Sujet :
Il y aurait donc enfin deux moi différents, dont l’un serait comme la projection extérieure de l’autre, sa représentation spatiale et pour ainsi dire sociale. Nous atteignons le premier par une réflexion approfondie, qui nous fait saisir nos états internes comme des êtres vivants, sans cesse en voie de formation, comme des états réfractaires à la mesure, qui se pénètrent les uns les autres, et dont la succession dans la durée n’a rien de commun avec une juxtaposition dans l'espace homogène. Mais les moments où nous nous ressaisissons ainsi nous-mêmes sont rares, et c’est pourquoi nous sommes rarement libres. La plupart du temps, nous vivons extérieurement à nous-mêmes, nous n'apercevons de notre moi que son fantôme décoloré, ombre que la pure durée projette dans l'espace homogène. Notre existence se déroule donc dans l'espace plutôt que dans le temps : nous vivons pour le monde extérieur plutôt que pour nous ; nous parlons plutôt que nous ne pensons ; nous « sommes agis » plutôt que nous n’agissons nous-mêmes. Agir librement, c'est reprendre possession de soi, c'est se replacer dans la pure durée.
Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience (1889), conclusion.
Question d’interprétation philosophique : L’expression de soi est-elle toujours libératrice ?
Corrigé
L’expression de soi, c’est la manifestation, l’extériorisation de soi. Elle permet alors de se libérer de ce qu’on a en soi et qui est susceptible de nous empêcher d’être nous-mêmes.
Néanmoins, Bergson, dans la conclusion de son Essai sur les données immédiates de la conscience, oppose la pensée et la parole, la seconde nous enfermerait dans le social là où la première nous permettrait de nous libérer.
Dès lors, en quoi, l’expression de soi est-elle libératrice ?
Bergson distingue deux moi, dont l’un est la projection de l’autre. Il en est donc une expression. Ce deuxième moi qu’il qualifie de « fantôme décoloré » est un moi social qui masque le vrai moi. Il est donc une expression du moi aliénante plutôt que libératrice.
C’est en effet une expression qui transforme en espace ce qui n’est que durée. Elle est déformante. La spatialisation sépare ce qui est mêlé dans la durée. Elle ramène à la mesure ce qui lui est réfractaire.
Ne peut-on pas s’exprimer et se libérer par la parole ?
La parole se situe dans cette vie extérieure et sociale où nous sommes agis, c’est-à-dire aliénés, autrement dit où nous sommes séparés de nous-mêmes. La parole va séparer et exprimer sous un forme sociale ce qui dans notre moi véritable est uni.
Elle nous empêche alors de véritablement nous libérer.
N’est-ce pas alors dans l’acte libre que nous pouvons nous libérer ?
Par l’action, le moi se ressaisit. Il se retrouve lui-même tout entier. Son expression proviendra donc de lui. S’il parle, il mettra sa pensée dans les mots qu’il utilise. Elle sera libératrice. Cette expression sera une action libre.
En un mot, nous nous demandions en quoi l’expression de soi est-elle libératrice. Il est apparu que l’expression du moi social comme la parole ne font qu’aliéner pour Bergson le véritable moi. C’est seulement lorsque nous arrivons à exprimer notre moi profond et véritablepar un acte qui vient de nous, voire en parlant ainsi, que l’expression est bien l’expression de nous-mêmes et qu’elle est donc toujours libératrice. Elle conduit alors à faire craquer notre moi social pour faire apparaître notre vrai moi.
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