samedi 16 février 2019

Corrigé d'une explication de texte de Nietzsche sur l'immoralité en l'homme

Sujet.
Expliquer le texte suivant :
Nous n’accusons pas la nature d’immoralité quand elle nous envoie un orage et nous trempe : pourquoi disons-nous donc immoral l’homme qui fait quelque mal ? Parce que nous supposons ici une volonté libre aux décrets arbitraires, là une nécessité. Mais cette distinction est une erreur. En outre, ce n’est même pas en toutes circonstances que nous appelons immorale une action intentionnellement nuisible ; on tue par exemple une mouche délibérément, mais sans le moindre scrupule, pour la pure et simple raison que son bourdonnement nous déplaît, on punit et fait intentionnellement souffrir le criminel afin de se protéger, soi et la société. Dans le premier cas, c’est l’individu qui, pour se conserver ou même pour s’éviter un déplaisir, cause intentionnellement un mal ; dans le second, c’est l’État. Toute morale admet les actes intentionnellement nuisibles en cas de légitime défense, c’est-à-dire quand il s’agit de conservation ! Mais ces deux points de vue suffisent à expliquer toutes les mauvaises actions exercées par des hommes sur les hommes : on veut son plaisir, on veut s’éviter le déplaisir ; en quelque sens que ce soit, il s’agit toujours de sa propre conservation. Socrate et Platon ont raison : quoi que l’homme fasse, il fait toujours le bien, c’est-à-dire ce qui lui semble bon (utile) suivant son degré d’intelligence, son niveau actuel de raison.
Nietzsche, Humain, trop humain (1878)

La connaissance de la doctrine de l’auteur n’est pas requise. Il faut et il suffit que l’explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.

Corrigé

[Le texte est extrait de l’ouvrage de Nietzsche, Humain, trop humain I, paru en 1878. Il se situe dans chapitre 2 Pour servir à l’histoire des sentiments moraux, sous le numéro 102 « L’homme fait toujours le bien ».]

Pourquoi les hommes commettent le mal ? Est-ce parce qu’ils le choisissent ou bien le font-ils par nécessité ? Dans le second cas, où est le mal ? Mais dans le premier, comment admettre un choix délibéré de refuser le bien pour le mal ? Tel est le problème dont il est question dans cet extrait d’Humain, trop humain de Nietzsche paru en 1878.
Nietzsche veut montrer son accord avec Socrate et Platon, à savoir que les hommes agissent nécessairement en fonction de ce qui leur paraît bien, autrement dit, ils ne font pas le mal volontairement.
Aussi écarte-t-il d’emblée l’hypothèse du libre arbitre comme source du mal pour ensuite mettre en lumière que la morale individuelle et sociale admet qu’on agit mal intentionnellement pour finalement montrer que la représentation du bien suffit à rendre compte des actions humaines.


Nietzsche commence par énoncer un exemple qui permet de questionner une distinction que les hommes font habituellement, à savoir que lorsqu’un orage se déclenche et que nous sommes trempés, ce qui nous nuit, nous ne jugeons pas que la nature a agi immoralement, c’est-à-dire qu’elle a fait le mal avec l’intention de le faire et surtout en décidant de le faire. Par contre, lorsqu’il s’agit d’un homme qui commet une action que nous jugeons mauvaise pour nous, nous jugeons qu’il a agi immoralement. Autrement dit, nous distinguons les effets de la nature des actions humaines. Quel est le principe de cette distinction ?
Nietzsche explique alors que cette opposition repose sur la distinction entre l’homme et la nature. En ce qui concerne l’homme, nous lui attribuons une liberté capable de décider arbitrairement, c’est-à-dire sans règles ou sans lois, de faire le bien ou de faire le mal. Selon Nietzsche, les hommes estiment que l’homme agit comme bon lui semble, c’est-à-dire selon ce qu’on nomme le libre arbitre. Autrement dit, l’accusation d’immoralité en ce qui concerne l’homme repose sur l’idée que celui qui a fait le mal aurait pu ne pas le faire, c’est-à-dire que son action est contingente, qu’elle aurait pu ne pas être.
En ce qui concerne la nature, il en va tout autrement. Nous estimons qu’elle agit avec nécessité, c’est-à-dire qu’elle ne peut pas faire autrement qu’elle ne fait. Dès lors, elle ne peut pas être immorale. Mais elle ne peut pas non plus être morale, c’est-à-dire agir bien en connaissance de cause. L’effet nécessaire ne pouvant pas ne pas avoir lieu, la nature ne dispose pas de la possibilité de ne pas réaliser ce qu’elle réalise. Aussi quand quelque chose de naturel nous nuit, nous ne pouvons donc porter un jugement moral.

Or, Nietzsche considère que cette distinction est une erreur de sorte qu’il est clair qu’il ne souscrit pas aux jugements habituels des hommes. Est-ce à dire que la nature agit librement comme on l’attribue à l’homme ou bien est-ce à dire que l’homme agit nécessairement comme la nature, autrement dit qu’il est, malgré l’apparence, un être tout aussi naturel que l’orage ?


En fait, Nietzsche n’explique pas directement pourquoi il y aurait là une erreur dans l’opposition entre l’homme et la nature, entre la liberté et la nécessité. Il ajoute un nouvel argument selon lequel nous n’appelons pas immorale toute action intentionnellement nuisible. Cela revient à dire que le fait qu’une action soit intentionnellement nuisible ne suffit pas pour définir l’immoralité, voire qu’il est possible d’admettre qu’une action soit intentionnellement nuisible sans qu’on admette qu’elle soit immorale. Dès lors, c’est plutôt l’idée que l’homme agit librement qu’il paraît rejeter, c’est-à-dire l’idée qu’on puisse accuser quelqu’un qui fait le mal d’immoralité.
Pour illustrer ces actions intentionnellement nuisibles que les hommes ne qualifient pas d’immorales, Nietzsche donne deux exemples assez communs. Le premier est celui d’une mouche qu’un homme quelconque tue parce qu’elle bourdonne et que le bruit lui déplaît. Il est clair qu’il y a une intention de tuer. Le second est celui d’un criminel que quelqu’un punit et qu’on fait souffrir pour protéger l’individu ou l’État, voire les deux. Là encore, l’intention de faire du mal est claire, si on entend par là le mal physique, c’est-à-dire la souffrance. Les exemples parlent au lecteur dans la mesure où les hommes effectivement n’accusent pas de meurtre celui qui tue une mouche ni le bourreau qui supplicie le criminel. Comment donc ses types d’action peuvent-ils s’expliquer ?
Nietzsche explique que dans le cas de la mouche tuée, il s’agit pour l’individu d’agir pour la conservation de soi, voire simplement pour s’éviter une souffrance. Dans le second cas, c’est l’État qui cherche à se conserver ou à s’éviter un déplaisir. De ces deux exemples il en induit que toute morale admet des actes intentionnellement nuisibles pour la conservation de soi. Il faut comprendre par morale un ensemble de prescriptions qui définissent ce qui est bien de faire ou ce qui est mal de réaliser. Malgré cette diversité, il y a donc un point commun : c’est que le principe de conservation de soi justifie toutes les actions, y compris celles qui sont intentionnellement nuisibles pour d’autres.

Néanmoins, que toute morale admette des actes intentionnellement nuisibles n’implique pas qu’il n’y ait pas d’action morale au sens d’un acte libre. Nietzsche ne se contredit-il pas en parlant d’acte intentionnel et en niant l’acte libre ? Comment rendre compte de ce que les hommes considèrent comme morales ?


Nietzsche considère que les deux points de vue qui expliquent que l’on admet dans toute morale qu’un acte intentionnellement nuisible soit admis, à savoir la conservation de soi ou la recherche du plaisir, suffisent pour rendre compte des actions nuisibles. Autrement dit, lorsqu’un homme agit pour se conserver ou encore pour éviter un déplaisir, il peut se faire qu’il nuise à un autre. Il le fait intentionnellement, mais c’est pour se conserver ou pour éviter le déplaisir. On peut donc admettre que l’action est nécessaire même si elle est intentionnelle. Autrement dit, le fait d’agir en connaissance de cause ne signifie pas qu’on puisse agir autrement qu’on ne fait. Comment rendre compte alors qu’elle soit considérée comme immorale ?
C’est que justement, le jugement d’immoralité provient du fait que l’acte est intentionnel et nuisible pour un individu ou pour l’État. À cette condition, il est jugé contraire à la morale qui est celle de l’individu et surtout de l’État. Par contre, l’explication par la liberté ne paraît pas pour Nietzsche indispensable pour rendre compte de la moralité. Elle est une erreur dont il n’explique pas dans ce texte comment elle est possible. Qu’est-ce alors qui détermine l’action si elle n’est pas libre ?
Nietzsche, se référant alors à Socrate et à son disciple Platon, propose de rendre compte de toutes les actions humaines par la représentation que le sujet se fait du bien. L’homme agit pour son bien, c’est-à-dire pour sa conservation. Mais il agit surtout à partir de ce qu’il estime être bien pour lui, c’est-à-dire utile précise Nietzsche dans une parenthèse. Autrement dit, c’est toujours comme moyen pour la fin qu’est la conservation, avec laquelle il faut aussi compter tout ce qui fait simplement plaisir, que l’homme agit. Il faut donc comprendre que c’est cette représentation qui déclenche l’action de façon nécessaire. Or, ce que chacun juge bon selon son intelligence, selon le développement de sa raison, le fait agir. On comprend qu’il suffit qu’un homme comprenne qu’il est utile pour lui de ne pas de faire du mal à l’État pour qu’il agisse moralement. À l’inverse, s’il ne le comprend pas, il agira immoralement.


On peut dire que le problème dont il est question dans ce texte de Nietzsche extrait d’Humain trop humain, est celui de savoir si on peut rendre compte de l’immoralité, c’est-à-dire du mal commis volontairement, autrement qu’en présupposant que l’homme agit librement. Nietzsche, conteste que l’immoralité ait pour source la liberté au sens du libre arbitre. Il montre d’abord que des actions intentionnellement nuisibles lorsqu’elles visent la conservation de soi sont considérées universellement comme morales. Aussi, la conservation de soi suffit à expliquer les actes moraux comme les actes immoraux qui sont aussi nécessaires que les orages.

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