mercredi 5 août 2015

Kafka (1883-1924), biographie

Franz Kafka est né le 3 juillet 1883 à Prague dans l’empire austro-hongrois, alors dirigé par l’empereur Habsbourg François-Joseph 1er (1830-1848-1916). Son père, Hermann Kafka, est issu d’une famille juive pauvre de Bohème du sud. À la naissance de Franz, il est devenu un commerçant prospère d’accessoires de mode. Son magasin a comme emblème le choucas (“kavka” en tchèque) perché sur une branche. Sa mère, Julie, née Löwy, vient de la bourgeoisie juive allemande. Fils aîné, ses deux frères meurent en bas âge, Georg en septembre 1885 et Heinrich en septembre 1887.
L’allemand fut la langue dans laquelle Kafka vécut. C’était une langue minoritaire. C’était aussi une langue administrative et une langue de culture. Être juif de langue allemande c’était être minoritaire dans une minorité. D’autant plus qu’au xix° siècle, les Tchèques revendiquent leur droit à l’identité nationale qui passe par la langue. Si la minorité allemande occupe le haut du pavé et les Tchèques le bas, les Juifs allemands sont à la fois au milieu et en butte à l’hostilité des deux autres groupes.
En 1889, il entre à l’école primaire l’année de la naissance de sa sœur Grabrielle (Elli). Sa seconde sœur, Valerie (Valli), naît en 1890 et la troisième, sa préférée, Ottilie (Ottla), voit le jour en 1892. Il entre au Gymnasium, c’est-à-dire l’équivalent de notre collège et de notre lycée en 1893. La plupart des élèves sont issus de la bourgeoisie juive comme lui. Il obtient son Abitur, le baccalauréat, mention philosophie, en 1901.
Après avoir hésité, notamment à faire des études de philosophie ou d’histoire de l’art, puis après de très courtes études de chimie, puis d’allemand, il fait son droit à partir de 1902. Il fréquente des cercles littéraires et rencontre des écrivains, notamment Max Brod (1884-1968) qui sauvera son œuvre posthume de la destruction à laquelle il la destinait. Il écrit beaucoup comme nous l’apprend une lettre à Oskar Pollak de 1903. Il détruit aussi. C’est à l’automne 1904 que commence son plus ancien texte connu Description d’un combat (Beschreibung eines Kampfes).
Il obtient son doctorat en droit en 1906 à l’unanimité du jury. Alfred Weber (1868-1958), frère cadet du célèbre sociologue Max Weber (1864-1920) en est le président. Après des stages chez un oncle avocat, il entre en 1907 dans la filiale pragoise d’une société italienne d’assurances, les Assicurazioni Generali. Il rédige Préparatifs de noces à la campagne (Hochzeitsvorbereitungen auf dem Lande) fin 1906. Edouard Raban, le personnage principal, souhaite échapper à ses obligations conjugales de la façon suivante :
« Quand je suis au lit, j’ai la silhouette d’un gros coléoptère, d’une lucarne ou d’un hanneton je crois. (…) La grande silhouette d’un coléoptère, oui. Puis je m’arrange pour faire croire qu’il s’agit d’un sommeil hivernal et je presse mes petites pattes contre mon abdomen renflé. » Kafka, Préparatifs de noces à la campagne.
Le 9 février 1907, Max Brod, dans un article qu’il publie dans l’hebdomadaire berlinois Die Gegenwart (Le Temps présent), cite Kafka qui n’a rien publié à la suite d’auteurs célèbres de la littérature allemande contemporaine.
L’année suivante, Kafka adresse huit poèmes en prose à la luxueuse revue mensuelle de Munich Hypérion. Ils paraissent en mars.
Il entre le 30 juillet à l’Office d’assurances contre les accidents de travail. C’est un organisme semi-public. Il y fera une bonne carrière. Il y observera certains aspects de la condition ouvrière, notamment les effets mutilants du machinisme industriel. En outre, il acquerra l’expérience intime de la bureaucratie étudiée au même moment par Max Weber.
En 1909, il fréquente certains milieux politiques, notamment les anarchistes, ce qu’il ne dira jamais à Max Brod. Peut-être a-t-il participé au défilé du 1er mai. En septembre, le grand quotidien de Prague publie un compte-rendu qu’il a fait d’un meeting aérien auquel il a assisté avec Max Brod à Brescia en Italie. En compagnie de son ami, il fréquente cafés et bordels.
Son Journal commence en 1910. Max Brod ne le découvrira qu’après la mort de son ami. En octobre il séjourne à Paris. Il voyage avec Max Brod en 1911 en Italie du Nord, en Suisse et à Paris (septembre). En octobre, à Prague, il fréquente l’acteur Jizchak Löwy (nom répandu en Bohème notamment et sans rapport avec la famille de sa mère), né en 1887 (et qui mourra à Treblinka en 1942), et sa troupe de théâtre juif. Le père de Franz désapprouve ses fréquentations :
« Löwy : Mon père parlant de lui : “Qui couche avec les chiens attrape des puces.” Je n’ai pas pu me contenir et j’ai dit des paroles qui échappaient à mon contrôle. » Kafka, Journal, 3 novembre 1911, Paris, Grasset, 1954, Le Livre de Poche, biblio, p.120.
Dans la Lettre au père, rédigée en 1919, il relate de la façon suivante le même fait :
« Il te suffisait que quelqu’un m’inspirât un peu d’intérêt – étant donné ma nature, cela ne se produisait pas souvent – pour intervenir brutalement par l’injure, la calomnie, les propos avilissants, sans le moindre égard pour mon affection et sans respect pour mon jugement. Des êtres innocents et enfantins durent en pâtir. Ce fut le cas de l’acteur yiddish Löwy, par exemple. Sans le connaître, tu le comparais à de la vermine (Ungeziefer), en t’exprimant d’une façon terrible que j’ai maintenant oubliée, et tu avais automatiquement recours au proverbe des puces et des chiens, comme tu le faisais si souvent au sujet des gens que j’aimais. » Kafka, Lettre au père, Brief an der Vater, trad. Marthe Robert, Paris, Gallimard, « Folio bilingue », 1995, p.35.
C’est ce terme de vermine (Ungeziefer) qui désigne Gregor (ou Grégoire) Samsa dans La Métamorphose. Il découvre le monde des communautés juives et la langue yiddish différentes des juifs “déracinés” de son milieu.
En 1912 il commence un roman, Amerika ou Le disparu ou L’oublié (Der Verschollene) selon les traductions. Il restera inachevé et sera publié de façon posthume. Le premier titre est de Max Brod, le second, est celui prévu par Kafka. Franz doit à partir de mars travailler tous les après-midi à l’usine d’amiante de son beau-frère. D’où un conflit avec son père et l’idée de suicide. En juin, Brod lui fait rencontrer l’éditeur Rowohlt, à Leipzig. Il rencontre Felice Bauer qui a 4 ans de moins que lui le 13 août chez Max Brod. La jeune fille est fondé de pouvoir dans une entreprise de Berlin spécialisée dans les dictaphones. Il entretient une correspondance avec elle.
Il rédige le Verdict (Das Urteil) en une nuit du 22 au 23 septembre comme le prouve son Journal. Quelques jours après c’est Le soutier (Der Heizer) qui constituera le premier chapitre d’Amerika. Quant à La Métamorphose (Die Verwandlung) il la rédige entre le 17 novembre et le 7 décembre. Il publie son premier volume Considération ou Regard (selon les traductions de Betrachtung) le 10 décembre chez Rowoht.
Il poursuit en 1913 ses relations épistolaires avec Felice Bauer qu’il visite plusieurs fois à Berlin. Il a peur du mariage. Son problème : comment concilier le mariage avec la littérature ? Son Journal témoigne de sa vocation littéraire. À la date du 21 août 1913, on trouve le brouillon d’une lettre à son futur beau-père où il écrit :
« Mon emploi m’est intolérable parce qu’il contredit mon unique désir et mon unique vocation qui est la littérature. Comme je ne suis rien d’autre que littérature, que je ne peux et ne veux pas être autre chose, mon emploi ne pourra jamais m’exalter, mais il pourra fort bien me détraquer complètement. » cité par Brigitte Vergne-Cain et Gérard Rudent dans la préface intitulé « Saint Garta, priez pour nous ! de Kafka, Récits, romans, journaux, Librairie générale française, « La pochothèque », 2000, p.29.
Le premier avril 1913 il écrit à Felice Bauer :
« Ma vraie crainte – rien de plus grave ne saurait être dit ni entendu – : jamais je ne pourrai te posséder. Dans le cas le plus favorable, je devrais me borner, à la manière d’un chien follement fou, à baiser ta main qui me serait négligemment abandonnée, ce qui ne sera pas un signe d’amour, mais du désespoir que tu éprouverais pour l’animal condamné au mutisme et à l’éternel éloignement … Bref, je resterai à jamais exclu de toi, en viendrais-tu à t’incliner si profondément vers moi que tu serais en danger. » Kafka à Felice Bauer le 1er avril 1913, cité par Blanchot, De Kafka à Kafka, Paris, Gallimard, « Folio essais », p.235.
Il accompagne son directeur au Congrès international sur la prévention des accidents du travail et suit quelques séances du Congrès sioniste. C’est l’année du Sanatorium à Riva. Il y connaît un amour platonique avec Gerti Wasner, jeune suissesse chrétienne de 18 ans et une aventure sensuelle avec une autre pensionnaire. Il publie le Verdict et le Soutier (mai) chez Kurt Wolff qui a repris les éditions Rowohlt
Toutefois, l’année suivante, il se fiance avec Felice Bauer en juin. Il écrit dans la nuit du 11 au 12 juin, Tentation au village qui ne sera pas publié de son vivant. Il rompt ses fiançailles le 12 juillet. À partir d’août, il habite l’appartement de sa sœur Elli, laissé libre par la mobilisation de son mari. Il commence Le Procès (der Process), roman inachevé et publié par Brod à titre posthume. Il lui lit en septembre le premier chapitre. Il rédige La colonie pénitentiaire (In der Strafkolonie) en octobre au moment où l’Europe se plonge dans la première guerre mondiale. En décembre, il rédige un texte inachevé Le Maître d’école du village (Der Dorfschullehrer) où il est question d’une « taupe géante ».
En 1915, il quitte le foyer de ses parents et changera plusieurs fois de domicile. Il essaie sans réussite de se faire mobiliser. Il publie la parabole Devant la loi (Vor dem Gesetz), seul fragment du Procès publié de son vivant. . Il publie La Métamorphose dans la revue les Weisse Blätter de René Schickele en octobre, puis en volume chez l’éditeur Kurt Wolf, à Leipzig. À ce sujet, il écrit à son éditeur à propos de l’“insecte” :
« L’idée m’est venue qu’Ottomar Sarke [l’illustrateur] pourrait vouloir par exemple dessiner l’insecte lui-même. Pas cela, surtout pas cela ! Je ne voudrais pas empiéter sur son terrain, mais le prier de ne pas le faire, en me fondant sur ma connaissance naturellement plus juste du récit. L’insecte lui-même ne peut pas être dessiné. Et il ne peut même pas être montré de loin. » cité par Brigitte Vergne-Cain et Gérard Rudent, op. cit., p.34.
Il renoue avec Felice Bauer à Marienbad en 1916. Il lui lit Un célibataire entre deux âges entre le 3 et le 13 juillet. Il reprend avec elle sa correspondance. Il publie le Verdict en septembre. En octobre il obtient le prix littéraire Fontane car le vainqueur, le poète Carl Sternheim, y avait renoncé à son profit.
En avril 1917, il publie Communication (ou Rapport selon les traductions) à une académie où un homme relate ses recherches scientifiques sur son ancienne vie de singe et Chacals et Arabes dans la revue Der Jude avec comme titre « Deux histoires d’animaux » car il refuse de les considérer comme des allégories. En juillet il se fiance de nouveau avec Felice Bauer. On lui diagnostique en septembre une tuberculose pulmonaire. Il prend un congé de huit mois et part en convalescence chez sa sœur Ottla à Zurau. En décembre, il rompt de nouveau et définitivement avec Felice Bauer (elle se mariera en 1919 avec un négociant de Berlin. Elle aura deux enfants, un fils et une fille. Elle émigrera avec sa famille en Amérique en 1931). Il rédige Un médecin de campagne (Ein Landarz) qui sera publié l’année suivante ; Un nouvel avocat où Bucéphale, le cheval d’Alexandre le Grand, est devenu avocat ; Un croisement (Eine Kreuzung), celui d’un chaton et d’un agneau ; Le pont (Die Brücke) ; Le Chasseur Gracchus (Der Jäger Gracchus) ; À cheval sur un seau de charbon ; La Muraille de Chine (Beim Bau der Chinesischen Mauer) (en grande partie) ; Le Loup frappé à la porte ; Le voisin (Der Nachbar) ; Une confusion quotidienne (Eine alltägliche Verwirrung) ; La Vérité sur Sancho Pança (Die Wahrheit über Sancho Pansa) ; Le Silence des sirène (Das Schweigen der Sirenen).
Il revient à Prague en 1918 où il reprend son travail le 2 mai. La revendication nationaliste a enfin abouti à la création de la Tchécoslovaquie qui est proclamée le 14 novembre. Il fait la rencontre de Julie Vohryzek, née en 1891 (elle mourra à Auschwitz en 1944). Il commence la rédaction de La taupe géante qui s’achèvera l’année suivante. En 1919 donc, il projette de se marier avec Julie Vohryzek. Son père s’y oppose : humiliation et rupture. Il rédige la Lettre au père (Briefe an den Vater) destinée à Hermann Kafka mais qui ne lui sera jamais envoyée.
Il étudie l’hébreu. Il publie La colonie pénitentiaire en mai chez Kurt Wolff, puis, Un médecin de campagne (recueil de 14 récits).
En 1920, il rompt définitivement avec Julie Wohryzek et débute ses relations et sa correspondance avec Milena Jesenska. Née en 1896, elle est l’épouse d’Ernst Pollak, âgée de 23 ans. Sa réputation est sulfureuse (drogue, homosexualité). Elle est sa traductrice en Tchèque. Elle fera notamment paraître la nouvelle le soutier dans Kmen, une revue d’avant-garde tchèque. À l’automne, il rédige Le Vautour (Der Geier) récit où le narrateur est dévoré par un vautour qui se noie dans son sang.
De décembre 1920 à août 1921, il séjourne au sanatorium de Matlaiary, dans les monts Tatras (partie la plus élevée des Carpates, aux confins de la Pologne et de la Slovaquie actuelles.). Il revoie Milena en octobre à Prague et lui remet des cahiers de son Journal. Il achève Première souffrance, l’histoire d’un trapéziste perfectionniste qui finit par vivre sur son trapèze. En novembre 1921, Max Brod publie un article dans la Neue Rundschau intitulé Le Poète Franz Kafka (Der Dichter Franz Kafka) dans lequel il évoque Le Procès, récit non publié dont il fait un éloge dithyrambique. Dans le numéro du 25 décembre de Prager Presse, il donne un conte de Noël, À cheval sur un seau de charbon.
En 1922, son état physique l’amène plusieurs fois à quitter Prague. Il est possible qu’il rédige alors l’une des deux esquisses testamentaires à Max Brod lui demandant de brûler tous ses textes non publiés. Cela ne l’empêche pas de rédiger Le Château (Der Schoss) troisième et dernier roman inachevé, publié à titre posthume par Max Brod. Il rédige également Un artiste de la faim (Ein Hungerkünstler), nouvelle immédiatement publiée avec Première souffrance (Erstes Leid) et Les Recherches d’un chien (Forschungen eines Hundes) longue nouvelle inachevée qui rappelle quelque peu Communication à une académie (Ein Bericht für eine Akademie). En effet, un homme y rapporte les résultats de ses recherches sur son ancienne vie de chien. Kafka prend sa retraite anticipée.
En 1923, il séjourne sur la Baltique où il rencontre une jeune polonaise, Dora Dymant (1898-1952), avec laquelle il s’installe à l’automne dans le Berlin de l’inflation. Il songe sérieusement à émigrer en Palestine. Il rédige le Terrier (Der Bau), récit inachevé.
En mars 1924, il rédige encore Joséphine la Cantatrice ou le peuple des souris (Eine kleine Frau und Josefine, die Sängerin oder Das Volk der Mäuse). Toutefois, le 14, il est ramené de Berlin par son oncle Siegfried, le médecin de campagne. Hospitalisé, il meurt le 3 juin 1924 dans le sanatorium de Kierling près de Vienne. Il ne pouvait plus communiquer que par écrit. En mai, il avait corrigé les épreuves de son dernier livre, un recueil de quatre nouvelles Un artiste de la faim publiées durant l’été.

Max Brod, malgré la destruction à laquelle la destinait Kafka, publiera la majeure partie de son œuvre. Fuyant le nazisme, il émigrera en Palestine et deviendra citoyen israélien après 1948. Il publiera Le Procès en 1925, le Château en 1926 et Amérika en 1927.
Ses sœurs Elli et Valli moururent avec leurs maris après leur déportation au ghetto de Lodz (actuelle Pologne).
Sa sœur préférée, Ottla, est morte à Auschwitz en 1943.
Milena Jesenska devint communiste en 1931. Elle sera exclue en 1936 à cause de ses protestations lors des procès de Moscou. Après l’entrée des nazis en Tchécoslovaquie, elle entre dans la clandestinité et la résistance. Arrêtée en 1940, elle est transférée au camp de Ravensbrück. Quoique non juive, elle y portera l’étoile juive et y mourra en 1944.
Dora Dymant fuira en U.R.S.S. après avoir épousé un communiste. Après la condamnation de celui-ci au goulag pour trotskisme, elle se réfugie en Angleterre où elle mourra en 1952.



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