Le temps des sciences modernes a une tout autre efficacité que le
temps des sciences débutantes. Une décade de notre époque vaut des siècles des époques
antérieures. Cette efficacité est précisément un des aspects de caractère de cité constituée qu'a pris la cité
chimique depuis la fin du XVIIIe siècle. Du fait du groupement des
travailleurs, les dialectiques se multiplient et s’accélèrent. Ainsi le temps
de la science marche de plus en plus vite. Il est très frappant que cette sorte
de progression géométrique de l’efficacité du temps dans les progrès de la
culture scientifique ne soit jamais considérée par l’historien des sciences. Et
même, si l’on évoque cette évidente accélération de la culture scientifique, on
rencontre, chez l’historien des sciences, une curieuse mauvaise humeur. Il se
veut historien comme les autres, marchant du même pas que les autres, dans la
cadence des événements contingents. Il ne se rend pas compte que tout historien
des sciences est nécessairement un historiographe de la Vérité. Les événements
de la science s’enchaînent dans une vérité sans cesse accrue. Parfois sans
doute, dans le progrès de la science, des vérités apparaissent partielles, incomplètes,
mais c'est parce qu’elles sont absorbées par des vérités plus grandes, plus
claires, plus générales. La science grandit.
Et c'est cette croissance que l'historien des sciences doit montrer. Le temps
de la science est soumis à la dynamique d’une essentielle croissance. D’autres
histoires ne sont pas si bien partagées. Quand elles reçoivent un relief, elles
le doivent souvent à un point de vue personnel de l’historien. Les moments de l’histoire générale n’atteignent
pas communément l’objectivité indéniable
des moments de l’histoire des sciences.
Bachelard, Le
matérialisme rationnel (1953), chapitre III La systématique moderne des
corps simples, II, p.86.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire