jeudi 12 novembre 2015

Descartes, Les passions de l'âme - analyse de l'article 6.

Texte.
Art. 6. Quelle différence il y a entre un corps vivant et un corps mort.
Afin donc que nous évitions cette erreur, considérons que la mort n’arrive jamais par la faute de l’âme, mais seulement parce que quelqu’une des principales parties du corps se corrompt ; et jugeons que le corps d’un homme vivant diffère autant de celui d’un homme (331) mort que fait une montre, ou autre automate (c’est-à-dire autre machine qui se meut de soi-même), lorsqu’elle est montée et qu’elle a en soi le principe corporel des mouvements pour lesquels elle est instituée, avec tout ce qui est requis pour son action, et la même montre ou autre machine, lorsqu’elle est rompue et que le principe de son mouvement cesse d’agir.
Descartes, Les passions de l’âme, première partie (1649).

Analyse.
L’objet de cet article est de corriger l’erreur qui consiste à conclure du cadavre à certaines fonctions attribuées à l’âme alors qu’il faut les attribuer au corps selon Descartes, erreur corrigée à l’article 5. Il s’agit de montrer positivement comment on peut l’éviter. Ce n’est pas l’observation, c’est un principe de méthode ou plutôt un “modèle” qui va rendre possible ce déplacement.
La mort n’est pas un événement qui aurait l’âme pour source selon Descartes, encore moins un événement qui surviendrait à l’âme de sorte qu’elle disparaisse, c’est une corruption du corps ou tout au moins d’une de ses parties principales. Autrement dit, les parties qui ne le sont pas peuvent se corrompre sans qu’il y ait mort. Il y a là un principe expérimental pour distinguer
Pour expliquer sa conception, Descartes compare le corps mort à une montre défectueuse, généralisant sa comparaison à tous les automates qu’il définit des machines qui se meuvent d’elles-mêmes. On voit en quoi il transfère la conception platonicienne de l’âme comme principe automoteur (Phèdre, 245c ; Les Lois, 896a) à certains dispositifs matériels. Il compare alors le corps vivant à une montre dont le mécanisme fonctionne et le corps mort à une montre au mécanisme radicalement détérioré.
La comparaison avec l’automate permet donc d’attribuer au corps des fonctions qu’on attribuait à l’âme dans la philosophie antique – si on fait abstraction des matérialistes, Démocrite, puis Épicure et ses disciples comme Lucrèce.
Un pas de plus consistera à ramener les fonctions de l’âme elle-même à des dispositifs matériels plus sophistiqués, ceux justement que la technique humaine peut produire. Alors l’âme passera pour le « fantôme dans la machine » (cf. Gilbert Ryle, La notion d’esprit).



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