samedi 18 janvier 2020

Corrigé d'une dissertation : Faut-il croire pour savoir ?

« Et pourtant elle tourne » aurait chuchoté Galilée (1564-1642) après avoir juré sur la Bible qu’il abjurait sa thèse d’une Terre en mouvement le 16 juin 1633. Cette légende montre l’opposition de l’homme de science qui sait et du croyant qui s’en tient à la croyance. Mais le premier semble tout autant croire. Faut-il croire pour savoir ?
On oppose souvent croire et savoir, ce qui conduit à considérer absurde voire contradictoire qu’on ait à croire pour savoir. En effet, ce serait donner son assentiment sans preuves et ensuite chercher des preuves pour donner son assentiment, ce qui est absurde.
Et pourtant, comment si on ne croit rien, si on ne croit en rien, comment donc arriver à trouver, puisqu’on passera son temps à douter ?
Dès lors, on peut se demander si c’est une nécessité de croire pour savoir ou bien un devoir moral ou bien si, au contraire, croire serait un obstacle pour savoir.


Croire est nécessaire pour savoir dans la mesure où il faut bien des points de départ. En effet, s’il fallait tout prouver, on ne pourrait jamais s’arrêter et dès lors on ne prouverait rien. Lorsqu’un savant fait une expérience, il s’appuie sur certaines croyances. Par exemple, pour prouver que la Terre est ronde, Aristote, dans le livre II du chapitre 14 du Traité du ciel, utilise la forme réfléchie de la Terre qu’on voit courbe lors des éclipses de Lune, comme miroir en quelque sorte, de la forme de la Terre. Il lui faut croire que la Terre, la Lune et le Soleil existent et se déplacent. On comprend alors que Pascal, dans les Pensées [n°110 Lafuma, posthume 1670], ait pu soutenir que notre connaissance ne vient pas seulement de la raison mais aussi du cœur. C’est le cœur ou le sentiment qui permet, selon lui, de connaître les premiers principes, c’est-à-dire les vérités auxquelles il faut croire pour pouvoir ensuite prouver grâce à la raison. Ne risque-t-on pas alors d’orienter les preuves en fonction de nos croyances ?
En effet, lorsqu’on persuade, on use de croyances comme le montrent les publicitaires et les politiciens. Aussi faut-il préciser que croire est nécessaire pour savoir et non un obstacle à la condition de s’en tenir au petit nombre de premiers principes connus par le cœur selon Pascal. Autrement dit, il ne faut pas tout croire ou croire en n’importe quoi mais croire uniquement aux premiers principes. Ainsi, on doit croire que la Terre ou la Lune existent, bref, que « nous ne rêvons pas » comme le soutient Pascal dans les Pensées, [n°110], mais quant à sa forme par exemple, il faut rechercher les preuves. C’est donc en essayant de prouver le plus possible qu’on évite de croire en ce qui ferait obstacle au savoir et qu’on ne croit que ce qu’il faut pour savoir.

Cependant, s’il faut chercher à prouver le plus possible, c’est plutôt à la condition de ne pas croire. Et on peut commencer par des hypothèses. Dès lors, s’il faut croire pour savoir, n’est-ce pas plutôt au sens d’un devoir moral ?


Croire n’est certes pas nécessaire, mais c’est un devoir moral. En effet, croire, c’est essentiellement avoir confiance. Et pour savoir, il faut d’abord croire en la vérité, autrement dit refuser le scepticisme. C’est qu’il est toujours possible de ne pas croire. Pour cela, il faut douter, y compris des premiers principes. Telle est la position des sceptiques ou pyrrhoniens qui usent de la raison en ce sens. Or, cette position conduit aussi à l’impossibilité de savoir puisque dès qu’on affirme quelque chose, il faudrait en douter. Toute preuve devient impossible. Croire donc en la possibilité de connaître la vérité apparaît donc comme un devoir moral pour le savant, une sorte de décision éthique qui rend possible le savoir. Nietzsche avait mis en lumière cette croyance fondamentale en la nécessité de la vérité comme origine de la science dans le Gai Savoir [1886, livre V, n°344 De quelle manière, nous aussi, nous sommes encore pieux]. Or, ne peut-on pas se contenter de simples hypothèses ?
C’est que pour savoir, non seulement il faut croire en la vérité, mais il faut croire en la raison elle-même. Diderot soutient à juste titre dans son article « Croire » de l’Encyclopédie [IV, p.502b, 1751] qu’il faut faire un bon usage de sa raison pour que croire soit légitime. Et il précise qu’il faut alors accepter les vérités prouvées ou les vérités évidentes. Ces dernières sont les premiers principes. Or, il est clair qu’en faisant du non usage de la raison un péché, le philosophe parodie la conception chrétienne qui veut au contraire que la foi soit supérieure à la raison. Il montre, malgré qu’il en ait, qu’il faut au moins avoir foi en la raison.

Néanmoins, croire impliquant de faire confiance s’oppose au savoir qui implique bien plutôt de se méfier de ce qu’on croit vrai et d’abord d’avoir atteint la vérité. Dès lors, il semble nécessaire de considérer que croire est un obstacle pour savoir. Comment est-ce possible sans tomber dans le scepticisme ?


Lorsqu’il s’agit de savoir, les preuves suffisent à confondre la mauvaise foi de sorte que le savant n’a pas besoin de la confiance. Au contraire, la méfiance lui permet de chercher dans les preuves de quoi soutenir ses hypothèses. On peut dire avec Alain dans un de ses Propos d’un normand daté du 15 janvier 1908 que « Penser n’est pas croire ». C’est que tout soupçon de croyance conduit à transformer la science en une sorte de religion ou à vouloir faire de la science une sorte de servante de la religion. Aussi donne-t-il l’image d’un physicien faisant des recherches sur les gaz parfaits. Expérimentant, inventant une théorie qu’il teste, il la considère comme vraie pour cette raison. Et il n’y a nul scepticisme dans cette attitude. Si le savant accepte les objections et n’est pas attaché à ses idées, s’il est donc prêt à en changer alors que croire implique d’être dominé par des passions, le savant ne doute pas. Seules des objections fondées peuvent l’amener à changer de théories. Mais ne lui faut-il pas avoir foi en sa démarche ?
Loin d’être rendu possible par la foi, la recherche de connaissance exige de s’en passer. Il n’est pas nécessaire de croire en la vérité pour chercher dans quelle mesure une hypothèse est validée par des expériences sérieuses. Mieux, il ne faut pas croire avoir atteint la vérité pour être prêt justement à accepter de se corriger. Savoir, c’est donc corriger des erreurs. Et c’est précisément parce qu’on cherche à toujours se corriger qu’il ne faut pas non plus croire en la raison. La morale de la recherche, c’est justement de ne pas croire. Même la raison doit être critiquée. Aussi le scepticisme est-il un moyen et non une fin, sans quoi il se transforme lui-même en croyance.


Disons donc pour finir que le problème était de savoir si croire est une nécessité ou un devoir moral pour savoir ou bien si c’est toujours un obstacle à surmonter pour savoir. Il est vrai qu’il faut des points de départ pour savoir, mais il n’est pas nécessaire d’y croire. Il n’est nul besoin non plus d’avoir foi en la vérité ou en la raison. C’est que savoir, c’est moins affirmer la vérité que rectifier ses erreurs en se méfiant toujours de ce qu’on croit être vrai.
Ainsi savoir a-t-il moins pour fin la vérité que des vérités toujours provisoires ?

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire