mercredi 9 septembre 2020

corrigé: le langage animal

 Si l’on fait parler les animaux dans la fable depuis Ésope jusqu’à La Fontaine, en passant par le Tarzan d’Edgar Rice Burroughs qui parle aux animaux de la jungle, toujours est-il que l’idée d’un langage animal ne va pas de soi.

En effet, qu’il y ait des formes de communication chez les animaux ne signifient pas qu’un véritable langage soit présent.

L’idée de langage animal est-elle autre chose qu’un abus de langage ?

Le langage animal est-il un thème pour rabaisser l’homme, ou bien le langage es-il le propre de sa dimension politique, voire de sa capacité à penser.

 

 

Qu’il y ait un langage animal est un thème de l’Apologie de Raymond Sebond de Montaigne qui constitue le chapitre 12 des Essais. Montaigne veut montrer que l’homme a une prétention vide à la grandeur qui le conduit à vouloir se séparer des animaux ses compagnons. Qu’il ne les comprenne pas ne prouve pas qu’ils n’ont pas de langage. Au contraire, ils manifestent entre eux et avec l’homme des intentions de significations, ils s’expriment, ce qui donne à penser qu’ils possèdent un langage que nous ne comprenons pas toujours.

C’est la prétention de l’homme, son orgueil, qui le conduit à ne pas accepter l’idée que l’animal est capable de langage. Ainsi, certains éthologues ont réussi à apprendre le langage des signes des sourds et muets américains à des grands singes, la gorille Koko (1971-2018) éduquée par l’éthologue Penny Paterson et le chimpanzé Washoe (1965-2007) par les époux Gardner. Ils semblaient rejoindre le devenir humain du singe de Rapport pour une académie de Kafka. Mais les résultats ont été contestés, soit en soutenant que les performances des singes étaient celles de très jeunes enfants, soit qu’elles résultaient du conditionnement. Ces dénégations montrent que Montaigne avait vu juste en prétendant que les hommes ont tendance à rabaisser leur compagnons sur terre. Comme le soutenait plus récemment Michel Serres, dans Récits d’humanisme (2006), nous ignorons ce qui se passe dans la tête des animaux, s’ils ont ou non des pensées et donc s’ils lient les dites pensées à des signes.

 

Néanmoins, on peut constater que la communication animale, lorsqu’on la comprend, ne porte pas sur le même contenu que le langage humain. Peut-on alors fonder sur cette différence le refus de l’idée d’un langage animal ?

 

 

En effet, lorsqu’Aristote, dans le livre I de la Politique, veut montrer que la cité (πόλις,polis) est une réalité naturelle, il en vient à définir l’homme comme un « animal politique » (politikon ô anthropos zoon, πολιτικὸν ὁ ἄνθρωπος ζῷον). Il avance comme argument que l’homme est doué de logos, raison, parole ou langage alors que les animaux n’ont que la voix (phonè, φωνὴ). Cette dernière permet aux animaux sociaux de communiquer des sensation selon Aristote alors que le logos permet de communiquer sur l’utile et le nuisible, le juste et l’injuste, autrement dit sur les notions morale et politiques (cf. Politique, I, 2). En outre, la raison que seul l’homme possède, lui permet de comprendre des notions et de raisonner, ce dont l’animal ne semble pas capable, c’est pourquoi Aristote, dans son Traité de l’âme, réservait à l’homme, l’intellect, suivi en cela par Thomas d’Aquin dans la Somme théologique.

La découverte par l’éthologie de certains systèmes de communication comme celui de abeilles confirme l’analyse d’Aristote. En effet, les abeilles font une sorte de danse en rond ou en huit qui s’effectue en fonction du soleil pour communiquer le lieu et la quantité à butiner. Lorsqu’une abeille a transmis son message, les autres se dirigent vers le lieu. On trouve également chez certains singes des cris différents en fonction du type de prédateurs qui menacent. Il est clair que ses informations ne sont pas un discours où sont exposées des considérations sur la justice d’une politique.

La communication animale, c’est-à-dire la transmission de messages qui produisent des effets sur le comportements n’ont rien à voir avec le langage humain qui montre une capacité à s’enquérir de la vérité qui est propre à l’homme selon Platon dans le Phèdre (249b). Aussi, parler d’un langage animal est abusif et n’a de sens que pour qui veut rabaisser l’homme. Le langage animal est donc un abus de langage.

 

Toutefois, les différences de contenu entre communication animale et langage humain ne fondent qu’un différence de degré et ne constituent pas une solution de continuité. Le langage n’est-il pas révélateur d’une capacité spécifiquement humaine.

 

 

C’est Descartes qui a produit sur l’absence de langage animal, c’est-à-dire sur la spécificité humaine du langage, l’analyse la plus poussée. Comme il l’indique dans la cinquième partie du Discours de la méthode, les bêtes n’ont pas de langage, c’est-à-dire de mots ou de signes qui témoignent qu’elles pensent. Autrement dit, lorsqu’un homme use du langage, il fait comprendre à son interlocuteur qu’il pense ce qu’il exprime et non simplement qu’il communique.

En outre, comme Descartes l’indique dans une lettre au marquis de Newcastle du 23 novembre 1646, il y a langage dans la mesure où les mots ou les signes soient utilisés à propos du sujet qui se présente. Un homme qui en salue un autre ne le fait pas comme la pie qui a appris à saluer sa maîtresse qui espère du mot qu’elle prononce une récompense. C’est la situation qui amène le sujet humain à prononcer le mot bonjour dans le moment qui lui paraît opportun.

Enfin, le langage appartient à un être capable d’inventer pour se faire comprendre. Ainsi à l’époque de Descartes, le langage des sourds et muets n’existant pas , ils inventaient des signes pour se faire comprendre. Ce dont les bêtes sont incapables. Cette inventivité appartient au langage ordinaire humain selon le linguiste Noam Chomsky (né en 1928). Être capable de langage signifie qu’on peut faire comprendre ce qu’on pense et non qu’on transmet les passions qu’on éprouve. L’animal qui manifeste sa colère en grognant comme le chien ou en hérissant les poils comme le chat exprime une passion qu’il éprouve. Un homme qui dit sa colère exprime qu’il pense être en colère.

 

 

Disons donc que le problème était de savoir si l’idée d’un langage animal n’était pas un abus de langage visant à dévaloriser l’homme. Tel est clairement le cas chez Montaigne et chez tous ceux qui cherchent cette compétence chez les animaux, méconnaissant outre l’usage politique du langage mis en lumière par Aristote, sa capacité à exprimer la pensée reconnue par Descartes.

Cet abus de langage ne cache-et-il pas une profonde et farouche misanthropie ?

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