dimanche 3 décembre 2017

Corrigé d'une explication de Kant sur la suspension du jugement

Sujet.
Réserver ou suspendre notre jugement, cela consiste à décider de ne pas permettre à un jugement provisoire de devenir définitif. Un jugement provisoire est un jugement par lequel je me représente qu’il y a plus de raison pour la vérité d’une chose que contre sa vérité, mais que cependant ces raisons ne suffisent pas encore pour que je porte un jugement déterminant ou définitif par lequel je décide franchement de sa vérité. Le jugement provisoire est donc un jugement dont on a conscience qu’il est simplement problématique.
On peut suspendre le jugement à deux fins : soit en vue de chercher les raisons du jugement définitif, soit en vue de ne jamais juger. Dans le premier cas la suspension du jugement s’appelle critique (…) ; dans le second elle est sceptique (…). Car le sceptique renonce à tout jugement, le vrai philosophe au contraire suspend simplement le sien tant qu’il n’a pas de raisons suffisantes de tenir quelque chose pour vrai.
Kant, Logique (1800)

Questions :
1° Dégagez l’idée principale du texte, puis les étapes de son argumentation.
2° Expliquez :
a) « Un jugement par lequel je me représente qu’il y a plus de raison pour la vérité d’une chose que contre sa vérité » ;
b) « Car le sceptique renonce à tout jugement, le vrai philosophe au contraire suspend simplement le sien ».
3° Suspendre son jugement, est-ce toujours renoncer à la vérité ?

Corrigé.

Que faire lorsqu’on n’a pas de raisons suffisantes pour affirmer la vérité ? Telle est la question à laquelle répond ce texte de Kant extrait de sa Logique publié en 1800.
Le philosophe veut montrer que le vrai philosophe suspend son jugement afin de rechercher et de découvrir la vérité.
Or, en faisant cela, n’est-on pas conduit à renoncer à la vérité ?

1° Dégagez l’idée principale du texte, puis les étapes de son argumentation.
Kant veut montrer que le vrai philosophe se distingue du sceptique en ce qu’il suspend son jugement pour rechercher la vérité et non pour y renoncer.
Il commence par définir l’acte de réserver ou de suspendre un jugement. Cette définition est que c’est l’acte qui consiste à empêcher un jugement provisoire de devenir un jugement définitif. Il définit ensuite ce qu’est un jugement provisoire. Cette définition est d’abord que le jugement provisoire a des raisons en pour et en contre lui mais que les premières sont plus importantes. Ensuite, le jugement est provisoire parce que les raisons en sa faveur ne sont pas suffisantes pour qu’il devienne un jugement définitif qu’il nomme aussi jugement déterminant. Kant définit alors ce dernier comme un jugement dont les raisons sont suffisantes pour qu’on puisse estimer qu’il est vrai. Il en déduit que le jugement provisoire est constitué par la conscience de son caractère problématique.
Après ses définitions préliminaires, Kant distingue deux objectifs différents lorsqu’on suspend son jugement. Le premier objectif est de rendre possible la recherche de raisons afin d’arriver à un jugement définitif. La suspension du jugement est donc provisoire. Le deuxième objectif est d’arriver à ne pas juger. C’est donc le jugement provisoire lui-même qui est aboli. La première attitude, il la nomme critique, la seconde, il la nomme sceptique. Enfin, Kant distingue et oppose le sceptique au vrai philosophe. L’adjectif « vrai » montre sa position en faveur de l’attitude critique et contre l’attitude sceptique. L’opposition réside en ceci que le sceptique suspend définitivement son jugement dans la mesure où il ne veut pas juger. Alors que le vrai philosophe suspend son jugement parce qu’il lui manque des raisons suffisantes pour porter un jugement qui serait alors définitif.

a) Lorsque Kant écrit « Un jugement par lequel je me représente qu’il y a plus de raison pour la vérité d’une chose que contre sa vérité », il définit par là le jugement provisoire. La définition du jugement provisoire consiste à mettre en avant que l’on a des raisons de le tenir pour vrai mais aussi pour le tenir pour faux. S’il y en a autant, alors il n’y a aucune raison de juger, c’est-à-dire d’affirmer la vérité d’une représentation de la réalité : c’est alors une simple hypothèse. Le jugement provisoire est celui où il y a plus de raison pour que de raisons contre. Mais s’il est provisoire, c’est justement parce qu’il y a encore des raisons qui s’opposent à ce qu’on affirme définitivement sa vérité.

b) Lorsque Kant écrit « Car le sceptique renonce à tout jugement, le vrai philosophe au contraire suspend simplement le sien », il veut opposer le sceptique au vrai philosophe. Il montre par là qu’il s’oppose au scepticisme. Il définit le sceptique celui qui renonce à tout jugement. Autrement dit, lorsqu’il a des raisons contre un jugement mais néanmoins des raisons pour le jugement plus importantes, le sceptique va suspendre définitivement son jugement, autrement dit, rester dans le doute. C’est en cela qu’il renonce à tout jugement. Le vrai philosophe selon Kant n’a pas cette attitude. Il suspend donc son jugement afin de rechercher les raisons qui lui permettront d’atteindre un jugement définitif, c’est-à-dire la vérité. Sa suspension du jugement est donc provisoire.

3° Suspendre son jugement, est-ce toujours renoncer à la vérité ?
Si je suspends mon jugement, c’est-à-dire si je considère que je ne peux rien affirmer, il semble que par définition, cela soit renoncer à la vérité.
Toutefois, il faut bien suspendre son jugement pour la chercher.
Dès lors, à quelles conditions suspendre son jugement n’est pas renoncer à la vérité ?



Il semble que suspendre son jugement, c’est toujours renoncer à la vérité. En effet, s’il s’agit bien comme Kant le soutient de ne pas transformer un jugement provisoire en jugement définitif, suspendre son jugement revient à ne pas juger. Car, le jugement provisoire étant celui qui a plus de raisons d’être affirmé que d’être nié, il est toujours possible de juger, quitte à accepter qu’il puisse être remis en cause. Or, si je ne juge pas, dès lors je ne me prononce pas sur la vérité. Dès lors, cela revient bien à y renoncer. C’est le cas de l’agnostique qui ne sait pas si Dieu existe ou n’existe pas. Il renonce donc à la vérité concernant l’existence de Dieu.

Cependant, une suspension du jugement peut être provisoire. Dans ce cas, il semble qu’elle n’implique pas de renoncer à la vérité. N’est-ce pas l’attitude critique selon Kant ?


On peut donc comme le préconise Kant suspendre son jugement en attendant de pouvoir juger définitivement. On le fait alors afin de rechercher la vérité. Car on va alors chercher à trouver les raisons qui nous permettent d’avoir un jugement définitif, c’est-à-dire un jugement vrai. Dès lors, à la condition que la suspension du jugement soit elle-même provisoire en ce sens qu’elle s’effectue en attendant qu’on puisse juger définitivement, elle n’implique pas de renoncer à la vérité. Elle empêche le jugement provisoire de se faire passer pour définitif.

Néanmoins, tant qu’on suspend son jugement, on renonce à la vérité. Or, n’est-ce pas une attitude vraie que celle qui consiste à suspendre son jugement quand on ne peut pas juger ?


Suspendre son jugement, cela peut sembler renoncer à la vérité, si, à la manière du sceptique, on se sert de l’opposition des raisons pour en conclure qu’il est impossible de décider de ce qui est vrai ou faux. Mais dans la mesure au contraire où le sceptique met en balance les raisons pour et contre, il refuse à juste titre de se prononcer sur la vérité. Et c’est cette position qui est vraie. Car, si je n’ai pas de raison d’affirmer plutôt que de nier, il est vrai que je dois suspendre mon jugement. Et c’est bien la recherche de la vérité qui me conduit alors à suspendre mon jugement.



Disons donc que Kant a voulu, dans cet extrait de sa Logique, montrer la différence entre le vrai philosophe et le sceptique dans la suspension du jugement. Si le premier ne suspend son jugement que pour rechercher la vérité, le second y renoncerait. On a néanmoins vu que le sceptique pouvait considérer à juste titre que lorsqu’il n’y a pas de solutions possibles à une question, alors, suspendre son jugement est la vérité.


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