dimanche 15 décembre 2019

Corrigé d'une explication de Schopenhauer sur la liberté relative et le libre arbitre

Sujet.
Expliquer le texte suivant :
L’homme est capable de délibération, et, en vertu de cette faculté, il a, entre divers actes possibles, un choix beaucoup plus étendu que l’animal. Il y a déjà là pour lui une liberté relative, car il devient indépendant de la contrainte immédiate des objets présents, à l’action desquels la volonté de l’animal est absolument soumise. L’homme, au contraire, se détermine indépendamment des objets présents, d’après des idées, qui sont ses motifs à lui. Cette liberté relative n’est en réalité pas autre chose que le libre arbitre tel que l’entendent des personnes instruites, mais peu habituées à aller au fond des choses : elles reconnaissent avec raison dans cette faculté un privilège exclusif de l’homme sur les animaux. Mais cette liberté n’est pourtant que relative, parce qu’elle nous soustrait à la contrainte des objets présents, et comparative, en ce qu’elle nous rend supérieurs aux animaux. Elle ne fait que modifier la manière dont s’exerce la motivation, mais la nécessité de l’action des motifs n’est nullement suspendue, ni même diminuée.
SchopenhauerEssai sur le libre arbitre, 1839


La connaissance de la doctrine de l’auteur n’est pas requise. Il faut et il suffit que l’explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.

Corrigé.
Qu’est-ce que la liberté ? Réside-t-elle dans le choix, autrement dit, est-elle libre arbitre ? La capacité humaine de délibération prouve-t-elle le libre arbitre ou bien n’en donne-t-elle que l’illusion ?
Tel est le problème que Schopenhauer résout dans cet extrait de son Essai sur le libre arbitrede 1839. Le philosophe veut montrer que le libre arbitre n’est qu’une notion relative et que notre choix, même s’il résulte d’une délibération, reste soumis à une motivation nécessaire.
Il compare le choix humain avec le choix animal, puis montre en quoi il permet de définir le libre arbitre au sens de gens quelque peu cultivés, avant de montrer que la nécessité du choix reste entière.


L’extrait du texte de Schopenhauer pose d’abord que l’homme a la faculté de délibérer. Il faut entendre par là la faculté de peser le pour et le contre pour penser ou pour agir, d’examiner différentes raisons, d’en tirer des conclusions et d’en élire une. L’homme pouvant donc formuler différentes alternatives et en tirer des conclusions, il agirait en fonction de sa délibération. Schopenhauer en déduit que le choix que possède l’homme a une plus grande étendue que l’animal, ce qui signifie que ce dernier a également un certain choix. Qu’est-ce donc que cette différence seulement quantitative ? Comment comprendre qu’on puisse choisir sans délibérer ?
De la faculté de délibérer, Schopenhauer déduit que l’homme a une liberté relative, c’est-à-dire qu’elle n’est pas absolue. On comprend donc que ce ne peut pas être le libre arbitre, dans la mesure où il signifie une liberté absolue de choix. La raison pour laquelle la liberté humaine est relative est que le sujet est indépendant « de la contrainte immédiate des objets présents » (c’est moi qui souligne). Il faut comprendre d’une part que les objets ne contraignent pas le sujet humain immédiatement, ce qui n’exclut nullement une contrainte médiate ou indirecte.
Et d’autre part, les objets présents ne contraignent pas le sujet, ce qui n’exclut pas qu’ils puissent le contraindre absents, c’est-à-dire passés ou futurs. Délibérer, c’est donc prendre en compte le futur qui paraît possible et le passé qui se donne comme nécessaire. Aussi, Schopenhauer considère que la volonté des animaux est soumise à cette double contrainte. Comment peuvent-ils alors choisir ? Pour cela, il faut et il suffit qu’il y ait des objets présents qui offrent une alternative. Et le terme de volonté que Schopenhauer utilise pour l’animal, désigne alors ce qui meut l’animal comme l’homme sans associer, comme les partisans du libre arbitre, le choix à la notion de volonté.

Or, cette liberté relative paraît bien proche du libre arbitre. Ne peut-on pas l’interpréter comme venant du libre arbitre ? La délibération ne prouve-t-elle pas que nous sommes doués de libre arbitre, c’est-à-dire de la capacité absolue de choisir ?


Effectivement, il semble que la liberté relative que Schopenhauer a mise en lumière puisse être identifiée au libre arbitre. En effet, par libre arbitre on entend la capacité à choisir sans être déterminé par des causes internes ou externes. Or, l’homme se révèle indépendant de la contrainte immédiate des objets présents d’une part et choisit d’autre part. Qui dit choix, dit alors que l’acte qui en résulte est contingent, c’est-à-dire qu’il aurait pu être autre qu’il n’est. Or, le libre arbitre est précisément le pouvoir de choisir qui fait donc de l’homme un être responsable de ses actes. L’animal, quant à lui, ne peut s’extraire de la contrainte des objets présents. Si donc on ne lui refuse ni volonté ni choix avec Schopenhauer, force est de constater que son choix est contraint. L’homme au contraire peut choisir soit les objets présents, soit s’en détourner pour rester fidèle au passé ou agir en fonction d’un futur désiré. Or, Schopenhauer ne suit pas du tout cette identification.
En effet, il l’attribue cette identification entre liberté relative et libre arbitre à des personnes instruites, c’est-à-dire qui ont acquis des connaissances. Elles peuvent donc sur la base de la connaissance qu’a tout homme de sa capacité à délibérer, en conclure que l’homme est doué de libre arbitre. Mais d’un autre côté, Schopenhauer note que ces personnes instruites sont peu habituées à aller au fond des choses. Il faut donc comprendre qu’elles n’ont pas approfondi suffisamment la question du libre arbitre pour que cette identification fût légitime. Or, la question n’est pas de savoir si l’homme peut choisir, la question est de savoir s’il a un pouvoir absolu sur ces choix et non une capacité relative.
Il accorde à ces hommes instruits mais qui n’approfondissent pas la réflexion, que les hommes ont bien un privilège comparé aux animaux. Par privilège, il faut entendre non un droit particulier attaché à une personne ou un groupe de personne comme sous l’ancien régime, mais une capacité que l’homme possède et que ne possèdent pas les autres êtres vivants. C’est que la liberté relative ou capacité à délibérer permet à l’homme d’avoir des motifs d’actions qui ne sont pas soumis à la contrainte du présent. Il a donc plus de choix. Mais ce plus grand nombre de choix qui lui permet de faire ce que les animaux ne peuvent pas faire ne prouve en aucune façon qu’il a une capacité absolue de choisir ou libre arbitre. Car, le choix qu’ont les animaux ne prouve pas à qu’ils sont doués de libre arbitre. Autrement dit, la différence est de degré et non de nature.

Si donc l’homme a une liberté relative que certains identifient au libre arbitre, en quoi est-il fautif de faire cette identification ? En quoi surtout cette identification ne montre pas un approfondissement suffisant de la réflexion ?


Schopenhauer insiste sur la limitation de cette liberté, à savoir sur sa relativité. En effet, elle consiste simplement en ce que la contrainte des objets présents ne pèse pas sur la volonté humaine. Il est donc clair que cela ne dit rien de la contrainte des objets absents, passé ou futurs, voire imaginaires. En effet, l’imagination permet à l’homme de se représenter des objets en leur absence. Ainsi, le souvenir qui nous fait agir, comme la prévision, sont de nature à nous contraindre de la même façon que les objets présents contraignent les animaux. L’indépendance de la volonté humaine n’est que relative à un certain type d’objets. C’est pour cela que la liberté relative qu’on doit admettre en ce qui concerne l’homme n’implique en aucune façon le libre arbitre et que Schopenhauer les distingue. On peut considérer que les motifs qui contraignent les hommes sont des idées, idées qui représentent soit les objets présents, soit les objets absents, passés ou futurs. Et les uns ou les autres sont choisis, mais sur la base d’une contrainte plus générale.
La deuxième limitation selon Schopenhauer, est que la liberté humaine est seulement comparative. L’homme se montre ainsi supérieur aux animaux. Donc l’homme n’est libre que dans la mesure où il se compare aux animaux. Cela n’implique pas qu’il est libre hors de toute comparaison. On comprend donc que la comparaison est susceptible de produire une illusion, celle de la liberté absolue au sens du libre arbitre. En effet, puisque la volonté de l’animal a aussi un choix mais plus restreint et que la volonté de l’homme a un plus grand choix, si la volonté de la première est contrainte, la volonté de la seconde est seulement moins contrainte. On ne peut donc en déduire l’absence de contrainte. Encore une fois, une différence de degré passe pour une différence de nature.
En effet, la relativité de la liberté humaine réside dans le fait que les motifs de la volonté doivent être eux-mêmes indépendants pour qu’il y ait libre arbitre. Autrement dit, il ne doit pas y avoir de nécessité entre les motifs et la volonté tel que le motif le plus puissant détermine le choix de la volonté de façon nécessaire, c’est-à-dire sans qu’il puisse être autre qu’il n’est. Or, justement, Schopenhauer remarque que la liberté relative ne conduit pas à nier la nécessité de l’action des motifs qui font donc le choix. Aussi, si cette nécessité ne peut être mise en doute par la présence de la capacité de délibérer, le libre arbitre ne peut être prouvé. Et dans la mesure où il ne peut être prouvé, il n’y a aucune raison de l’admettre.

Disons donc pour finir que le problème dont il était question dans cet extrait de l’Essai sur le libre arbitre de Schopenhauer publié en 1839 est celui de savoir s’il est possible d’affirmer le libre arbitre sur la base de la capacité humaine à délibérer. Or, si l’homme a bien un privilège par rapport aux animaux, à savoir d’avoir des idées comme motifs et de ne pas être réduit dans ses choix aux objets immédiatement présents, cette liberté relative ne peut en aucun cas prouver qu’il est doué de libre arbitre. Il n’y a entre lui et les animaux de ce point de vue qu’une différence de degré et non une différence de nature. La liberté relative dont il jouit grâce à sa capacité de délibération ne donne donc que l’illusion du libre arbitre à ceux qui sont instruits mais dont la réflexion n’est pas assez approfondie.





1 commentaire:

  1. Merci beaucoup pour cette explication de texte, grâce à vous je le comprends mieux après avoir eu un bac blanc avec ce sujet

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