Introduction
On invoque souvent la liberté. Et on la conçoit habituellement comme la situation où il est possible de faire tout ce qui nous plaît (ou faire tout ce qu’on veut quant on ne distingue pas entre volonté et désir).
Mais il arrive qu’on fasse ce qui nous plaît tout en ayant le sentiment de ne pas être libre, comme le montre amplement l’alcoolique ou le drogué.
Dès lors, comment définir la liberté et surtout à quelles conditions est-on véritablement libre ?
I. La liberté comme absence de contraintes.
On peut définir objectivement la liberté comme l’absence de contraintes ou d’obstacles à l’instar de Hobbes dans Le Léviathan(1651). Elle concerne aussi bien les hommes que les animaux voire les choses. En effet, la liberté porte sur les corps et les mouvements qui sont les leurs.
Si on dit alors que la volonté est libre, cela ne veut pas dire qu’elle est capable de choisir par elle-même indépendamment de toute détermination, mais en ce sens qu’elle n’est pas empêchée par un obstacle extérieur. La volonté libre n’est donc pas la liberté de la volonté qui n’est qu’une chimère. Ainsi, l’amoureux est libre lorsqu’il peut réaliser son amour même s’il est – en apparence – dominé par son passion. Et le prisonnier dans sa prison est bien soumis même s’il croit qu’il peut vouloir être en prison.
Pour être libre, il faut donc que les contraintes ou obstacles soient les moindres possibles. Or, par rapport aux choses, notre liberté réside dans notre capacité d’agir. C’est la technique qui nous permet de réaliser ce que nous voulons. Mais elle-même n’est possible que si et seulement si nous ne dépendons pas des autres ou plutôt s’ils ne sont pas des obstacles. Il faut donc des lois et surtout un pouvoir pour les faire respecter. Telles sont les conditions de la liberté.
Néanmoins, il paraît difficile de se contenter de cette conception de la liberté. Car, comment appeler ainsi un homme qui est totalement soumis soit à ses désirs, soit à la volonté d’un État qui peut à tout moment, attenter à sa vie. Ne faut-il pas alors que la volonté elle-même soit libre ? Comment est-ce possible ? Une volonté libre suffit-elle pour qu’il y ait liberté ?
II. La liberté comme maîtrise de soi.
Pour qu’il y ait liberté, il faut qu’il y ait maîtrise de soi. Par là, on entend que le sujet peut avoir une volonté et la manifester. L’alcoolique ou le drogué ne passent pas pour libres à juste titre.
En effet, un homme qui ne se maîtriserait pas, non seulement ne pourrait vivre en société, mais surtout ne pourrait même pas vivre et encore moins vivre libre. En effet, représentons-nous un homme qui possède tous les pouvoirs, bref, un despote absolu comme le conçoit Durkheim dans L’éducation morale(posthume, 1925). Il serait nécessairement balloté par des désirs contradictoires qui, tous exigeraient d’être réalisés. Et c’est précisément leur opposition qui empêcherait que l’un plutôt que l’autre soit réalisé.
La liberté présuppose donc la maîtrise de soi et celle-ci est favorisée par les obligations que le sujet doit réaliser. En effet, elles lui permettent de mettre de l’ordre dans ses désirs. C’est la raison pour laquelle les enfants ont besoin de discipline – et les adultes restent souvent enfants. Il faut entendre par là avec Kant l’acte purement négatif qui fixe des limites aux désirs (cf. Traité de pédagogie). La discipline acquise, l’adulte peut lui-même se fixer des limites.
Contrairement à l’idée commune, se fixer des limites, ce n’est pas diminuer sa liberté, c’est au contraire la réaliser. C’est en étant capable de différer ses désirs, en étant capable de se fixer des buts (ou des fins) lointains et de mettre en œuvre les moyens de les réaliser que l’homme se réalise comme être libre. De ce point de vue, la liberté s’apprend. L’homme est l’être qui a absolument besoin d’éducation.
Toutefois, avoir une volonté ne suffit pas pour être libre car on ne peut être libre tout seul. Certes, on peut choisir. Mais lorsque le choix est entre la vie et la mort, ce n’est qu’un choix factice car la liberté présuppose qu’on puisse être vivant. Dire d’un esclave qu’il a le choix de ne plus l’être en se donnant la mort comme le soutient Sénèque c’est être de mauvaise foi (« Qui sait mourir ne sait plus être esclave : il se place au-dessus ou du moins hors de tout pouvoir. Que lui font les prisons, les gardes, les barreaux ? Il a toujours une porte libre. Une seule chaîne nous retient captifs, l’amour de la vie. » Sènèque, Lettres à Lucilus, lettre 26, 1ersiècle). Il y a donc des conditions politiques de la liberté. Lesquelles ?
III. La liberté politique.
On peut avec Rousseau dans Les lettres écrites de la Montagne(1764) distinguer l’indépendance et la liberté. La première consiste à faire ce qui nous plaît. Or, cette indépendance ne va pas sans heurt avec les autres. Aussi, la liberté consiste selon Rousseau à ne pas être soumis à la volonté des autres. Comment est-ce possible puisque la vie en société exige qu’on obéisse ? Ne faut-il pas nécessairement des dirigeants, des chefs ou des gouvernants ?
La solution que propose Rousseau est de lier la liberté et la loi. En effet, si tous les membres de la société obéissent à la loi entendue comme une règle obligatoire qui est la même pour tous, alors aucun n’est soumis à la volonté des autres. Dès lors, chacun est libre. Au contraire, là où certains commandent et d’autres obéissent, personne n’est libre. Non seulement ceux qui sont soumis ne sont pas libres par définition mais également les maîtres. En effet, les maîtres dépendent de l’obéissance ou non de leur esclave et sont donc indirectement soumis à leurs volontés.
Pour que la loi nous permette d’être tous libres, il faut non seulement qu’elle soit la même pour tous mais que tous en soient les auteurs. C’est ainsi qu’on peut définir avec Rousseau dans Du contrat social(1762) la république. Elle s’oppose à tout autre forme de gouvernement en ce qu’elle implique que tous les sujets soient d’abord citoyens, c’est-à-dire participent à la législation.
Dans les républiques que nous connaissons, il faut en outre que les droits fondamentaux des citoyens soient garantis, sans quoi la majorité pourrait exercer un pouvoir tyrannique sur la minorité. Les droits fondamentaux sont ceux sans lesquels il n’y a pas de participation possible à la vie politique. C’est bien sûr la vie et la liberté, mais c’est également le droit de vote, voire certains droits sociaux (santé, éducation, travail) sans lesquels l’individu ne peut exercer ses droits.
Bilan.
La première condition de la liberté est l’absence de contraintes, mais elle n’est pas suffisante. Il faut aussi que le sujet soit capable de se maîtriser pour atteindre ses fins. Mais cette maîtrise est vaine si l’homme n’est pas libre politiquement, c’est-à-dire s’il n’est pas membre d’une république, c’est-à-dire un citoyen qui participe à l’élaboration des lois et qui trouve dans les autres la garantie de l’exercice de ses droits et de sa liberté.
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