vendredi 21 août 2015

Leçon : Le bonheur du tyran

Qui ne voudrait réaliser tous ses désirs ? Qui ne se plaint pas de ne pas y arriver ?
Or une solution se dessine : la tyrannie. En effet, le tyran paraît réaliser tous ses désirs car il a le pouvoir.
Néanmoins, on rejette généralement la tyrannie. Personne n’avouerait désirer être un tyran.
Est-ce par impuissance ou parce qu’elle est mauvaise ou alors parce que le bonheur ne réside pas dans la réalisation de tous ses désirs ?

I. Éloge de la tyrannie.
Il ne peut y avoir de plaisirs sans désirs. Aussi, ce qui procure à l’un du plaisir n’en procure aucun à l’autre, voire produit l’effet inverse. Plus grands sont les désirs, plus grands les plaisirs, mais plus difficiles sont-ils à réaliser. Aussi faut-il pouvoir le faire faire aux autres. Mais la vie en société s’oppose au bonheur puisque elle trace des limites sous la forme des lois ; elle menace de sanctions ceux qui désirent plus ; et elle les applique lorsqu’ils le font. Pourtant, qui a le pouvoir peut négliger les lois.
Ainsi dans son Gorgias, Platon fait-il parler le rhéteur Polos qui loue Archélaos, tyran macédonien qui est arrivé au faîte du pouvoir et du bonheur. Car le tyran peut assouvir tous ses désirs. C’est lui qui menace ; il ordonne, il fait faire. Il peut profiter de tout ce que les autres fabriquent, inventent. Aussi, certains hommes cherchent à obtenir le pouvoir suprême : la tyrannie. C’est « le gouvernement où un seul homme exerce un pouvoir irresponsable sur tous les citoyens, qu’ils soient égaux ou supérieurs, et n’a en vue que son propre intérêt, non celui de ses sujets. » (Aristote, La politique, IV, 10, 1295a).
Quant aux hommes ordinaires, ils ne respectent la justice et la loi que par impuissance. Platon expose cette conception dans une sorte d’apologue, celui de l’ancêtre de Gygès le Lydien, modeste berger qui a découvert un anneau magique grâce auquel il a séduit la reine et s’est emparé du pouvoir. Ainsi, le tyran accède à la liberté au sens ordinaire de faire tout ce qui nous plaît. En lui, liberté et bonheur semblent se réaliser.
Y a-t-il véritablement un bonheur du tyran ou bien ne subit-il pas une série de contraintes malgré l’apparence ?

II. L’épée de Damoclès.
Dans les Tusculanes, Cicéron relate une histoire qui est passée en proverbe, celle de l’épée de Damoclès. Ce flatteur de Denys, le tyran de Syracuse, faisait son éloge. Le tyran lui propose de prendre sa place, il l’installe au milieu des plaisirs. Bientôt, Damoclès voit au-dessus de lui une épée près de son cou, tenue par un fil de crin. Il en est effrayé et renonce à la place octroyée par Denys. Celui-ci alors lui indique que lui ne peut même plus quitter cette place. Hiéron, le tyran dit la même chose au sage Simonide dans le dialogue de Xénophon (~430-~355 av. J.-C.) qui porte son nom (chapitre VII, 12).
Ainsi, loin d’être heureux, le tyran vit dans la crainte continuelle. Celle-ci lui gâche tous ses plaisirs. Loin d’être libre, il vit dans la crainte continuelle de la mort, dans le soupçon perpétuel : tous ses sujets sont ses ennemis. Et en même temps, il en a besoin puisqu’il ne fait rien lui-même. La tyrannie comme moyen de réaliser tous ses désirs est donc un mirage.
Il paraît donc préférable en suivant Epicure et ses disciples, d’avoir des désirs limités et de pouvoir les satisfaire plutôt que d’avoir des désirs illimités et ne jamais pouvoir les satisfaire. À cette condition, il est possible d’être libre en ce sens que non seulement on réalise ses désirs mais on réussit aussi à ne pas dépendre des autres.
Il n’en reste pas moins vrai qu’en voulant limiter ses désirs et les moyens de s’en satisfaire, en voulant vivre de peu, on se destine à une vie étriquée qui n’est guère satisfaisante. Le bonheur du tyran, pour risqué qu’il soit, paraît plus exaltant. Comment alors sortir de cette idée du bonheur du tyran puisque nous rêvons d’assouvir tous nos désirs ?

III. Bonheur et action.
On doit distinguer le bonheur reçu du bonheur agi. Le premier, tel le loto, ne dépend pas de nous et file entre nos doigts. Le second comme l’objet que nous réalisons où le jeu auquel nous participons dépend de nous et est toujours à notre disposition.
Il faut donc agir et que le plaisir ou la joie comme on voudra dire vienne de l’action, l’accompagne. À ce compte, la peine elle-même est voulue comme on le voit dans les coups reçus quand on joue au ballon qui ne sont pas incompatibles avec le bonheur de jouer. Loin de ne chercher que le plaisir, l’homme veut la peine mais seulement si cette peine est libre soutient à juste titre Alain dans ses Propos sur le bonheur (1925). La liberté est bien la condition et le contenu du bonheur.
Dès lors, la règle n’est plus une contrainte pour peu qu’elle soit elle aussi voulue comme les règles d’un jeu que chacun accepte comme sa condition. De même pour la vie sociale. Qui trouve le bonheur dans l’action n’envie pas les autres. La maison que le maçon se construit pendant ses congés a plus de valeur que celle qu’il recevrait.

Bilan.
En un mot, le bonheur du tyran est une sorte de mirage qui habite tous les hommes lorsqu’ils n’agissent pas, ou pas assez. Ils rêvent alors de tout avoir sans rien faire. Quelques uns cherchent à occuper la place de tyran mais ne trouvent pas le bonheur escompté.
Renoncer à cette illusion, c’est peut-être trouver que ce qu’on cherche, on le possède déjà pour peu qu’on se débarrasse de l’illusion du bonheur reçu.


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