samedi 14 mars 2015

La conscience (L, ES, S) - une explication d'un texte extrait de "La conscience et la vie" de Bergson

Expliquer le texte suivant :
Il me paraît donc vraisemblable que la conscience, originellement immanente à tout ce qui vit, s’endort là où il n’y a plus de mouvement spontané, et s’exalte quand la vie appuie vers l’activité libre. Chacun de nous a d’ailleurs pu vérifier cette loi sur lui-même. Qu’arrive-t-il quand une de nos actions cesse d’être spontanée pour devenir automatique ? La conscience s’en retire. Dans l’apprentissage d’un exercice, par exemple, nous commençons par être conscients de chacun des mouvements que nous exécutons, parce qu’il vient de nous, parce qu’il résulte d’une décision et implique un choix, puis, à mesure que ces mouvements s’enchaînent davantage entre eux et se déterminent plus mécaniquement les uns des autres, nous dispensant ainsi de nous décider et de choisir, la conscience que nous en avons diminue et disparaît. Quels sont, d’autre part, les moments où notre conscience atteint le plus de vivacité ? Ne sont-ce pas les moments de crise intérieure, où nous hésitons entre deux ou plusieurs partis à prendre, où nous sentons que notre avenir sera ce que nous l’aurons fait ? Les variations d’intensité de notre conscience semblent donc bien correspondre à la somme plus ou moins considérable de choix ou, si voulez, de création, que nous distribuons sur notre conduite. Tout porte à croire qu’il en est ainsi de la conscience en général. Si conscience signifie mémoire et anticipation, c’est que conscience est synonyme de choix.
Bergson, La conscience et la vie (1919)

La connaissance de la doctrine de l’auteur n’est pas requise. Il faut et il suffit que l’explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.

Corrigé

[« La conscience et la vie » est le premier chapitre de L’énergie spirituelle, un recueil de textes, que Bergson a publié en 1919. Il s’agit de la reprise améliorée d’une conférence prononcée le 29 mai 1911 sous le titre « Life and Consciousness » à l’université de Birmingham.]

Si nous sommes conscients et pouvons être conscients de l’être, nous ne pouvons être conscients de la conscience des autres. Jusqu’où s’étend donc la conscience ? Se limite-t-elle à l’homme ou bien faut-il penser que les autres êtres vivants aussi sont conscients ?
Tel est le problème que résout Bergson dans cet extrait de La conscience et la vie publié en 1919. Le philosophe veut montrer que la conscience peut être attribuée à tous les vivants, bref, qu’elle appartient à la vie. Pour cela il analyse la conscience en nous pour montrer comment il est possible qu’un vivant qui semble plutôt inerte peut être réputé doué d’une conscience endormie ou potentielle.
Or, la conscience n’est-elle pas plutôt la vigilance même ? Dès lors, ne doit-on pas restreindre à l’homme, voire à l’homme libre, la conscience ? On s’interrogera d’abord sur la thèse générale de Bergson selon laquelle conscience et vie sont intimement mêlées. On examinera ensuite la preuve de l’endormissement de la conscience en nous. Enfin, on déterminera dans quelle mesure la conscience peut se définir par la liberté.

La thèse de Bergson se présente au début de l’extrait comme une conséquence. Mais elle n’est pas affirmée. Elle est simplement donnée comme vraisemblable. Pourquoi ? D’abord, comme l’auteur affirme que tout ce qui vit est conscient, la prudence paraît de rigueur. En effet, attribuer une conscience à l’homme paraît plausible dans la mesure où les autres hommes se comportent comme moi. L’attribuer aux bêtes au sens du xviii° siècle paraît difficile, surtout celles dont le comportement est le plus stéréotypé. C’est plutôt par l’instinct, c’est-à-dire à un comportement inné, spécifique et automatique qu’on a tendance à expliquer leurs actes. On peut aller jusqu’à considérer que l’instinct est un automatisme équivalent à celui d’une machine ou d’un automate comme Descartes le fait dans la Lettre au marquis de Newcastle du 23 novembre 1646. L’attribuer à tous les vivants paraît donc au contraire assez invraisemblable. La conscience du chêne ou celle de l’huître ne paraît pas évidente.
Le deuxième aspect de la thèse est que la conscience appartient à la vie dès l’origine. Or, dans une perspective évolutionniste, cela voudrait dire que les premiers êtres vivants, vraisemblablement des êtres unicellulaires, auraient été doués de conscience. Il est clair que la conscience ne laissant guère de traces en tant que telle ou plutôt comme les traces que nous avons d’une conscience sont humaines, comme les outils, les peintures rupestres ou les sculptures, une telle thèse ne peut être affirmée que de façon hypothétique.
Si on s’enquiert maintenant de la thèse elle-même, elle paraît être une forme d’évolution. En effet, Bergson affirme que la conscience s’endort, ce qui présuppose qu’elle ait été d’abord éveillée. Et la condition pour qu’elle semble disparue et qu’elle reste une pure puissance est l’absence de mouvement spontané. Il faut entendre par là un mouvement qui ne résulte pas d’une cause antérieure qui le détermine strictement même si ce mouvement n’est pas le fruit d’une réflexion. Tel est le cas des plantes qu’on peut définir grossièrement comme des vivants incapables de se mouvoir à la différence des animaux dont c’est le caractère apparent. D’où le deuxième aspect de la thèse, à savoir que la conscience est d’autant plus vive que la vie se tourne du côté de l’activité libre. Ce qui revient à dire que c’est la vie elle-même qui, étant conscience, se distribue en vivants peu conscients et en vivants chez lesquels la conscience est plus importante.
Une telle thèse que l’auteur appelle loi parce qu’elle exprime une variation corrélative paraît non seulement peu vraisemblable, mais elle paraît invérifiable. Pourtant, c’est bien ce que se propose Bergson, à savoir que chacun la vérifie sur lui-même. Autrement dit, le mouvement de conscience qu’il attribue à la vie, peut être perçu dans notre propre vie avec donc un double rythme de vivacité et d’endormissement.

En effet, si je puis montrer qu’en moi la conscience est plus ou moins vive en fonction des choix que j’effectue et des actes qui en résultent, alors, il ne paraîtra plus invraisemblable que tel est hors de moi le fonctionnement de la vie. Aussi Bergson, pour montrer que la conscience en nous a pour fonction de nous faire choisir des comportements qui deviennent ensuite des actes sans conscience, prend-il l’exemple de l’apprentissage d’un exercice. Lorsque nous commençons à apprendre nous sommes conscients de chaque mouvement parce que c’est nous qui le choisissons. Puis dans un second temps explique Bergson, cette conscience va disparaître au fur et à mesure que les mouvements s’enchaînent mécaniquement, c’est-à-dire tel qu’un mouvement en provoque un autre. Dès lors, l’acte devenu automatique est l’analogue de l’instinct animal, voire de la vitalité de la plante. La vie aurait donc choisi des formes d’automatismes chez nombre de vivants. Or, cette explication n’est pas fausse mais elle néglige deux points.
D’une part, il est clair que si nous sommes conscients de chaque mouvement que nous faisons au début, nous ne sommes pas conscients du processus biologique qui le rend possible puisque nous ne sommes pas tous biologistes. Je puis commander ou croire commander à ma jambe de se plier sans savoir comment les os, les muscles, etc. exécute cet ordre. Par conséquent, le vital en tant que tel ne paraît pas choisi. D’autre part, la conscience, si elle est moins attentive à chacun des gestes qui constitue ce qu’on peut appeler une habitude, reste attentive à l’action elle-même lorsqu’elle est mise en œuvre sans quoi l’automatisme dégénère. Un pianiste ne peut rêver pendant qu’il joue : c’est la série de fausses notes assurées. Ainsi, s’il n’est pas évident que la conscience soit liée au vital en tant qu’il est automatique, est-ce à dire que la conscience manifeste le choix ?

En effet, Bergson interroge le destinataire de son texte pour qu’il entre en lui-même et examine quand la conscience est la plus vive. C’est selon l’auteur lorsqu’il y a crise, c’est-à-dire lorsque nous avons à choisir entre plusieurs partis. On peut définir la réflexion comme étant cette forme de conscience où nous nous représentons plusieurs possibilités et la distinguer de la conscience spontanée où le choix se fait sans examiner d’alternative. Cette vivacité la plus haute tiendrait à ce que nous avons le sentiment que notre avenir sera le nôtre. Bergson en déduit que l’intensité de la conscience est fonction de la quantité de choix qu’il y a dans nos actes. Ce qui montre qu’il s’agit bien d’actes, c’est qu’il parle de créations et non simplement de représentations. Et une création, c’est un acte nouveau dont on ne peut rendre compte par ce qui existait jusque là. Il généralise son analyse à toute conscience. Ce qui revient donc à dire qu’un animal qui aurait à choisir aurait une conscience vive et tel fut le cas à l’origine de la vie. Cela reviendrait à dire que la conscience est vive dans la vie lorsqu’elle a à choisir de créer telle ou telle espèce et qu’elle s’endort dans les automatismes de l’espèce qu’elle a montés. Mais comment comprendre cette vivacité de notre conscience ?
Si c’est lorsque nous avons à choisir entre plusieurs possibilités, il faudrait admettre qu’elle est d’autant plus vive que nous sommes indifférents au sens défini par Descartes dans sa Lettre au père Mesland du 9 février 1645, à savoir lorsque deux partis contraires nous motivent tout autant. Dès qu’on aurait choisi la conscience diminuerait. Pourtant on peut penser avec Descartes que la conscience n’est pas moins vive lorsqu’on sait quel parti choisir. En effet, si on est libre, on décide. Qu’on sache ou non, la conscience n’est pas moins vive. Au contraire, qui agit sur la base de ses habitudes peut avoir une vive conscience de ce qu’il va faire. Un sportif qui s’est longtemps entraîné n’est pas conscient de chaque mouvement des gestes automatiques qu’il a acquis. Il n’en reste pas moins vrai qu’il a une vive conscience de ce qu’il fait et de l’usage des automatismes qu’il met en œuvre. Si donc on conteste cette thèse sur la vivacité de la conscience de Bergson, on doit donc remettre en doute son analogie entre la conscience humaine et la vie humaine et la vie des autres vivants et la conscience qu’il leur attribue.
Enfin, Bergson, précisant que la conscience étant mémoire d’une part et anticipation d’autre part, la définit par le choix. Faut-il comprendre que la mémoire et l’anticipation rendent possibles le choix ou l’inverse ? Il y a bien un lien entre la conscience et la mémoire. Pour qu’il y ait mémoire au sens propre, c’est-à-dire représentation de ce qu’on a vécu, il faut être conscient d’avoir vécu mais également d’avoir été conscient. Ainsi la mémoire présuppose la conscience et non l’inverse. Sauf si par mémoire on entend seulement la rétention de ce qui est vécu. Alors la mémoire est une condition de la conscience mais est indépendante d’elle. Il en va à plus forte raison de même de l’anticipation. Elle présuppose sous la forme d’une représentation de l’avenir la conscience. Sauf si on entend par là une image de l’avenir qui se formerait indépendamment de la conscience. Aussi le choix, s’il appartient à la conscience, ne peut être lié de façon simple à la mémoire et à l’anticipation. Et si la conscience est choix, elle doit toujours choisir. Une conscience endormie ne choisirait pas, ce qui contredit la définition proposée. Comment une conscience endormie pourrait-elle s’éveiller ? Ne faut-il pas bien plutôt que la vie soit indépendante de la conscience pour que celle-ci apparaisse dans certaines conditions spéciales ?

Disons pour finir que Bergson s’interroge dans cet extrait de La conscience et la vie sur l’extension de la conscience : se limite-t-elle à l’homme ou bien peut-on l’attribuer aux autres êtres vivants. Il a voulu montrer qu’il était possible de soutenir que la conscience est plus ou moins intense en tout être vivant en fonction du choix qu’il met dans ses actions. Il est apparu que la vérification que propose Bergson ne va pas de soi. Car si nous sommes capables de contracter des habitudes, la conscience ne s’endort à proprement parler jamais. Si elle réside dans le choix, il est toujours le même. Dès lors, peut-être faudrait-il plutôt penser que la vie est une condition de la conscience et dès lors faudrait-il que l’analogie qui nous permet de l’attribuer aux autres hommes soit strictement définie pour l’attribuer aussi à certains êtres vivants, voire à tous.



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