Sujet.
Résumez le texte suivant en 100 mots (+ ou – 10%). Vous
indiquerez les sous-totaux de 20 en 20 (20, 40, 60 …) dans la marge et le
nombre total de mot à la fin de votre résumé.
La route en lacets qui monte. Belle
image du progrès qui est de Renan[1], et
que Romain Rolland[2] a recueillie. Mais
pourtant elle ne me semble pas bonne ; elle date d’un temps où
l’intelligence, en beaucoup, avait pris le parti d’attendre, par trop
contempler. Ce que je vois de faux, en cette image, c’est cette route tracée
d’avance et qui monte toujours ; cela veut dire que l’empire des sots et
des violents nous pousse encore vers une plus grande perfection, quelles que
soient les apparences ; et qu’en bref l’humanité marche à son destin par
tous moyens, et souvent fouettée et humiliée, mais avançant toujours. Le bon et
le méchant, le sage et le fou poussent dans le même sens, qu’ils le veuillent
ou non, qu’ils le sachent ou non. Je reconnais ici le grand jeu des dieux
supérieurs, qui font que tout serve leurs desseins. Mais grand merci. Je
n’aimerais point cette mécanique, si j’y croyais. Tolstoï[3] aime
aussi à se connaître lui-même comme un faible atome en de grands tourbillons.
Et Pangloss[4], avant ceux-là, louait la
Providence, de ce qu’elle fait sortir un petit bien de tant de maux. Pour moi,
je ne puis croire à un progrès fatal ; je ne m’y fierais point. Je vois
l’homme nu et seul sur sa planète voyageuse, et faisant son destin à chaque
moment ; mauvais destin s’il s’abandonne bon destin aussitôt, dès que
l’homme se reprend.
Suivant Comte[5] en
cela, je chercherais une meilleure image de nos luttes, de nos fautes et de nos
victoires. Si vous avez quelquefois observé une barque de pêche, quand elle
navigue contre le vent, ses détours, ses ruses, son chemin brisé, vous savez
bien ce que c’est que vouloir. Car cet océan ne nous veut rien, ni mal ni
bien ; il n’est ni ennemi ni secourable. Tous les hommes morts, et toute
vie éteinte, il s’agiterait encore ; et ce vent, de même, soufflerait
selon le soleil ; forces impitoyables et irréprochables ; la vague
suit le vent et la lune, selon le poids et la mobilité de l’eau ; ce vent
mesure le froid et le chaud. Danse et course selon des lois invariables. Et
pareillement la planche s’élève et s’abaisse selon la densité, d’après cette
invariable loi que chaque goutte d’eau est portée par les autres. Et si je
tends une voile au vent, le vent la repousse selon l’angle ; et si je
tiens une planche en travers du flot, le flot la pousse aussi, comme le flot
s’ouvre au tranchant de la quille et résiste sur son travers. D’après quoi,
tout cela observé, l’homme se risque, oriente sa voile par le mât, les vergues
et les cordages, appuie son gouvernail au flot courant, gagne un peu de chemin
par sa marche oblique, vire et recommence. Avançant contre le vent par la force
même du vent.
Quand j’étais petit, et avant que
j’eusse vu la mer, je croyais que les barques allaient toujours où le vent les
poussait. Aussi, lorsque je vis comment l’homme de barre en usait avec les lois
invariables et bridait le vent, je ne pris point coutume pour raison ; il
fallut comprendre. Le vrai dieu m’apparut, et je le nommai volonté. En même
temps se montra la puissance et le véritable usage de l’intelligence
subordonnée. La rame, le moulin, la pioche, le levier, l’arc, la fronde, tous
les outils et toutes les machines me ramenaient là ; je voyais les idées à
l’œuvre, et la nature aveugle gouvernée par le dompteur de chevaux. C’est
pourquoi je n’attends rien de ces grandes forces, aussi bien humaines, sur
lesquelles danse notre barque. Il s’agit premièrement de vouloir contre les
forces ; et deuxièmement il faut observer comment elles poussent, et selon
quelles invariables lois. Plus je les sens aveugles et sans dessein aucun,
mieux je m’y appuie ; fortes, infatigables, bien plus puissantes que moi,
elles ne me porteront que mieux là où je veux aller. Si je vire mal, c’est ma
faute. La moindre erreur se paye ; et par oubli seulement de vouloir, me
voilà épave pour un moment ; mais le moindre savoir joint à l’invincible
obstination me donne aussitôt puissance. Ce monstre tueur d’hommes, je ne
l’appelle ni dieu ni diable ; je veux seulement lui passer la bride.
Alain, Vigiles de l’esprit (1942), I La ruse de l’homme, 25 mai
1921.
Corrigé.
1) Analyse et remarques sur le texte.
On peut d’abord remarquer que le
texte est structuré autour de l’opposition de deux thèses relatives au progrès
ou à l’histoire de l’homme. Selon la première qui n’est pas celle d’Alain,
qu’il expose et qu’il combat, le progrès est inéluctable. Quoi que l’homme
fasse, en bien ou en mal, il progresse. Alain montre que cette thèse repose sur
une conception théologique où les dieux se servent de ce qui semble le plus
contraire à leur dessein pour y conduire.
Il lui oppose sa
propre thèse selon laquelle les forces extérieures sont neutres du point de vue
moral. Aussi l’homme progresse-t-il ou non à partir de ses propres forces.
Elles sont de deux ordres. D’une part sa volonté qui est absolument libre et
qui est donc le principe de la valeur des choix et d’autre part son
intelligence qui lui permet de connaître les lois de la nature afin de les utiliser.
En aucun cas, l’homme ne les modifie. Dès lors, l’idée même d’un progrès global
n’a pas vraiment de sens, sauf à faire précisément abstraction de la valeur de
l’action individuelle.
On peut
remarquer ensuite qu’Alain oppose deux images : l’image du progrès de
Renan, l’image de la route en lacets qui monte, les lacets étant à la fois les
obstacles et l’impossibilité pour celui qui est sur la route de savoir
exactement où il va. Il sait seulement qu’il monte. Bref, il va vers le mieux.
L’autre image est celle d’Alain. C’est celle du marin sur son bateau. La
première image implique que le progrès soit déterminé à l’avance, la seconde
qu’il dépend de la capacité de l’homme d’utiliser pour lui les forces de la
nature. La première implique que l’histoire est écrite et qu’il ne s’agit plus
que de la jouer. La seconde implique que l’homme, au sens de l’individu, écrit
et joue en même temps son histoire. Le sens qu’elle a dépend de lui.
2) Proposition de résumé.
L’image
d’une route serpentant et montant de certains écrivains est fausse. Elle
provient d’une intelligence statique. Elle [20] illustre l’idée d’un progrès
dirigé par des dieux qui tournent vers le meilleur les actions insensées des
hommes. [40]
Une
meilleure image est celle du navire affrontant la mer. Ses mouvements sont amoraux.
L’homme les utilise pour naviguer [60] en connaissant les éléments.
Enfant, je
croyais que le vent dirigeait les navires. Lorsque je vis le barreur, je
compris [80] que notre volonté est divine. Les outils, les forces naturelles ou
humaines et surtout la volonté réalisent seuls nos projets.
100 mots
[1]
1823-1892, écrivain, historien et philologue français.
[2] 1866-1944,
écrivain français.
[3] 1828-1910, écrivain russe.
[4] C’est
le précepteur du conte philosophique de Voltaire (1694-1778), Candide
(1759).
[5] 1798-1857,
philosophe français.
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