Il arrive que l’on croit en certains faits sans pouvoir le prouver, voire sans avoir raisonné. À l’inverse les savants se trompent quelquefois. Dès lors, la raison a-t-elle toujours raison ?
Si on nie que la raison, c’est-à-dire la faculté qui nous permet de distinguer le vrai du faux, a toujours raison, comment s’assurer que telle ou telle croyance est légitime ?
D’un autre côté, comment la raison, qui doit déduire de prémisses données, peut-elle prétendre tout connaître, puisqu’elle ne peut tout démontrer sans tomber dans une régression infinie ?
On peut donc se demander si la raison a toujours raison ou bien s’il y a un domaine où il est possible d’avoir raison sans user de la raison et par quoi.
La raison est la faculté qui nous permet de prouver ce que nous avançons. Or, lorsqu’on croit simplement, on tient pour vrais des faits ou des propositions qui peuvent être faux. C’est le cas notamment des préjugés qui expriment une première impression irréfléchie ou les passions de celui qui croit. Othello, dans la pièce éponyme [1604] de Shakespeare [1564-1616], est jaloux. Il croit que Desdémone, son amoureuse, le trompe. Et il finit par la tuer à tort. Si le préjugé est vrai, nous ne savons pas qu’il est.
C’est pourquoi nous ne devons admettre que ce que nous avons examiné par la raison. C’est elle et elle seule qui nous permet d’avoir raison, c’est-à-dire d’être dans le vrai. Sans elle, nous sommes dans la simple croyance. Nietzsche rappelait à juste titre dans le Gai Savoir (livre V, n°344) que les simples croyances sont bannies de la science. Elle n’use que d’hypothèses car c’est donner des raisons qui lui est essentielles.
Toutefois, n’admettre que la raison, n’est-ce pas croire qu’elle est capable de juger de tout ? Comme Nietzsche l’objecte aux partisans de la science, la nécessité de la vérité n’est-elle pas un simple objet de croyance ? Dès lors, n’y a-t-il pas des domaines où la raison est impuissante et où elle a tort de juger ?
On peut avec Pascal dans les Pensées (n°110 Lafuma) distinguer deux facultés qui nous permettent de connaître la vérité, à savoir le cœur et la raison. Celle-ci pour démontrer doit s’appuyer sur quelque chose. Or, elle ne peut le démontrer car sinon, il faudrait qu’elle s’appuie sur autre chose et ainsi de suite à l’infini. Il y a donc un domaine extérieur à la raison où elle ne peut se prononcer. On peut appeler premiers principes, les vérités qui sont connues d’elles-mêmes et donc dire avec Pascal qu’elles sont connues par le cœur.
Aussi, lorsque la raison se mêle de ce domaine a-t-elle tort. Pascal remarque qu’on ne peut démontrer qu’on ne rêve pas. Mais, cela ne veut pas dire que nous ne savons pas si nous rêvons ou pas. Et si la raison prétend qu’on peut penser qu’on rêve comme les sceptiques, elle n’a pas raison. Même les principes premiers des sciences comme les mathématiques et la physique ne sont pas démontrables. Vouloir en discuter par la raison c’est ne pas avoir raison. Aussi, tous les sentiments ont-ils une vérité qui se sent et ne se démontre pas. Pascal écrivait dans les Pensées que « le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point. » (Pensées, 432 Lafuma) Aussi est-ce le cœur qui justifie la foi religieuse.
Néanmoins, faire reposer sur le cœur la vérité, n’est-ce pas justifier n’importe quelle proposition dont on dira qu’on en sent la vérité ? N’est-on pas conduit à affirmer comme vrai ce qui heurte la raison sous prétexte qu’elle ne peut tout démontrer ? Les principes premiers relèvent-ils vraiment du cœur ?
En effet, on peut distinguer entre les premiers principes et les simples croyances, y compris la croyance religieuse. En effet, si je pose, pour reprendre un exemple de Pascal, que l’espace a trois dimensions, un tel principe est valable pour tout homme. On peut dire que les premiers principes sont des évidences pour la raison. Et la marque de leur appartenance à la raison c’est leur universalité. Elle est capable de les saisir en tant que tels. Par contre une croyance n’est jamais universelle. Même la foi religieuse selon les religieux eux-mêmes dépend de Dieu qui ne l’accorde pas à tout le monde. Dès lors, il n’y a aucune légitimité à croire et c’est bien la raison qui a toujours raison. Mais la raison n’est-elle pas susceptible d’erreur ?
On peut comme Diderot le montre dans son article « Croire » de l’Encyclopédie considérer qu’avoir raison au sens d’être dans la vérité n’a aucune valeur si on la trouve par hasard. Par contre, celui qui se trompe après avoir fait le plus grand usage possible de la raison, a eu raison de chercher ainsi la vérité, puisque seule la raison nous fait accéder à l’universelle. Aussi la raison a toujours raison non qu’elle soit la seule à découvrir la vérité mais parce qu’elle est la seule qui peut en rendre compte.
En un mot, le problème était de savoir si la raison a toujours raison. Or, il est apparu qu’on pouvait lui faire confiance pour démontrer. Toutefois, elle ne peut prétendre être une source assurée de vérité. Mais comme le sentiment ne le peut non plus, la raison a toujours raison en ce sens que même si elle se trompe, elle seule permet d’accéder à la vérité ou de la reconnaître.
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