Il y a déjà bien des années, j’ai pensé que notre monde
pourrait être l’œuvre d’un être subordonné, et je ne peux toujours pas revenir
sur cette pensée. C’est une sottise de croire qu’aucun monde n’est possible
dans lequel il n’y aurait pas de maladie, pas de souffrance et pas de mort. Ne
se représente-t-on pas pourtant bel et bien le Ciel ainsi ? Parler d’un
temps d’épreuve, de formation graduelle veut dire penser de façon très humaine
à propos de Dieu et est du pur verbiage. Pourquoi ne devrait-il pas y avoir des
degrés d’esprits allant vers le haut jusqu’à Dieu et pourquoi notre monde ne
devrait-il pas pouvoir être l’œuvre d’un qui ne comprenait pas encore très bien
la chose, un essai ? Je veux dire notre système solaire ou notre nébuleuse
toute entière, qui s’arrête à la voie lactée. Peut-être que les nébuleuses que
Herschel a vues ne sont que des spécimens qui ont été livrés ou des spécimens
auxquels on travaille encore. Quand je considère la guerre, la famine, la
pauvreté et la peste, il m’est impossible de croire que tout est l’œuvre d’un
être suprêmement sage, ou bien il doit avoir trouvé un matériau indépendant de
lui, par lequel il a été dans une certaine mesure limité, de telle sorte que
ceci ne serait le meilleur monde que relativement, comme cela a été effectivement
déjà souvent enseigné.
Georg Christoph Lichtenberg
(1742-1799), Aphorismen, traduit par
Jacques Bouveresse.
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