mercredi 17 juillet 2019

Le désir: une des quatre passions fondamentales selon les Stoïciens (texte)

VI. La définition que donne Zénon est donc que la passion – il dit πάθος (pathos) – est un ébranlement de l'âme opposé à la droite raison et contraire à la nature. Certains disent plus brièvement que la passion est un élan trop violent, et par trop violent ils entendent qui s’écarte par trop de l’équilibre naturel. Quant aux espèces de la passion, ils veulent qu’elles dérivent de l’opinion qu’on a affaire à deux biens, et qu’on a affaire à deux maux ; par suite il y en a quatre : pour les biens, le désir et la joie, la joie (laetitia) se rapportant aux biens actuels, le désir (libido) aux biens à venir ; pour les maux, la crainte et le chagrin, crainte s’ils sont à venir, chagrin s’ils sont actuels car les maux que l’on craint quand ils sont en marche sont aussi ceux qui chagrinent quand ils sont présents. 12 D’autre part, la joie et le désir reposent sur l’opinion qu’on a affaire à des biens, ce qui paraît être un bien exerçant sur le désir un attrait qui fascine et qui enflamme, et la joie s’exaltant et débordant à l’idée qu’on vient d’obtenir une chose que l’on convoitait. C’est naturellement en effet que tout le monde recherche ce qui paraît être un bien et évite le contraire, et c’est pourquoi sitôt que se présente l’apparence d’un objet tel qu’il paraisse être un bien, l’instinct seul nous pousse à nous en assurer la possession. Cela se fait-il de façon pondérée et prudente, l’élan de l’âme qui a ce caractère est appelé par les Stoïciens βούλησις (boulèsis) et nous l’appelons volonté ; ils estiment que la volonté se trouve seulement chez le sage et la définisse ainsi : la volonté est un désir conforme à la raison. Quant à l’élan de l’âme qui est opposé à la raison et résulte d’une excitation trop violente, c’est le désir ou avidité (cupiditas) effrénée qui se rencontre chez tous les sots. 13 De même, quand nous avons l’impression d’éprouver un bien, cette impression favorable se produit de deux manières. Lorsqu’elle agit sur l’âme d’accord avec la raison et d’une façon paisible et équilibrée, alors c’est ce qu’on appelle contentement ; quant au contraire l’âme exulte pour de vains motifs, alors c’est ce qu’on peut appeler joie débordante et excessive, et les Stoïciens la définissent ainsi : une exaltation de l’âme dépourvue de raison. Et puisque, de même que nous portons instinctivement vers les biens, nous nous détournons instinctivement des maux, ce mouvement de fuite s’appelle précaution, si la raison l’accompagne, et l’on se rendra compte que la précaution se retrouve seulement chez le sage ; si au contraire ce mouvement se produit sans la raison et dans un affolement de consternation et de découragement, on l’appellera crainte ; par suite la crainte est une précaution contraire à la raison. 14 Quant au mal présent, aucun état d’âme ne lui correspond chez le sage ; chez les sots, c’est le chagrin ; ils en sont affectés à l’occasion de ce qu’ils présument être des maux, et leur âme s’affaisse et se resserre sans écouter la voix de la raison : c’est pourquoi la première définition que l’on donne du chagrin est qu’il est un resserrement de l’âme opposé à la raison. Ainsi il existe quatre passions et trois états normaux puisqu’il n’y a pas d’état normal qui s’oppose spécialement au chagrin.
VII. Mais les Stoïciens estiment que toutes les passions procèdent du jugement et de l’opinion, et c’est pourquoi ils en donnent une définition plus serrée encore, de façon à faire voir non seulement combien elles sont vicieuses, mais aussi combien elles dépendent de nous. Ainsi le chagrin (aegritudo) est l’opinion actuelle d’un mal présent, à propos duquel il semble logique que l’âme s’affaisse et se resserre, le joie, l’opinion actuelle d’un bien présent, à propos de laquelle il semble logique que l’âme exulte, la crainte (metus), l’opinion d’un mal imminent et tel qu’il semble intolérable, le désir, l’opinion d’un bien à venir dont on serait bien aise qu’il fût déjà présent et à notre portée. 15 Au reste, les formes du jugement et de l’opinion que j’ai rapportées aux passions constituent d’après eux, non seulement les passions, mais les manifestations mêmes des passions, et c’est ainsi que le chagrin se manifeste par une sorte de morsure douloureuse, la crainte par une espèce de repliement et de panique de l’âme, la joie par une gaité exubérante, le désir par une avidité sans retenue.
Cicéron, Tusculanes, livre IV.

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