dimanche 4 octobre 2015

La raison et la croyance - corrigé d'une dissertation : Qu'est-il raisonnable de croire ?

Avoir peur du vendredi 13 ou au contraire croire que c’est un jour favorable montrent la crédulité des hommes.
Comment le « vivant doué de raison » (Aristote, Politique, I, 1) peut-il croire en de telles superstitions ? Bref, il semble déraisonnable de croire.
Mais d’un autre côté, il n’est pas toujours possible d’examiner, voire de démontrer. Aussi parfois est-il impossible de faire autrement que de croire.
Aussi peut-on se demander s’il y a des conditions qui définissent ce qu’il est raisonnable de croire.
Est-il raisonnable de ne rien croire ? Ou bien est-il raisonnable de laisser à la foi une place ? Ou bien est-ce qu’il est raisonnable de croire seulement à ce qui est conforme à la seule raison ?


L’attitude la plus raisonnable semble en effet de ne rien croire. Autrement dit, il n’y a pas de conditions définissant ce qu’il est raisonnable de croire. En effet, ce qu’il est raisonnable de penser, c’est précisément ce qui appartient à la raison, c’est-à-dire à la faculté qui examine et cherche des preuves de ce qu’elle avance et qui détermine ce qui est bien et mal. Or, croire consiste à tenir pour vrai ce qu’on n’a aucune raison de tenir pour vrai par manque de preuves. Dans la mesure où je connais Perpignan, j’ai raison d’affirmer que cette ville existe. Mais puisque je n’ai aucune preuve qu’il fera beau demain, je n’ai aucune raison d’y croire. Je peux désirer qu’il fasse beau. De même le juge ne doit pas croire que l’accusé est coupable. En l’absence de preuves le doute doit lui profiter sinon c’est l’injustice. Aussi ma raison m’invite-t-elle à ne pas suivre mon désir. Il est raisonnable de me contenter d’émettre des hypothèses, c’est-à-dire de ne tenir ni pour vrai ni pour faux ma pensée. Mais en rester aux hypothèses, n’est-ce pas se condamner à ne rien faire ?
Nullement. Il est possible d’agir, même dans le doute. Autrement dit, le scepticisme n’est pas invivable. C’est ce qu’on fait lorsqu’on joue. D’une part on accepte les règles du jeu sans y croire. D’autre part, on n’est jamais sûr de gagner lorsque le jeu est équitable. On peut donc ne rien croire et vivre. On remplace alors la croyance par des hypothèses. On les teste à la façon d’un scientifique. On est sûr alors de ne jamais être trompé ou d’adhérer à des idées farfelues.
Cependant, en considérant qu’il n’est pas raisonnable de croire, on se condamne aussi à ne jamais rien savoir. Ne faut-il pas alors considérer qu’il y a des domaines où la raison n’a aucune autorité et où il serait légitime de croire ? Quelle condition définit ce qu’il est raisonnable de croire ?

En effet, la raison s’exerce là où il est possible de démontrer. Or, elle ne peut tout démontrer. Elle-même doit s’appuyer sur des premiers principes sans quoi elle ne pourrait jamais s’arrêter puisqu’il faudrait qu’elle démontrât à l’infini. Finalement, la raison doit croire en elle, en ses pouvoirs, sans quoi elle ne pourrait les mettre en œuvre. Elle tient sa foi en elle d’une autre source qu’elle-même. C’est pourquoi Pascal, dans les Pensées (n°110) soutient que la vérité n’est pas connue seulement par la raison mais aussi par le cœur ou le sentiment qui nous fait connaître immédiatement les premiers principes, y compris ceux des sciences. Telle est la condition qui définit ce qu’il est raisonnable de croire.
En outre, la foi est une forme de croyance qui exclut toute preuve. On ne peut demander de preuve d’une amitié ou d’un amour avant de l’accorder, car c’est montrer qu’on manque de confiance. Un vrai amour ou une vraie amitié se sentent. C’est pour cela qu’on dit qu’on croit en quelqu’un. De même, la foi religieuse exclut toute preuve. C’est pourquoi à Saint Thomas qui disait qu’il ne croit que ce qu’il voit, le Christ qui se montra à lui ressuscité, rétorqua qu’il est préférable de croire sans voir selon l’Évangile de Jean (20, 24-29). La foi, c’est croire en quelqu’un, c’est lui faire confiance en l’absence de toutes preuves. Elle est au-delà de la raison. Aussi Pascal dans les Pensées (n°110) soutient que ceux à qui Dieu a donné la religion sont dans leur droit de croire.
Toutefois, si on croit de façon aveugle au motif que la raison est limitée, on risque de tomber dans l’incrédulité la plus absurde. Revient-il donc à la raison ou à la croyance de tracer les limites ? Comment la raison peut-elle être la condition qui définit ce qu’il est raisonnable de croire ?

C’est que si on fait de la croyance ce qui doit limiter la raison, il est clair qu’il n’y a rien de si absurde qu’il ne devient raisonnable de croire. Le moindre signe passera pour un motif de croire. C’est ainsi que les désirs humains permettront de croire en tout. La foi sera aveugle. N’a-t-on pas vu des hommes d’Église refuser la thèse que la Terre tourne autour du Soleil parce que la Bible énonce que Dieu arrêta le Soleil pour Josué ? Galilée (1564-1642) ne fut-il pas forcé de jurer sur la Bible que la Terre est immobile (1633) ? Si donc la croyance ne peut trancher entre ce qu’il est raisonnable de croire et ce qui ne l’est pas, c’est à la raison de le faire. Or, la raison n’exclut-elle pas la croyance ?
C’est que la condition pour qu’il soit raisonnable de croire en quelque chose est que ce qu’on croit soit compatible avec la raison. Ainsi en va-t-il du témoignage d’autrui lorsqu’il entre dans le domaine du possible. On croira les astronomes qui nous affirment avoir découvert une nouvelle planète. On croit que Sidney existe même si on n’y est jamais allé. On peut même croire qu’il est possible qu’il y ait d’autres êtres vivants que nous sur d’autres planètes analogues à la terre. Par contre, croire qu’il y a parmi nous des extraterrestres qui se cachent relève du délire. On peut le définir ce qui n’est pas compatible avec les connaissances admises après examen. C’est pourquoi il est raisonnable de croire en la raison dans la mesure où elle peut remettre en cause ce qu’elle a admis jusque là.
Mais pour croire ainsi, il faut d’abord avoir examiné comme le soutient à juste titre Diderot dans son article « Croire » de l’Encyclopédie (1751, tome 4, p.502b). Il faut que j’use de ma raison avant de me décider. Ainsi échappe-t-on au scepticisme. La raison est bien la condition qui rend raisonnable de croire car, sans elle, l’homme n’userait pas de la faculté qui lui permet de chercher le vrai et le faux et surtout le bien et le mal. Croire, même si c’est vrai, sans avoir cherché, c’est ne pas agir en créature raisonnable, c’est ne pas être un homme.


Disons donc pour finir qu’au problème de savoir s’il y a des conditions qui définissent ce qu’il est raisonnable de croire on est d’abord tenté d’apporter une solution radicale : rien. Or, la raison n’est ni illimitée, ni infaillible. Aussi peut-on penser qu’elle doit être limitée par la foi. Le sentiment paraît être alors la condition qui rend raisonnable de croire. Néanmoins, c’est bien la qui doit tracer les limites de ce qu’on peut croire, ce qui suppose d’examiner, sans quoi l’homme est balloté par la crédulité ou par ses désirs et n’est pas vraiment un homme.


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