lundi 16 septembre 2019

HLP L'art de la parole - Descartes - sur l'art rhétorique


Sujet
Dans cette autobiographie intellectuelle qui sert de préface à trois essais scientifiques, La Dioptrique, Les Météores et La Géométrie, Descartes expose les disciplines qu’il a apprises au collège de la Flèche (enseignement secondaire).

Je ne laissais pas toutefois d’estimer les exercices, auxquels on s’occupe dans les écoles. Je savais que les langues qu’on y apprend sont nécessaires pour l’intelligence des livres anciens ; que la gentillesse des fables réveille l’esprit ; que les actions mémorables des histoires le relèvent, et qu’étant lues avec discrétion, elles aident à former le jugement ; que la lecture de tous les bons livres est comme une conversation avec les plus honnêtes gens des siècles passés, qui en ont été les auteurs, et même une conversation étudiée, en laquelle ils ne nous découvrent que les meilleures de leurs pensées ; que l’éloquence a des forces et des beautés incomparables ; que la poésie a des délicatesses et des douceurs très ravissantes ; que les mathématiques ont des inventions très subtiles et qui peuvent beaucoup servir, tant à contenter les curieux qu’à faciliter tous les arts et diminuer le travail des hommes ; que les écrits qui traitent des mœurs contiennent plusieurs enseignements et plusieurs exhortations à la vertu qui sont fort utiles ; que la théologie enseigne à gagner le Ciel ; que la philosophie donne moyen de parler vraisemblablement de toutes choses, et se faire admirer des moins savants ; que la jurisprudence, la médecine et les autres sciences apportent des honneurs et des richesses à ceux qui les cultivent ; et enfin, qu’il est bon de les avoir toutes examinées, même les plus superstitieuses et les plus fausses, afin de connaître leur juste valeur et se garder d’en être trompé. (…)
J’estimais fort l’éloquence, et j’étais amoureux de la poésie ; mais je pensais que l’une et l’autre étaient des dons de l’esprit, plutôt que des fruits de l’étude. Ceux qui ont le raisonnement le plus fort, et qui digèrent le mieux leurs pensées afin de les rendre claires et intelligibles, peuvent toujours le mieux persuader ce qu’ils proposent, encore qu’ils ne parlassent que bas breton, et qu’ils n’eussent jamais appris de rhétorique. Et ceux qui ont les inventions les plus agréables, et qui les savent exprimer avec le plus d’ornement et de douceur, ne laisseraient pas d’être les meilleurs poètes, encore que l’art poétique leur fût inconnu.
Descartes (1596-1650), Discours de la méthode (Pour bien conduire sa raison et découvrir la vérité dans les sciences), Première partie, 1637.

Question de compréhension philosophique : Y a-t-il un art de la rhétorique selon Descartes ?

Corrigé
Question : Y a-t-il un art de la rhétorique selon Descartes ?
Dans le premier extrait du Discours de la méthode (écrit en français), Descartes présente les différentes disciplines ou matières qui lui ont été enseignées puis, dans le second extrait, il porte un jugement sur l’éloquence et la poésie.
Parmi elle, il y a l’éloquence dont il a pu goûter les forces et les beautés incomparables. Si le deuxième aspect est esthétique, le premier renvoie à la capacité de persuader. Cette éloquence se situe dans le passage où il est question de l’apprentissage des langues anciennes qui permettent de lire les ouvrages. Descartes énumère tour à tour les fables, les histoires qu’on peut peut-être prendre au double sens de récit de faits réels ou fictifs. Il pense la lecture comme une conversation avec les auteurs du passé qui ont donné le meilleur d’eux-mêmes. Il définit la philosophie comme donnant la capacité de parler vraisemblablement de toutes choses, ce qui l’identifie avec la rhétorique. Quant aux autres matières, elles n’intéressent pas vraiment notre propos. Rien ne permet alors de parler de la rhétorique comme d’un art ou non.
Lorsqu’il juge plus particulièrement de la rhétorique, c’est lorsqu’il énonce son rapport à l’éloquence et à la poésie. Traditionnellement, la poésie comprend de l’histoire, sous la forme d’épopée, de tragédie, etc. Aussi faut-il placer sous l’égide de la rhétorique tout ce qui est susceptible de persuader (y compris la philosophie).
En effet, par rhétorique, on entend l’art de persuader, art qu’on peut comprendre comme un savoir-faire ou bien comme un ensemble de procédés qu’on peut expliciter.
Or, Descartes conteste l’idée d’un art de la rhétorique à tous les points de vue. En effet, que ce soit l’éloquence ou la poésie, il considère qu’il ne s’agit pas des fruits de l’étude, c’est-à-dire de ce qu’on pourrait apprendre. Ce sont plutôt des dons de l’esprit, donc quelque chose d’inné. L’art, au contraire, exige plutôt une acquisition. S’exercer n’est donc pas pour Descartes nécessaire et suffisant pour être capable de persuader.
Pour l’éloquence, Descartes considère que c’est le bon raisonnement qui persuade le mieux. La langue est indifférente. Il l’exprime par l’idée que l’utilisation du bas breton, c’est-à-dire non seulement une langue commune et non savante comme le latin, mais en outre peu conforme aux canons de la langue, est suffisante pour persuader lorsqu’on raisonne bien. Il fait le parallèle avec l’art poétique. Son ignorance n’empêche pas des inventions. Par conséquent, il n’y a pas vraiment d’art poétique. De même, il n’y a pas d’art rhétorique.
On peut donc dire que pour Descartes, seuls les dons de l’esprit permettent l’éloquence ou la poésie. L’art rhétorique comme l’art poétique qui en est le pendant lui semblent donc ne pas exister, voire ne pas pouvoir exister. La persuasion dépend selon lui seulement de la capacité à raisonner.

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