lundi 22 octobre 2018

Aristote, Sur la comédie (textes)

L’épopée, la poésie tragique, la comédie, la poésie dithyrambique, l’aulétique, la citharistique, en majeure partie se trouvent être toutes, au résumé, des imitations. Seulement, elles diffèrent entre elles par trois points. Leurs éléments d’imitation sont autres ; autres les objets imités, autres enfin les procédés et la manière dont on imite. En effet, de même que certains imitent beaucoup de choses avec des couleurs et des gestes, les uns au moyen de l’art, d’autres par habitude, d’autres encore avec l'aide de la nature (seule), de même, parmi les arts précités, tous produisent l'imitation au moyen du rythme, du langage et de l’harmonie, employés séparément ou mélangés.
AristotePoétique, chapitre premier, 1447a.

II y a des genres de poésie qui emploient tous les éléments nommés plus haut, savoir : le rythme, le chant et le mètre ; ce sont la poésie dithyrambique, celle des nomes, la tragédie et la comédie. Ces genres diffèrent en ce que les uns emploient ces trois choses à la fois, et les autres quelqu’une d’entre elles séparément.
AristotePoétique, chapitre premier, 1447b.

La même différence sépare la tragédie et la comédie. Celle-ci tend à imiter des êtres pires ; celle-là des êtres meilleurs que ceux de la réalité actuelle.
AristotePoétique, chapitre 2, 1448a.

L’imitation comporte donc les trois différences que voici, comme nous l’avons dit en commençant : les circonstances où elle a lieu, son objet, son procédé.
Par l’une, Sophocle est un imitateur dans le même sens qu’Homère, car tous deux imitent des êtres meilleurs ; par la seconde, il l’est dans le même sens qu’Aristophane, car tous deux imitent en mettant leurs personnages en action.
De là le nom de drames (δράματα, dramata), donné à leurs œuvres, parce qu’ils imitent en agissant (δρῶντες, drôntes).
De là vient aussi que les Doriens revendiquent la tragédie et la comédie, les Mégariens, la comédie, ceux de ce pays alléguant que celle-ci est née sous le règne du gouvernement démocratique, et ceux de Sicile par la raison que le poète Épicharme était originaire de cette île et vivait bien avant Chionide et Magnès.
La comédie est revendiquée aussi par ceux du Péloponnèse, qui se fondent sur un indice fourni par les noms ; car ils allèguent que chez eux village se dit κώμα [kôma], et chez les Athéniens dème ; de sorte que les comédiens sont appelés ainsi non pas du mot κωμάζειν (railler), mais de ce que, repoussés avec mépris hors de la ville, ils errent dans les villages. Ils ajoutent qu’agir se dit chez eux δρᾶν [dran], et chez les Athéniens πράττειν [prattein].
AristotePoétique, chapitre 3, 1448a-b.

Parmi les anciens, il y eut des poètes héroïques et des poètes ïambiques. Et, de même qu’Homère était principalement le poète des choses sérieuses (car il est unique non seulement comme ayant fait bien, mais aussi comme ayant produit des imitations propres au drame), de même il fut le premier à faire voir les formes de la comédie, en dramatisant non seulement le blâme, mais encore le ridicule ; en effet, le Margitès est aux comédies ce que l’Iliade et l’Odyssée sont aux tragédies.
Dès l’apparition de la tragédie et de la comédie, les poètes s’attachant à l’une ou à l’autre, suivant leur caractère propre, les uns, comme auteurs comiques remplacèrent les poètes ïambiques, et les autres, comme monteurs de tragédies, remplacèrent les poètes épiques, parce qu’il y a plus de grandeur et de dignité dans cette dernière forme que dans l’autre. (…)
Ainsi donc, improvisatrice à sa naissance, la tragédie, comme la comédie, celle-ci tirant son origine des poèmes dithyrambiques, celle-là des poèmes phalliques (τὰ φαλλικὰ, ta phallika), qui conservent, encore aujourd’hui, une existence légale dans un grand nombre de cités, progressa peu à peu, par le développement qu’elle reçut autant qu’il était en elle.
AristotePoétique, chapitre IV, 1448b-1449a.

La comédie, nous l’avons dit déjà, est une imitation de ce qui est plus mauvais (que la réalité), et non pas en tout genre de vice, mais plutôt une imitation de ce qui est laid, dont une partie est le ridicule. En effet, le ridicule a pour cause une faute et une laideur non accompagnées de souffrance et non pernicieuses : par exemple, on rit tout d'abord à la vue d’un visage laid et déformé, sans que celui qui le porte en soutire.
Les transformations de la tragédie, ainsi que leurs auteurs, ne sont pas restées ignorées ; mais celles de la comédie le sont, parce qu’on n’y a pas prêté d'attention dans le principe. En effet, ce n’est que tardivement que l’archonte régla le chœur des comédiens. On le formait (d’abord) à volonté.
Depuis le moment où la comédie affecta certaines formes, on cite un petit nombre de poètes en ce genre.
Qui est-ce qui introduisit les masques, ou les prologues, ou la, pluralité des acteurs, etc., on l’ignore.
La composition des fables eut pour premiers auteurs Épicharme et Phormis.
À l’origine la comédie vint de Sicile. À Athènes, ce fut Cratès qui, le premier, rejetant le poème ïambique, commença à composer des sujets ou des fables sur une donnée générale.
AristotePoétique, chapitre V, 1449a-b.


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