« Ce film est mauvais. » « Ce sont des barbares. » « Cette théorie est absurde. » « Dieu est. » Selon certains Martiniquais en 1940 « Hitler n’était autre que Jésus-Christ redescendu sur terre pour punir la race blanche d’avoir, pendant les deux mille ans qui avaient précédé, mal suivi ses enseignements. » (Lévi-Strauss [1908-2009], Tristes tropiques, [1955] chapitre II, p. 15, Œuvres, Gallimard « La Pléiade », 2008) Voilà des exemples de jugements. Juger est l’acte par lequel on pose ou refuse une existence ou on attribue ou pas à un sujet un prédicat (jugement d’existence ou jugement d’attribution).
On dira que juger c’est prendre position ou affirmer une valeur. Or, lorsqu’on attribue un sujet à un prédicat, on prend position et la valeur est celle de la vérité ou de la fausseté dans le cas d’un jugement négatif. Même dans la perception, l’acte de juger s’affirme. Si je dis que le Soleil me semble se mouvoir mais qu’en réalité, c’est la Terre qui est en mouvement, je juge et affirme l’héliocentrisme.
Dans le texte suivant qui exprime la thèse classique des philosophes, les auteurs déplient donc le jugement pour montrer qu’il implique un acte de juger conçu comme la liaison ou sa négation d’un sujet et d’un prédicat au moyen du « est ». Il ne distingue pas ici l’affirmation de l’existence de celle d’une attribution. Si être juste appartient au sujet Dieu, la question reste entière de savoir s’il existe ou pas, de même qu’un corps de cheval appartient au centaure mais on peut douter de son existence.
Après avoir conçu les choses par nos idées, nous comparons ces idées ensemble ; et, trouvant que les unes conviennent entre elles, et que les autres ne conviennent pas, nous les lions ou délions, ce qui s'appelle affirmer ou nier, et généralement juger. Ce jugement s'appelle aussi proposition, et il est aisé de voir qu'elle doit avoir deux termes : l'un de qui l'on affirme ou de qui l'on nie, lequel on appelle sujet ; et l'autre que l'on affirme ou que l'on nie, lequel s'appelle attribut ou prœdicatum [= prédicat]. Et il ne suffit pas de concevoir ces deux termes ; mais il faut que l'esprit les lie ou les sépare. Et cette action de notre esprit est marquée dans le discours par le verbe est, ou seul quand nous affirmons, ou avec une particule négative quand nous nions. Ainsi quand je dis Dieu est juste, Dieu est le sujet de cette proposition, et juste en est l'attribut, et le mot est marque l'action de mon esprit qui affirme, c'est-à-dire qui lie ensemble les deux idées de Dieu et de juste comme convenant l'un à l'autre. Que si je dis Dieu n'est pas injuste, est, étant joint avec les particules, ne pas, signifie l'action contraire à celle d'affirmer, savoir celle de nier par laquelle je regarde ces idées comme répugnantes l'une à l'autre, parce qu'il y a quelque chose d'enfermé dans l'idée d'injuste qui est contraire à ce qui est enfermé dans l'idée de Dieu." Antoine Arnauld (1612-1694) et Pierre Nicole(1625-1695), La logique ou l'art de penser, 1662, 2e partie, Chapitre III, Champs Flammarion, 1978, p. 156.
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Ainsi juger est une opération qui appelle une analyse. Qu’est-ce qui dans l’esprit ou hors de lui rend possible l’acte de juger ?
En outre, on peut distinguer différents types de jugements :
Théorique : juger en vrai ou faux
Moral ou politique : juger en bien ou mal, juste ou injuste ;
Esthétique : juger en beau ou laid.
S’agit-il du même acte de juger ou bien exige-t-il des conditions différentes ?
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