L’homme n’est pas un animal ordinaire. La preuve en
est qu’il a des modes de vie très divers. On parle alors de différentes
cultures. Tout se passe comme si chaque culture permettait aux hommes de vivre.
Toutefois, si l’on fait abstraction de la culture particulière
de chaque société, on peut considérer que par la culture l’homme fait peut-être
plus que vivre, il vise à vivre humainement.
On peut donc se poser le problème suivant : À
quoi sert la culture ? Est-elle simplement ce qui sert à l’homme à vivre
ou bien sert-elle à l’homme à être humain et si oui, en quel sens ?
La culture est le terme abstrait qui désigne les
différentes modalités non naturelles qui permettent aux hommes de vivre. En
effet, que ce soit pour satisfaire les besoins qu’il a en commun avec les autres
êtres vivants comme se nourrir, se protéger des intempéries ou pour satisfaire
d’autres besoins, créés, l’homme procède de différentes manières. Il doit
d’abord fabriquer ses outils et la technique varie avec la culture. Il consomme
ou échange ce qu’il a fabriqué selon certaines règles. Dès la préhistoire, on
trouve des œuvres d’art qui ne servent à rien comme la peinture dans des
grottes où les hommes ne vivaient pas. Bref, il y a différentes façons humaines
de vivre. On peut donc dire avec Montaigne dans ses Essais, I, 31, « Des cannibales » (1580, 1582, 1587,
1588) que toutes se valent, qu’aucune n’est sauvage ou barbare à proprement
parler si ce n’est aux yeux des autres.
Or, sans culture, l’homme ne peut pas vivre car il n’a
pas d’instincts à proprement parler, c’est-à-dire de conduites spécifiques,
automatiques et innées. Il n’a pas non plus d’organes naturels pour vivre (ni
fourrures, ni crocs, etc.). Aussi la culture est-elle indispensable à sa vie.
Elle donne à l’homme et les connaissances, et les objets et les règles qui lui
permettent de vivre à la fois face à la nature et face comme avec les autres.
Toutefois, les cultures ne restent pas figées de sorte
qu’on ne peut pas considérer simplement qu’elles permettent de vivre.
N’ont-elles pas une tout autre fonction ?
C’est qu’en effet, plus une culture est développée et
plus il y a de différences voire d’inégalités entre les hommes qui la
partagent. On peut donc appeler sauvages les cultures où la technique est telle
que chaque homme est relativement indépendant de tous les autres comme Rousseau
dans, le Discours sur l’origine et les
fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755) l’a fait. La culture y
est un moyen pour chacun d’être libre et heureux. Par contre, dans les
civilisations, la technique rend chacun dépendant des autres. Dès lors,
certains réduisent les autres en esclavage. Les inégalités s’accroissent et
pendant que certains jouissent des douceurs de la culture, c’est une sorte
d’enfer pour les autres. Bref, la culture apparaît comme un instrument
d’oppression.
En effet, comme Rousseau l’a montré, elle accroit les
différences entre les hommes. Et c’est à l’intérieur d’une même culture qu’on
distingue les hommes cultivés des autres. Or, si certains sont cultivés,
c’est-à-dire ont acquis les connaissances qui leur permettent de vivre avec
aisance dans une société et que d’autres ne le sont pas, c’est parce que la
culture sépare les hommes les uns des autres.
Cependant, sans culture ou avec une culture frustre,
les hommes ne développent pas toutes leurs capacité. Dès lors, on peut penser
que la culture permet de faire des hommes. Reste à savoir comment ?
En effet, on peut et on doit distinguer la culture
entendue simplement comme ce que les hommes font et se transmettent du point de
vue technique, artistique, juridique, de la culture entendue comme éducation.
Par là il faut comprendre l’acquisition des règles qui permettent à chacun de
s’humaniser, ce qui passe par le respect des autres hommes. L’éducation est
essentielle pour faire l’homme comme Kant l’a soutenu dans son Traité de pédagogie (1803). Il a besoin
d’être élevé lorsqu’il est enfant, il a besoin de discipline pour maîtriser ses
émotions et ses passions, il a besoin d’instruction pour savoir.
Dès lors, si la culture crée des inégalités et du
malheur entre les hommes, elle donne aussi les instruments de la réflexion qui
permet de les analyser et donc de les modifier. Bref, elle fournit une sorte
d’expérience à l’homme qui peut ainsi modifier ce qu’il y a de négatif dans la
culture en vue de mieux s’humaniser. Dès lors, c’est la culture acquise qui
permet de penser une transformation d’elle-même en vue d’en dégager les
principes universels de toute culture, c’est-à-dire le respect de la dignité
humaine. C’est pour cela qu’il est légitime de condamner au nom de la culture
entendue comme processus d’humanisation les cultures qui bafouent la dignité
humaine.
Or, comme la culture ne peut venir que de l’homme et
que l’homme a besoin de culture pour être homme, il n’est pas possible de
définir la culture qui humanise absolument. L’homme doit bien plutôt apprendre,
et ceci de façon indéfinie comme devenir homme. C’est pour cela que la
diversité des cultures sont autant d’essais pour faire advenir l’homme et qu’elles
méritent d’être considérées comme des expériences, certaines réussies, d’autres
moins sur tel ou tel plan pour permettre à l’homme de vivre le plus humainement
possible.
Nous nous interrogions pour savoir si la culture
permet simplement à l’homme de vivre ou bien si elle permet bien plutôt à l’homme
d’être humain. Nous avons donc vu en quoi la culture est bien en première
analyse l’outil qui permet à l’homme de vivre lui à qui manque de véritables
instincts. Toutefois, il est apparu que certaines cultures permettaient à
certains hommes d’abuser des autres, bref, qu’elles étaient des instruments d’oppression.
Dès lors, la culture entendue comme éducation individuelle et collective a bien
plutôt pour sens de permettre à l’humanité d’accéder à elle-même à travers les
différentes cultures qui en sont comme des essais pour parvenir à cette fin.
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