jeudi 10 septembre 2020

corrigé: la politique peut-elle être un métier?

 On parle souvent de classe politique ou des politiciens, c’est-à-dire des spécialistes du domaine politique. La politique peut-elle être un métier ?

Il est vrai que dans les États modernes, on peut gagner sa vie grâce à la politique dans la mesure où les fonction politiques sont rémunérées. Il n’est pas besoin d’avoir une fortune personnelle ou d’hériter pour agir dans le domaine public. Il y a là un progrès dans le sens de la démocratisation.

D’un autre côté, la politique a pour fin l’intérêt public et non l’intérêt privé, de sorte qu’il semble contradictoire de la considérer comme un métier.

On peut donc se demander s’il est légitime que la politique soit un métier.

La politique paraît être l’activité des citoyens, mais elle peut être celle des détenteurs du pouvoir voire les représentants qui visent l’intérêt public et non le seul intérêt privé, la rémunération compense l’engagement pour la collectivité.

 

 

La politique est originairement l’activité des citoyens qui se sont emparé du pouvoir et l’ont arraché aux aristocrates comme les citoyens athéniens. Le pouvoir n’appartient alors à personne. Il est au milieu comme Jean-Pierre Vernant l’analyse dans les Origines de la pensée grecque. Aussi ce qui importe dans la cité, c’est la parole qui permet de persuader. Aussi, faire de la politique, c’est s’exprimer devant l’ecclésia (ἐκκλησία), l’assemblée du peuple et l’entraîner dans une direction. Par exemple, Thémistocle (524-459 av. J.-C.) avait persuadé les Athénien d’utiliser les revenus des mines du Laurion pour construire une flotte qui permit aux Athéniens de vaincre les Perses à Salamine en 480, victoire mises en scène par Eschyle (525-456 av. J.-C.).

Si l   a politique ne peut être un métier, c’est parce qu’un métier, c’est un travail ou une tâche spécialisée qu’on réalise pour son intérêt personnel. Ainsi l’architecture peut être un métier tout comme la sculpture, ainsi que ce fut le cas de Phidias (490-430 av. J.-C.) qui dirigea les travaux du Parthénon (447-432av.J.-C). Périclès (495-429 av. J.-C.) qui ordonnait ces travaux était un stratège, régulièrement élu, qui se consacrait à la vie publique car, riche, il en avait les moyens.

Quant aux citoyens, on peut concevoir comme à Athènes une indemnité pour les plus pauvres afin qu’ils puissent participer aux affaires publiques ou les faire voter le jeudi comme au Royaume Uni pour avoir une plus grande participation depuis 1935. Ainsi, c’est en permettant la participation des citoyens et non en rémunérant une classe politique que les affaires publiques peuvent bien se porter. Sans cette participation, la politique se transforme en pur exercice du pouvoir, autrement dit elle disparaît.

 

Toutefois, le peuple ne peut pas toujours exercer directement le pouvoir. Dès lors, il lui faut des représentants. Ceux-ci n’exercent-ils pas alors un métier ?

 

 

Si par métier, on entend une spécialisation, alors quiconque s’engage en politique, même dans une démocratie directe, se spécialise. Ainsi, dans les monarchies d’Ancien régime des ministres comme Colbert (1619-1683), ont consacré leur existence aux intérêts de l’État tout en s’enrichissant grâce à ce service. Les rois eux-mêmes faisaient instruire leurs successeurs pour qu’ils apprennent leur métier de roi.

Il n’en reste pas moins que le terme de métier est plutôt ici une analogie vague. L’organisation de l’État repose sur des lois qui déterminent qui a le droit d’exercer le pouvoir. Sinon, la prise du pouvoir, même illégal, n’a rien à voir avec un métier, elle présuppose un consentement au moins tacite des gouvernés. Hobbes soutenait qu’État existait sur la base d’un contrat tacite entre les sujets qui renoncent à leur droit de gouverner au profit ‘un homme ou d’une assemblée (cf. Léviathan, chapitre XVII). Un État fondé sur la conquête ou sur la peur des sujets est tout aussi légitime. Les politiques qui conservent le pouvoir peuvent alors se rémunérer. Le consentement des gouvernés peut reposer sur des lois traditionnelles qu’on a l’habitude de respecter, comme pour la monarchie de l’ancien régime qui bénéficiait en outre de l’appui de la religion si importante dans la vie des hommes de cette époque.

 

Néanmoins, l’apparition dans les États modernes d’un personnel formé et rémunéré pour le service de l’État et le développement des partis politiques, ont rendu possible le métier d’homme politique. Est-ce légitime ?

 

 

Un métier suppose soit qu’un employeur nous propose un contrat, soit, comme dans une profession libérale, qu’un client nous démarche. Or, la politique ne peut être un métier en ce sens, que s’il y a un employeur, et cela peut être l’État ou un client, l’ensemble des électeurs ou le peuple. Ne risque-t-on pas alors de confonde l’intérêt privé et l’intérêt public ?

Lorsqu’il conçoit sa belle cité (Καλλίπολις, kallipolis ; cf. La République, VII, 527c), Platon prévoit que la classe des producteurs nourrira celle des dirigeants ou philosophes qui ne doivent rien posséder en propre. Il s’agit là d’une sorte de salaire, même si Platon réserve ce terme aux manœuvres qu’il appelle mercenaire. Il est vrai que les dirigeants de la belle cité ne changent pas d’employeurs comme peuvent le faire de simples salariés. On peut avec François Châtelet (1925-1985), dans Une histoire de la raison (1992, posthume) y voir l’invention du fonctionnaire. Il est clair que les hauts fonctionnaires qui ont l’intérêt public pour objet sont mus par la rétribution matérielle et l’honneur social (cf. Max Weber, le métier et la vocation d’homme politique, Politik als Beruf,1919, traduction française Le savant et le politique, p.105). de façon générale, toutes les formes de domination politique impliquent que ceux qui soutiennent le chef, tyran roi, démagogue, chef de guerre, soient rétribués. En ce sens la politique est un métier. Et si la politique est conformément à la thèse de Machiavel dans Le Prince ( posthume, 1532) l’acquisition et la conservation du pouvoir, alors, qu’elle soit un métier ne pose pas de problème, dans la mesure où il n’y a pas alors de contradiction entre l’intérêt privé et l’intérêt public. Qu’en est-il alors dans les démocraties représentatives ?

La légitimité est acquise par l’élection. Quant aux candidats, ils sont souvent sélectionnés par les partis politiques. Sont alors possibles des carrières politiques où les rémunérations dépendent de la capacité à persuader les membres du parti, puis les électeurs. Aussi l’apprentissage de l’éloquence, comme pour les hommes politiques de l’Antiquité, ainsi que des connaissances qui permettent de servir l’État, le droit notamment, mais également l’économie qui s’est introduite dans la modernité comme préoccupation principale de la politique. Il n’est pas étonnant que les hommes politiques se recrutent souvent chez les fonctionnaires ou chez les avocats. N’y a-t-il pas un risque que la politique, c’est-à-dire le souci du bien public alors disparaisse ? Nullement dans la mesure où les citoyens peuvent destituer ceux qui gouvernent en les remplaçant par d’autres, on peut alors selon Popper parler de démocratie. Le peuple est comme un employeur qui change de salariés.

 

 

Le problème était de savoir s’il est légitime que la politique soit un métier. Si la politique telle que les Grecs l’ont inventé interdit la professionnalisation, sa transformation en conquête et exercice du pouvoir a permis que la politique soit un métier. Il est légitime lorsqu’il est possible pour le peuple de révoquer ceux qu’il a choisis.

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