom chrétien est arrivé à l’apogée de sa gloire, servent à développer l’hypocrisie ou la dissimulation chez des hommes qui sont chrétiens de nom, pour plaire aux hommes plutôt qu’à Dieu ? Dans cette confusion de pratiques hypocrites, comment le juste peut-il être dirigé, sinon par le Dieu qui sonde les reins et les cœurs, qui voit nos pensées, désignées ici sous l’expression de coeur, et nos plaisirs, que désignent les reins ? Le Prophète a raison d’attribuer à nos reins le plaisir que nous font éprouver les biens temporels ; c’est en effet la partie inférieure de l’homme, et comme le siège de cette voluptueuse et charnelle génération, qui perpétue la race humaine, et nous donne cette vie calamiteuse dont les joies sont mensongères. Donc, ce Dieu qui sonde les cœurs et voit qu’ils sont où est notre trésor (Matthieu, VI, 21 ), qui sonde les reins, et voit que loin de nous arrêter au sang et à la chair (Galates I, 16 ), nous mettons nos délices dans le Seigneur, ce même Dieu dirige le juste dans cette conscience même, où il est présent, où l’œil de l’homme ne pénètre point, mais seulement l’œil de celui qui connaît l’objet de nos pensées et de nos plaisirs. Car le but de nos soucis est le plaisir, et nul dans ses soins et dans ses pensées ne se propose que d’y parvenir. Dieu qui sonde les cœurs voit nos soucis, et il en voit le but ou le plaisir, lui qui sonde aussi nos reins ; et quand il verra que nos soucis, loin de s’arrêter à la convoitise de la chair, à la convoitise des yeux, ou à l’ambition mondaine, choses qui passent comme l’ombre (I Jean, II, 16, 17), s’élèvent jusqu’aux joies éternelles que ne trouble aucune vicissitude, ce Dieu qui sonde les reins et les cœurs conduit le juste par la voie droite. Telle œuvre que nous faisons, peut être connue des hommes, si elle consiste en paroles ou en actes extérieurs ; mais notre intention en la faisant, et le but qui nous pousse à la faire, ne sont connus que de Dieu qui sonde les reins et les cœurs.
Augustin, Commentaires sur les psaumes (Enarrationes in Psalmos), VII, 9.

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