mercredi 25 avril 2018

Corrigé d'une dissertation : Peut-on tirer des leçons de l'expérience ?

On se représente souvent l’homme d’expérience comme un homme d’un certain âge qui a beaucoup vécu. On valorise alors ce que l’expérience lui a appris. On dit qu’il faut tirer les leçons de l’expérience. On veut dire par là que lorsque l’expérience nous a montré une certaine réalité, nous devons en tenir compte lorsqu’une situation similaire se présente.
Pourtant, il arrive que l’expérience soit trompeuse. Elle n’est pas sans surprise. Et qui s’en tient à son expérience passée risque de ne pas voir la nouveauté.
Dès lors, y a-t-il des conditions qui permettent de tirer des leçons de l’expérience et si oui lesquelles ?

Il est clair que faire une expérience ne suffit nullement pour en tirer une leçon, c’est-à-dire un précepte à appliquer en cas de situation similaire. Car, il faut non seulement être sûr que la situation est la même, mais il faut aussi que la liaison entre les faits que nous avons constatée ne soit pas fortuite. Aussi une expérience est-elle selon Hegel, dans Propédeutique philosophique, la répétition des mêmes perceptions et le fait de retenir ce qu’il y a d’identique en elles. Elle permet donc de dégager ce qu’il y a d’universel dans les choses. Même si on ne comprend pas la nécessité de la liaison, on sait quand même comment agir.
Il faut donc avoir de l’expérience pour en tirer des leçons, c’est-à-dire qu’il faut avoir multiplié les expériences pour en dégager de vraies régularités. Toute exception montre que la leçon qu’on croyait avoir tiré est purement et simplement fausse. Il faut donc que l’expérience s’appuie sur une induction stricte et non sur la généralisation abusive qu’on trouve souvent dans les croyances qu’un ou deux exemples suffisent à valider.
Toutefois, le poulet qui a toujours été nourri par le fermier aurait tort, s’il pouvait réfléchir, de penser qu’il le sera toujours. Il peut avoir le cou tranché selon l’anecdote de Russell dans ses Problèmes de philosophie (1912, chapitre VI Sur l’induction). Bref, l’induction n’est jamais sûre. Ne faut-il pas alors penser qu’il n’est pas possible de tirer des leçons de l’expérience ? Ou bien ne s’agit-il pas d’un phénomène naturel ?

Il est sûr que nous nous appuyons sur l’expérience et qu’elle est la source de nos prévisions. Comme Hume le montre dans l’Enquête sur l’entendement humain (1748), ce n’est pas par la raison mais par l’habitude que nous sommes amenés à faire des prévisions. Lorsqu’une série de faits s’est répétée, l’apparition de l’un nous amène à prévoir le suivant. De même, lorsque des séries de faits se répètent souvent, nous avons tendance à considérer qu’elles vont se répéter. C’est ce qui fait que nous ne pouvons pas nous empêcher de généraliser. Or, il est clair que pour la raison, il y a une infinité de faits prévisibles. Mais, l’habitude ne suffit pas pour garantir que le futur sera conforme à l’expérience passée. C’est pour cela qu’il n’est pas possible du point de vue de la raison de tirer de leçon de l’expérience même si nous sommes enclins à le faire.
En effet, la raison nous interdit de conclure du particulier le général, voire du particulier au particulier selon la définition de l’induction de Russell dans Les problèmes de la philosophie (chapitre VI Sur l’induction). L’induction, qui consiste en ce mouvement, ne peut nous assurer que les choses ne se passeront pas autrement. C’est pourquoi si on admet que l’histoire est l’expérience des hommes, tirer les leçons de l’histoire est absolument impossible. Rien n’assure qu’une série de faits se répètera. L’homme d’expérience au contraire est celui qui a l’esprit assez ouvert pour ne pas se contenter de la simple routine.
Néanmoins, l’expérience nous montre quelque chose de sorte que n’en tirer aucune leçon paraît absurde. Ne nous donne-t-elle pas au moins des leçons négatives ?

On effet, lorsqu’on fait un test, c’est pour tenter de prouver quelque chose. Si le test réussit, il est clair que l’on a découvert quelque chose. Dès lors, il est possible de retenir cette découverte. Dans le même mouvement on découvre également ce qui ne peut pas être. Par exemple, un technicien qui fait une expérience qui échoue en tire une leçon négative sur ce qu’il ne faut pas faire comme un savant qui fait une expérience qui échoue apprend ce qui n’est pas possible.
C’est que l’expérience négative d’un point de vue logique est toujours juste. En effet, si on pense qu’une certaine répétition de faits aura lieu et que l’expérience me montre que quelques cas ne sont pas similaires, mon hypothèse est réfutée. Si on n’est jamais sûr que ce qui a réussi, le fera à nouveau ; ce qui a échoué montre ce qui ne marche pas. Dès lors, la leçon qu’on en tire, c’est ce qu’il ne faut pas faire. À cette condition l’expérience permet non pas de savoir ce qu’il faut faire mais ce qu’il ne faut pas faire. La leçon toute négative qui est la sienne laisse le champ libre à l’invention.

Pour finir, il était question de savoir s’il y avait des conditions qui permettaient de tirer des leçons de l’expérience et lesquelles. En tant qu’habitude, l’expérience semble donner une leçon qui, en réalité, est potentiellement trompeuse. Aussi ne peut-on tirer que des leçons négatives de l’expérience.

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