mardi 21 novembre 2017

corrigé d'une dissertation : Peut-on combattre une croyance par la raison ?

Il n’est pas rare dans un débat de voir les deux protagonistes s’affronter sans que l’un ou l’autre reconnaisse qu’il a tort. Et pourtant, s’ils ne sont pas d’accord, c’est bien que l’un au moins a tort. Chacun pourtant reste attaché à ce qu’il croit. On peut donc se poser la question : Peut-on combattre une croyance par la raison ?
Il est vrai que la raison, dans la mesure où elle est la faculté qui nous permet de distinguer le vrai du faux, notamment en cherchant des preuves de ce qu’on peut avancer, paraît tout à fait à même de combattre la croyance qui s’affirme comme vrai sans preuve. Mieux, elle peut le faire au sens où elle en a le droit pour préserver la possibilité de la vérité.
Et pourtant, on voit régulièrement des hommes qui conservent leurs croyances, même si on avance des preuves les remettant en cause. La croyance paraît alors avoir le droit d’être.
Le problème se pose de savoir s’il est possible, voire légitime, et comment, de combattre une croyance par la raison.
La raison a la possibilité et le droit de combattre la croyance pour la vérité, mais la croyance a le droit de préserver les sentiments fondamentaux, aussi la raison a le droit et la possibilité de combattre la croyance qui enferme pour libérer la pensée.


En prouvant, on détruit la croyance quant à sa prétention à être vraie. En effet, la croyance est une proposition qu’on tient pour vraie sans preuves. Elle peut être vraie ou fausse comme Socrate le fait reconnaître à Gorgias, le personnage éponyme d’un dialogue de Platon. En prouvant une croyance fausse, on la détruit. Ainsi les Grecs ont détruit la croyance que la Terre, la Lune ou le Soleil sont des Dieux. Mais en prouvant une croyance vraie, on la détruit comme croyance. Or, prouver, c’est ce que la raison cherche et exige dans la mesure où elle est la faculté qui, en nous, nous amène à chercher à distinguer le vrai du faux. Elle peut donc combattre la croyance puisqu’elles ont la vérité comme terrain commun.
En outre, la raison peut détruire la croyance en ce sens qu’elle en a le droit car la croyance, en prétendant à la vérité, sans montrer que c’est bien le cas puisqu’elle se présente sans preuve, ne mérite pas d’être. Lorsqu’on ne sait pas, on doit simplement avouer son ignorance. Ou alors, on cherche et on émet des hypothèses qu’on cherche à prouver. Au moins on présente comme une hypothèse et non comme une croyance ce dont on n’a pas la preuve. Par contre, la croyance, parce qu’elle implique qu’on prétende s’engager tout en se dégageant de l’effort de justifier ce qu’on soutient, est toujours illégitime. On ne devrait jamais dire : “je crois que …” , mais “peut-être que …”

Cependant, si la raison peut légitimement combattre la croyance, il n’en reste pas moins vrai que certaines croyances paraissent tout à fait légitimes. N’a-t-on pas raison de croire en un ami par exemple ? Dès lors, la raison n’est-elle pas dans l’impossibilité de combattre la croyance en général ? N’est-ce pas même illégitime ?


Il n’y a de preuves qu’à partir des croyances dans les premiers principes. Or, comme Pascal le soutient dans les Pensées (1670, posthume, n°110 Lafuma), les premiers principes sont connus immédiatement, par le cœur ou le sentiment. Dès lors, on croit en eux. La raison ne peut les combattre comme le font les pyrrhoniens ou sceptiques dans la mesure où ils sont hors de son champ de compétence. Elle peut démontrer ou prouver, mais à partir des premiers principes. Par exemple, un physicien doit d’abord croire au mouvement et s’interroger ensuite pour savoir si c’est la Terre qui est en mouvement ou le Soleil. La raison ne peut donc combattre la croyance dans les premiers principes.
On ne peut pas non plus détruire une croyance parce que la raison ne peut juger de tout.« Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point ; on le sait en mille choses. » écrit Pascal dans les Pensées (n°423 Lafuma). Ainsi, les sentiments ne peuvent être légitimement combattus par la raison car ils fondent les relations entre les hommes. De même pour la foi. Pascal a donc raison d’écrire : « C’est le cœur qui sent Dieu et non la raison. Voilà ce que c’est que la foi. Dieu sensible au cœur, et non à la raison. » (Pensées, n°424 Lafuma).

Néanmoins,si la croyance dans les premiers principes ou la foi paraissent échapper à la compétence de la raison, sa prétention à être vrai sans examen paraît difficile lorsque les croyances s’opposent entre elles comme on le voit avec la diversité des religions. Dès lors, la raison ne peut-elle pas, sans prétendre être la source de toute vérité, combattre la croyance qui prétend dans certains domaines, définir ce qui est vrai ?


En remettant en doute, la raison peut combattre la croyance, non pas en donnant des preuves, mais en prouvant, sans jamais s’arrêter, donc en remettant en cause non seulement la croyance, mais ce qu’elle-même soutient. Dès lors, elle ne soutient pas qu’elle détient la vérité, mais elle montre que la croyance n’est pas fondée. C’est pour cela que le philosophe Alain écrivait que « Penser est une aventure » dans ses Propos sur la religion (1938). En doutant de tout, même de ce qui passe pour vrai, la raison déracine ce qui fait la croyance : l’habitude.
En outre, elle peut légitimement combattre la croyance car cette dernière nous enferme dans un monde de préjugés, propres à un temps et un lieu. Si elle ne peut détruire le sentiment qui fait la croyance, elle amène chacun à s’interroger sur ses croyances et permet ainsi de s’en libérer. C’est en ce sens que Russell dans le chapitre XV des Problèmes de philosophie (1912) intitulé « Valeur de la philosophie », considérait que le doute que propose la raison en philosophie permet de voir le monde avec des yeux neufs et ainsi de libérer l’esprit.


En un mot, le problème était de savoir s’il est possible, voire légitime, et comment, de combattre une croyance par la raison. Dans la mesure où la croyance prétend à la vérité sans preuve, la raison peut légitimement la détruire comme croyance en prouvant. Mais la raison elle-même repose sur certaines croyances fondamentales, voire ne peut remettre en cause la foi, qu’elle soit religieuse ou en autrui. Aussi, c’est à la condition de libérer des croyances en tant qu’elles visent à enfermer dans une vision déterminée du monde que la raison peut en toute légitimité détruire la croyance.


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