mercredi 8 avril 2015

Fiche A : Le sujet

On peut ramener à cinq les sens de la notion de sujet :
1. L’objet ou le thème. On peut penser à l’allemand « Thema ». Par exemple, le sujet est notre sujet. En ce sens la notion de sujet est synonyme de celle d’objet. C’est pourquoi on peut parler indifféremment d’un sujet d’expérience ou d’un objet d’expérience. En ce premier sens, la notion de sujet n’a rien de spécifique.
Par exemple, Montaigne écrit en ce sens :
« Certes, c’est un subject merveilleusement vain, divers et ondoyant, que l’homme. » Montaigne, Essais, I, 1.
2. La fonction grammaticale. Le sujet est ce sur quoi porte l’action ou ce qui effectue l’action. Par exemple : Le chat mange la souris. La souris est mangée par le chat.
« Je pense donc je suis » (Descartes, Discours de la méthode, quatrième partie) « On me pense » ou « Je est un autre » (Rimbaud (1854-1891), « Lettres du voyant »)
La fonction grammaticale implique la distinction entre l’action et le sujet de l’action et implique une découpe de la réalité qu’on ne trouve pas dans toutes les langues.
3. La substance. Le sujet (grec : upokeimenon, latin : subjectum), c’est ce qui porte les attributs. Socrate est un homme. Socrate est assis. Synonyme : substance (cf. Aristote, Catégories, Métaphysique).
« [L]a substance est prise en deux acceptions ; c’est le sujet dernier, celui qui n’est plus affirmé d’aucun autre, et c’est encore ce qui, étant l’individu pris dans son essence, est aussi séparable : de cette nature est la forme ou configuration de chaque être. » Aristote, Métaphysique, D, 8.
En ce sens, la notion de sujet renvoie à ce qui est premier et ce qui reste identique. Tout s’affirme du sujet au sens de substance. Dès lors, le sujet apparaît comme une réalité première et fondamentale. Aristote peut dire dans sa Métaphysique au chapitre 1 du livre Z que l’être se dit d’abord de la substance.
4. Le sujet au sens politique. Le sujet s’oppose au citoyen comme celui qui subit le pouvoir par rapport à celui qui y participe.
Toutefois, le sujet n’est pas l’esclave. S’il obéit, c’est à un pouvoir légitime, c’est librement qu’il obéit. Le texte suivant de Corneille en donne une indication.
« En Perse il n’est point de sujets ;
ce ne sont qu’esclaves abjets [=abjects],
qu’écrasent d’un coup d’œil les têtes souveraines :
le monarque, ou plutôt le tyran général,
n’y suit pour loi que son caprice,
n’y veut point d’autre règle et point d’autre justice,
et souvent même impute à crime capital
le plus rare mérite et le plus grand service ;
il abat à ses pieds les plus hautes vertus,
s’immole insolemment les plus illustres vies,
et ne laisse aujourd’hui que les cœurs abattus
à couvert de ses tyrannies. (…)
La Grèce a de plus saintes lois,
elle a des peuples et des rois
qui gouvernent avec justice :
la raison y préside, et la sage équité ;
le pouvoir souverain par elles limité,
n’y laisse aucun droit de caprice. »
Pierre Corneille (1606-1684), Agésilas (1666)
De son côté, le texte suivant de Montesquieu montre que la notion de sujet ne concerne pas seulement la monarchie.
« Le peuple, dans la démocratie, est, à certains égards, le monarque ; à certains autres, il est le sujet. » Montesquieu, De l’esprit des lois, livre II Des lois qui dérivent directement de la nature du gouvernement, chapitre II Du gouvernement républicain et des lois relatives à la démocratie.
Montesquieu utilise l’opposition du monarque et du sujet pour penser le double rôle du peuple dans la démocratie.
C’est en un sens semblable que Spinoza distingue le citoyen qui a tous les avantages de la cité selon le droit du sujet en tant qu’il est tenu d’obéir au § 1 du chapitre 3 du Traité politique (posthume 1677). De même, Rousseau distingue le sujet du citoyen dans le chapitre viii du livre I Du Contrat social comme celui qui obéit en l’homme à celui qui légifère. Être sujet, c’est donc un aspect de l’homme dans sa dimension politique et non la totalité de l’homme. Et c’est même la dimension de la soumission.
5. L’être conscient et libre. Le sujet désigne l’être comme conscience capable de représentation et donc de se décider pour ou contre ce qu’il prend en vue dans la représentation. Le sujet en ce sens s’oppose à l’objet. Je me représente la table alors que l’inverse n’est pas vrai. En outre, le sujet apparaît comme un principe moral ou juridique. On parle aussi du sujet de droit, ce qui n’est pas le cas de l’objet ou de l’animal dans certains cas. On attribue à Descartes avec son cogito d’avoir découvert le sujet (quoiqu’il n’utilise jamais le mot latin ou sa traduction latine en ce sens) et d’avoir ainsi fondé la philosophie moderne (Discours de la méthode, Quatrième partie, Méditations métaphysiques, Méditation seconde, Principes de la philosophie, première partie, article 7).

Le subjectif se dit alors du sujet par opposition à l’objectif qui se dit de l’objet. Le subjectif est ambivalent. Il est à la fois le faux, l’irréel, l’illusoire par opposition à l’objectif qui est le vrai, le réel. Mais le subjectif est également le propre du sujet, ce qui le distingue, sa vérité, et donc ce qu’on ne peut lui contester, lui enlever. Le subjectif est alors ce qui a une valeur que l’objectif n’a pas.

Problème.
Quel est le sens fondamental de la notion de sujet ? Est-ce le sens de la philosophie moderne ? En effet, ne faut-il pas être un sujet conscient et libre pour saisir un thème, pour comprendre quel est le sujet de l’expérience, pour être capable de parler, pour se penser soi-même comme identique à travers des temps et des espaces différents, voire pour penser l’identité de toutes choses, pour se soumettre à un pouvoir à partir d’une décision ? D’un autre côté, l’être conscient n’est-il pas subordonné à une identité qui lui échappe, voire à une fiction d’identité que lui donne la langue qu’il parle ? Ne s’attribue-t-il pas le mode d’identité des choses parce que son existence lui est moins familière que les choses qu’il utilise et dont la disponibilité lui indique une identité ?

Le problème général consiste à se demander si le sujet peut être pensé en vérité comme un principe théorique et moral ou bien si au contraire il n’est pas une sorte d’illusion ou d’erreur de la philosophie moderne.

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