Mais déjà,
dans la connaissance commune, on a contact, d'une part avec des constances matérialistes
qui dépassent la pauvre généralité avec laquelle on voudrait limiter la
connaissance de la matière et, d'autre part, on trouve, dans les diverses matières,
des propriétés très bien spécifiées qui permettent un accord particulièrement
net entre les esprits.
En effet,
comparer directement les matières aux matières, faire agir une matière sur une matière,
suivre l'action du feu, de l'eau, de la lumière sur une matière, voilà des expériences
immédiates qui peuvent fonder un accord préliminaire des esprits touchant le
monde matériel, accord d'autant plus net qu'on barre plus nettement toute interprétation.
Cet accord des esprits – ne fût-il que provisoire – est déjà une objection à
l'irrationalisme foncier qu'on met sous le signe de la réalité matérielle insondable.
On peut certainement parler d'une clarté matérialiste, capable de rivaliser
avec la clarté géométrique. Si le philosophe développe son protocole de doute
en se référant aux caractères fluents d'une matière, à l'inconstance des qualités
matérielles de la cire, il reste cependant bien sûr de pouvoir reprendre le
lendemain sa méditation à propos de la cire. Le philosophe a d'ailleurs
l'assurance d'être compris d'autrui quand il parle de la cire. Cette assurance
ne serait pas plus grande s'il parlait de la forme des cellules hexagonales d'un
gâteau de cire. Il y a des espèces matérielles susceptibles d'être entre elles
aussi nettement distinguées que le cône et la sphère dans le domaine des
formes. La cire ne sera jamais confondue avec le goudron, non plus que
l'hydromel avec la panacée de Berkeley.
Bachelard, Le
matérialisme matériel, 1953.
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