lundi 2 octobre 2023

corrigé: La connaissance scientifique abolit-elle toute croyance?

 Tchekhov (1860-1904) relate dans Platonov, une pièce de jeunesse publiée à titre posthume, que les paysans russes croyaient que la Terre reposait sur des baleines. Il est clair que la connaissance scientifique ne peut que détruire de telles croyances.

Les croyances reposent sur non sur des preuves, mais sur des sentiments, des coutumes, des impressions. La connaissance scientifique semble abolir, c’est-à-dire faire disparaître, toute croyance par l’exigence de preuves qu’elle enveloppe.

Toutefois, force est de constater que des croyances résistent à la connaissance scientifique.

Dès lors on peut se demander dans quelle mesure la connaissance abolit-elle toute croyance. Est-il dans sa nature de supprimer la possibilité de croire ? Les croyances n’ont-elles pas une autre source que la connaissance scientifique de sorte qu’elle ne peut les abolir ? Celle-ci ne reposent-elles pas sur des croyances qu’elles ne peuvent abolir ?

 

La connaissance scientifique repose sur des preuves. Ainsi, Aristote au IV° av. J.-C. dans le Traité du ciel(livre II, chapitre 14) expose les preuves d’observations qui montrent que la Terre est sphérique. Il s’agit d’une part de la forme sphérique que l’on voit lors des éclipses de Lune. D’autre part, les étoiles qu’on voit diffère selon qu’on est au sud ou au nord, preuve d’une courbure. Strabon ajoutera au début de notre ère dans sa Géographie que ce n’est que provisoirement qu’on voit un bateau arrivant à l’horizon. Ainsi les Anciens ont-ils détruit la croyance en une Terre plate et légué au moyen âge la représentation d’une Terre sphérique.

La connaissance scientifique abolit la croyance en son commencement car il faut douter des croyances pour rechercher la connaissance. Le savant remet en cause ses propres croyances, y compris les théories auxquelles il adhère, c’est la condition d’une véritable recherche de preuves. Aussi Popper (1902-1994), dans La logique de la recherche scientifique (1934) soutenait-il qu’est scientifique une théorie qu’on cherche à réfuter et qu’on peut réfuter. L’exemple qui l’avait frappé comme il le relate dans Conjectures et réfutations, c’est l’observation de la courbure d’un rayon lumineux à proximité du soleil comme prédit par la théorie de la relativité générale d’Einstein. Il l’oppose aux vagues des prédictions astrologiques ou aux croyances des marxistes malgré la non réalisation de la prédiction de la révolution de Karl Marx. Dans ces derniers cas, il s’agir de croyances qui cherchent et ne peuvent que trouver des confirmations.

La connaissance scientifique abolit les croyances dans leur contenu. Ainsi l’astronomie a pu montrer que les comètes ne sont pas des signes de la colère divine, mais des phénomènes naturels. On ne verrait plus un pape faire sonner les cloches pour conjurer le mauvais sort comme en 1456 Calixte III.

 

Toutefois, la croissance de la connaissance scientifique aurait dû faire disparaître nombre de croyances qui demeurent. N’est-ce pas qu’elles ont une autre source ?

 

La croyance a quelque chose d’immédiat et de social. Lorsqu’on croit, on adhère à une représentation qui n’est pas fondée et souvent on le sait. D’où l’apparence de ressemblance avec l’hypothèse. En réalité, celui qui croit ne remet pas en cause sa croyance. La raison en est qu’elle est sociale. La croyance n’est pas individuelle, elle est collective. C’est ce que montrent les préjugés ou certaines croyances qui s’opposent à toute vérification. Le montre La rumeur d’Orléans de 1969 selon laquelle des jeunes filles disparaissaient dans les cabines d’essayage de magasins juifs pour être vendues, a donné lieu à des enquêtes qui ont démontré que c’était faux, mais la rumeur est restée pour se déplacer dans d’autres villes ou à d’autres communautés comme les Roms. Ce sont les vieux préjugés antisémites qui s’expriment ainsi et qui forgent l’identité de ceux qui y croient.

La dimension sociale de la croyance qui unit en un même groupe, c’est ce qui constitue la religion selon Durkheim (1858-1917), pour qui une religion est un système de croyances enveloppant des pratiques sur le sacré et le profane qui unit une même communauté (cf. Les formes élémentaires de la vie religieuse, 1917). C’est pourquoi la connaissance scientifique ne peut abolir les croyances, notamment religieuses, car elle n’ont pas le même domaine. Indépendamment de la religion la croyance fait l’appartenance à un groupe.

Elle peut avoir aussi une dimension individuelle lorsqu’elle repose sur un sentiment ou une passion. Celui qui aime ou hait un autre aura sur lui des croyances en rapport. Il est alors imperméable à toute connaissance scientifique. Les hommes doué de charisme, c’est-à-dire qui sont capables de fasciner les autres et d’exercer ainsi ce pouvoir charismatique dont parle Max Weber (1864-1920) dans Le métier et la vocation d’homme politique (Politik als Beruf, 1919), peuvent ainsi faire croire les autres quel que soit l’état de la connaissance scientifique, voire contre elle.

 

Néanmoins, si connaissance scientifique et croyance n’ont pas le même domaine, l’une cherche la vérité là où l’autre se situe dans la pratique, il y  une dimension de vérité dans la croyance et de la pratique dans la science. Dès lors, la connaissance scientifique ne repose-t-elle pas sur certaines croyances ?

 

 

Aucune science ne peut exister sans admettre certaines croyances qui sont ce sur quoi elles se fondent, ce sont des premiers principes et on peut dire avec Pascal (1623-1662), qu’ils reposent sur le cœur ou sentiment (cf. Pensées, Lafuma 110). C’est sur ces croyances fondamentales qu’il est possible de prouver, sans quoi, on tomberait dans une régression infinie s’il fallait tout prouver. Les principes sur lesquels repose une science qu’on nomme axiomes en mathématiques ne sont-ils pas de simples hypothèses ?

S’il n’y avait pas de croyances, l’activité scientifique serait impossible. Le savant doit donc avoir des croyances de base, voire les mêmes croyances que l’homme ordinaire. Par exemple, le savant doit admettre l’existence des appareils dans son laboratoire pour faire une expérience ou croire en l’existence des symboles écrits qu’il utilise dans une démonstration mathématique (cf. Wittgenstein [1889-1951], De la certitude, posthume, 1969, n°337). Ainsi les croyances ne peuvent être abolies par la connaissance scientifique car sans elles, elle est impossible. Ne faut-il pas croire même en la science ?

3. On peut avec Nietzsche (1844-1889-1900) dans le numéro 344 du Gai savoir (1882,1887) dire que la science détruit nombre de croyances ordinaires sur la base d’une croyance fondamentale, à savoir que la vérité est nécessaire, qu’il désigne comme la volonté de vérité. C’est elle qui guide le savant qui lui fait critiquer certaines croyances, voire les siennes, en les transformant en hypothèses à tester.

 

Disons pour finir, que le problème était de savoir dans quelle mesure la connaissance abolit-elle toute croyance. Il est apparu qu’en tant que la science cherche à tester des hypothèses en tentant de les réfuter, elles ne peut pas ne pas abolir les croyances. Toutefois, si elles demeurent malgré tout, la raison en est qu’elle concernent la pratique, notamment sociale. Même la science repose sur des croyances qui la rendent possibles. Elles ne peut les abolir.

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