dimanche 5 janvier 2020

Corrigé d'une dissertation : Est-il raisonnable de croire ?

Dans son tableau, L’incrédulité de Saint Thomas (1603), Le Caravage (1571-1610) montre le saint plongeant ses doigts dans les plaies du Christ comme pour s’assurer qu’il peut croire en sa résurrection. Ainsi, est-il raisonnable de croire ?
C’est que croire, c’est tenir pour vrai ce qu’on ne connaît pas, voire ce qui est inconnaissable, ce qui paraît déraisonnable.
Mais, il n’est peut-être pas toujours possible de s’en tenir à la raison, c’est-à-dire à ce qu’on a pu sérieusement examiner, pour penser ou agir, de sorte qu’il faudrait alors croire, même si cela ne paraît pas raisonnable.
On peut donc se demander s’il y a des conditions qui rendent raisonnable de croire.
On verra qu’il n’est pas raisonnable de croire, c’est-à-dire d’affirmer sans preuve, puis en quoi il est raisonnable de croire aux seuls principes, puis qu’il est raisonnable de se passer de croire.


Croire, c’est tenir pour vrai ce qu’on ne peut prouver. On peut distinguer avec Alain dans les Définitions, la pure croyance qui est involontaire de la foi qui est volontaire. Il est évident qu’il n’est pas raisonnable de croire puisque la raison nous invite à ne tenir pour vrai que ce qu’on sait, c’est-à-dire ce pour quoi on a des preuves. En effet, être raisonnable, c’est toujours agir de façon prudente pour réaliser ce qui est bien pour nous et pour les autres. Or, croire peut nous tromper sur ce qu’il est bien ou mal de faire.
Il n’est pas non plus raisonnable de tenir pour vrai volontairement certaines idées puisque justement, nous savons alors que nous ne savons pas. Dès lors, nous pouvons nous tromper radicalement. Ainsi, croire en soi peut conduire à la témérité qui est le contraire du courage qui affronte le danger en connaissance de cause, c’est-à-dire en ayant des chances raisonnables de gagner. Car, être raisonnable, c’est être capable d’agir ou de penser en tenant compte des moyens dont on dispose pour arriver à l’excellence de ce qui est possible.

Toutefois, la raison, si elle refuse de croire, se retrouve dans l’impossibilité d’affirmer quoi que ce soit. Elle remettra toujours tout en doute, y compris elle-même. Dès lors, n’est-il pas raisonnable de croire en ce qui se montre immédiatement comme vrai ? Est-il possible alors d’éviter de croire en des choses farfelues ?


On peut avec Pascal dans les Pensées (n°110 Lafuma) remettre en cause la toute puissance de la raison. C’est qu’en effet, elle doit s’appuyer sur des premiers principes qu’elle ne peut, par définition, démontrée, sans quoi ce ne serait pas des premiers principes, mais des propositions démontrées à partir de principes. Lorsqu’elle exige de tout démontrer, la raison se retrouve dans le doute sceptique, c’est-à-dire un doute qui porte sur tout et qui empêche de faire et de penser. La raison doit elle-même reconnaître ses propres limites : c’est en cela qu’elle peut être raisonnable.
Aussi y a-t-il quelques vérités, celles du cœur, qu’il est raisonnable de croire. Ainsi savons-nous, fait remarquer Pascal, que nous ne rêvons pas, quoique nous soyons dans l’incapacité de le prouver par une démonstration en règle. Il est raisonnable de croire que nous sommes éveillés et non que nous vivons en rêve. Il en va de même des notions fondamentales des sciences comme la physique et les mathématiques. Mais, cela ne signifie pas qu’il faut croire en tout. Ainsi, lorsqu’il est possible de démontrer ne doit-on pas croire. Par contre, le domaine de la foi échappe au domaine de la raison puisqu’il porte sur ce qui est le principe même de toute chose et sur le sens de l’existence.

Cependant, admettre que sont vraies les propositions de base sur lesquelles s’appuie la raison ne va pas de soi. Il n’est peut-être pas nécessaire de le faire. Dès lors, il n’est pas raisonnable d’affirmer comme vrai ce qu’on peut ne pas tenir pour tel. Comment donc la raison pourrait-elle ne pas croire sans tout examiner ?


Croire, c’est tenir pour vrai sans preuve. La raison invite à ne pas tenir pour vrai ce qu’on n’a pas et surtout ce qu’on ne peut pas prouver. La raison invite à le considérer comme une hypothèse. Certes, il arrive que pour agir, il soit nécessaire de prendre une décision. Cela n’interdit pas de conserver un doute sur la proposition affirmée provisoirement. Je crois que l’Australie existe même si je n’y suis jamais allé. Mais je dois, théoriquement, chercher ce qui prouve son existence, par exemple ce qui me permet de ne pas remettre en cause les témoignages. C’est pour cela que les témoignages relatifs à la foi sont pour le moins fragiles. Les aventuriers qui, comme Christophe Colomb (1451-1506), découvrirent de nouvelles terres, ne pouvaient être sûrs d’eux ni de ce qu’ils avaient pensé. Par contre, comment croire en Zeus ou en Apollon ? C’est pourquoi dans les sciences, les hypothèses sont testées par des observations ou des expérimentations construites pour remettre en cause ce qu’on croit comme Bachelard le soutient dans Le nouvel esprit scientifique. Mais ne faut-il pas croire aux principes pour pouvoir commencer à penser, voire à agir ?
En réalité, il est plutôt raisonnable de ne tenir que pour des hypothèses les points de départ de notre pensée. On se dispose ainsi à les rejeter si jamais les conséquences qu’on en tire se révèlent fausses ou désastreuses d’un point de vue moral. De la même manière, pour agir, il n’est nul besoin de croire. Il suffit de considérer comme simplement probables les opinions qu’on n’a pas pu démontrer. Enfin, il n’est nul besoin d’avoir la foi en soi, si on entend par foi croire sans preuve volontairement comme la définit Alain dans son ouvrage, Définitions. Car ce serait le meilleur moyen de négliger nos faiblesses ou nos limites, bref, ce serait en ce sens être déraisonnable.


En un mot, il n’est pas raisonnable de croire parce que la raison nous invite à n’affirmer que ce qu’on peut prouver. Mais comme elle ne peut tout prouver, il paraît raisonnable de croire dans les principes. Cependant, il est possible de les considérer comme de simples hypothèses, et dès lors, il paraît plutôt raisonnable de ne jamais croire.
Il resterait alors à se demander si la vie exige que nous soyons toujours raisonnables.

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