jeudi 16 juillet 2015

L'art- corrigé d'une dissertation : Les artistes nous aident-ils à être libres ?


Les États, qu’ils soient démocratiques ou pas, n’hésitent pas à censurer certaines œuvres d’art. Les artistes font alors les frais de ce contrôle de l’État. N’est-ce pas le caractère libérateur des œuvres d’art que les artistes produisent qui inquiètent ? Ne nous aident-ils donc pas ainsi à être libres ?
En tant qu’ils produisent des œuvres inutiles qui nous détachent du réel, ou lorsqu’ils nous proposent une critique sociale, que l’on pense à l’art engagé, les artistes semblent favoriser notre liberté. Seulement, n’est-ce pas une illusion de liberté, analogue au rêve, puisque le réel, y compris la société, ne semble pas changé par les œuvres d’art qu’ils réalisent ? C’est donc seulement en ce qu’elles nous “touchent” que les œuvres d’art peuvent nous aider à être libres.
On peut donc se demander si, en produisant des œuvres, les artistes nous aident à être libres et si oui, comment.
C’est en tant que leurs œuvres libèrent du désir ou de tout intérêt que les artistes nous aident à être libres, c’est surtout en tant qu’ils promettent ainsi une vie tout autre, ou bien si ce n’est que de façon illusoire, que les artistes nous aident à être libres.

Le contenu de l’œuvre d’art nous touche sans que nous le comprenions. N’est-ce pas parce qu’il nous parle autrement que par l’intelligence ? En effet, quoique certains classiques aient prétendu assigner à l’art des règles, celles-ci, à supposer qu’elles soient autre chose que des extrapolations faites après coup, n’ont jamais déterminé la satisfaction prise à l’œuvre d’art. Aussi plaire a-t-il été considéré comme la règle des règles (cf. Molière, Critique de l’École des femmes et Racine, préface à Bérénice). Cette satisfaction prise à l’œuvre d’art se distingue essentiellement du plaisir pris à une démonstration qui résulte, elle, de la compréhension. Ainsi, cet effet spécifique produit par l’œuvre d’art sur nous, est-il susceptible de nous aider à être libre, c’est-à-dire à réaliser nos désirs ? Cette satisfaction peut-elle être ramenée à un désir ? Dans ce cas l’œuvre d’art serait la réalisation d’un désir et l’artiste celui qui nous permet d’y accéder. Mais, quel désir serait susceptible de n’être réalisé que par l’œuvre d’art ? Comment ne pas y voir une illusion puisque la technique nous livre des objets plus consistants ? En outre, la science satisfait notre besoin de connaissance. C’est en histoire qu’il est possible d’apprendre quelque chose sur la bataille de Waterloo, et non dans Les misérables (1862) de Victor Hugo (1802-1885), ni dans La chartreuse de Parme (1839) de Stendhal (1783-1842). C’est la physique qui permet de comprendre comment aller sur la Lune et non Jules Verne.
L’œuvre d’art, il est vrai ne peut satisfaire un désir comme un objet réel parce qu’elle est une représentation, mais, en tant qu’elle est aussi une “réalité”, elle peut représenter la satisfaction d’un désir comme réelle. Mais encore faut-il que ce mode de satisfaction ait un sens. Or, tous les désirs ne peuvent être satisfaits dans l’existence sociale des hommes. Si donc on admet avec Freud que tout désir ou pulsion a pour but d’être satisfait quel que soit l’objet, on peut penser que l’absence de satisfaction réelle peut être compensée par une satisfaction imaginaire. C’est le cas notamment du rêve. Mais, si elle était l’analogue du rêve, l’œuvre d’art ne pourrait participer d’un processus de libération car, si le rêve exprime la satisfaction hallucinatoire d’un désir, loin d’en délivrer, il ne fait qu’y ramener le sujet. Mais, l’œuvre d’art enveloppe un aspect de réalisation, en tant qu’artefact, raison pour laquelle elle est une satisfaction réelle du désir. Ainsi Freud, dans Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci (1910, 1919, 1923) a pensé découvrir en un rêve de Léonard le sens de La Vierge, l’enfant Jésus et sainte Anne. En effet, l’entrelacement des deux femmes souriantes dont l’une est assise sur les genoux de l’autre, peut être mis en relation avec le fait biographique d’un Léonard qui eut deux mères, la biologique et sa mère adoptive. Mais surtout, c’est le désir d’homosexualité, refoulé, qui s’exprime dans l’énigmatique sourire propre aux hommes et aux femmes peints par l’artiste dans toute son œuvre. En effet, le manteau de la Vierge peut laisser voir un vautour, oiseau d’un rêve de Léonard selon Freud, qui venait lui toucher la bouche, comme la queue de l’oiseau sur la bouche de l’enfant Jésus qui serait la représentation de Léonard. Ce contact sur la toile, le psychanalyste l’interprète comme la représentation du contact entre un sexe masculin et une bouche. On comprend alors que, comme le rêve, l’œuvre d’art déforme la réalisation substitutive du désir. Sa signification touche le spectateur de façon aussi inconsciente qu’elle est exprimée par l’artiste. C’est ce que montre encore mieux l’interprétation de l’Hamlet de Shakespeare par le psychanalyste Jones. L’indécision fameuse du héros à venger son père s’explique par le désir inconscient d’être à la place de son oncle qui a tué son frère, soit le père d’Hamlet, et épousé sa belle-sœur, soit la mère d’Hamlet. Le plaisir pris à la représentation de la pièce s’explique par le fait que ce désir, qui forme le noyau du complexe d’Œdipe, existe en chaque spectateur.
Aussi, l’œuvre d’art libère du désir, non pas en le supprimant, mais en le réconciliant avec la réalité sociale. Ainsi, par ce moyen que, dans l’Introduction à la psychanalyse (chapitre 22 et surtout 23), Freud nomme la sublimation, l’artiste se réconcilie avec la vie sociale, sans quoi son désir l’asservirait. Ainsi, l’artiste par la production d’œuvres d’art, nous aiderait à être libres, c’est-à-dire nous permettrait d’être disponibles pour la vie en société en présentant, dans une œuvre réalisé, notre désir, ce par quoi elle diffère du rêve.
Or, une telle conception du rôle de l’artiste le réduit au statut de producteur de sédatifs sociaux, puisque l’impossibilité de satisfaire le désir est mise sur le compte du sujet et non sur celui de la société et de ses interdits. Cette conception peut même rendre possible un art engagé, c’est-à-dire un art qui se soumet aux impératifs d’une doctrine sociale, ou d’une propagande, ou bien un art qui n’est plus que publicité. On comprend alors la prétention de la publicité à passer pour de l’art et sa capacité à utiliser des œuvres d’art ou des recettes prises aux grandes œuvres. Une publicité pour une moutarde mettait en scène un poète romantique, vu à travers la reprise d’un tableau de Caspard-David Friedrich (1774-1840) représentant un homme, vu de dos, sur une montagne qu’il contemple de haut. Ne faut-il pas plutôt concevoir un tel art comme asservissant à la réalité sociale ? On comprend comment la théorie de Freud a pu intéresser le poète surréaliste, André Breton (1896-1966), comme élément d’une libération du désir qu’il appelait de ses vœux et comment en retour Freud a pu considérer les surréalistes comme des fous, leur préférant les œuvres “classiques” qui, en tant qu’anciennes, ont perdu leur puissance directement critique. Bref, la conception de Freud reste ambiguë. Le peintre, Dali, qui fut un temps surréaliste et qui finit par faire de la publicité illustre à merveille cette ambiguïté.

N’est-il pas alors nécessaire de penser l’œuvre d’art comme libérant du désir, par quoi l’art favoriserait la liberté au point de vue de la connaissance et de l’action ? Car, être libre, c’est moins réaliser ses désirs que ne pas y être asservi. Remarquons que l’interprétation de l’œuvre d’art par la biographie de l’artiste, même revue par la psychanalyse se heurte à une limite que Freud reconnaissait : elle n’explique pas la production de l’œuvre. Or, on peut dès lors contester que le contenu se réduise à la biographie, quoique celle-ci puisse être un des matériaux de son élaboration. Aussi, l’idée selon laquelle l’œuvre d’art répond au désir, est en ce sens, obscure. Au contraire, l’expérience esthétique, y compris face aux produits naturels, montre que la satisfaction est indépendante du désir puisque, face à la nature, le désir appelle à la consommation de l’objet et non à la contemplation. De même, une œuvre d’art ne se manipule pas comme un objet technique. C’est la raison pour laquelle on peut dire avec Kant que le beau est l’objet d’une satisfaction désintéressée (cf. Critique de la faculté de juger, §5). Qu’est-ce qui appartient spécifiquement à la production de l’œuvre d’art ? À la différence de l’objet technique qui satisfait un désir et dont la production peut se ramener à des règles, l’œuvre d’art réside en une libre invention qui porte sur les règles elles-mêmes, ce pour quoi le génie est requis pour penser la production de l’œuvre selon Kant. Dire que les beaux-arts sont les arts du génie (Critique de la faculté de juger, §46), c’est indiquer que l’œuvre d’art n’est pas la réalisation de principes antérieurs, mais que les règles de sa production ne peuvent être extraites d’elles qu’après coup. Le génie est exemplaire (ibid., §47), il n’imite ni la “nature”, ni les autres génies, même si l’art comporte une part de technique qui s’acquiert, et même si le génie sans la discipline du travail ne peut qu’être stérile.
Aussi, l’œuvre d’art implique une liberté de penser par rapport aux règles. La satisfaction est liée à l’absence de concept, c’est-à-dire que l’appréhension de l’œuvre laisse l’entendement et l’imagination s’accorder librement. L’une produit selon des règles qui ne sont par des concepts, l’autre n’apporte que la forme de l’universalité. Lorsque Baudelaire écrivait dans le poème, La beauté, « Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre », il invente une image qui ne se laisse pas réduire au concept de comparaison, ni à celui d’oxymore. Ainsi, le rêve qui évoque l’irréel et la pierre la solidité sont associés comme une comparaison qu’exprime la beauté à propos d’elle-même. Le vers donne son sens à chacun des termes en déformant et en transformant le sens courant des mots.  Or, si le génie, c’est la nature donnant ses règles à l’art selon Kant dans le § 46 de la Critique de la faculté de juger, n’est-ce pas que, contrairement aux libres beautés naturelles, il est soumis à des règles ? La contemplation des beautés naturelles serait alors plus susceptible de nous libérer du désir et des règles de l’entendement pour appréhender, comme ils se présentent, les objets qui nous sont donnés dans l’expérience. Contempler la mer, sans intention de l’utiliser, ni de la connaître, me dispose à faire un libre usage de mes facultés intellectuelles, alors qu’un poème comme « Marine » de Rimbaud[1] exige de moi que je cherche l’intention de l’artiste.
Toutefois, don inné ou acquis comme le soutient Nietzsche dans Humain, trop humain I, peu importe pour notre propos, le génie invente des règles. Ainsi, du point de vue de la connaissance, l’art libère de l’application stricte de règles qui contraignent l’esprit, y compris en ce qui concerne la perception. C’est l’œuvre d’art qui dispose à contempler de façon esthétique la nature. La beauté naturelle présuppose la beauté artistique et en dérive. C’est ainsi que Caspar-David Friedrich réduit la perspective géométrique dans Le Moine au bord de la mer, commençant ainsi à briser une règle inventée à la Renaissance. Parce qu’elle dispose l’esprit à percevoir autrement, l’œuvre d’art donne à penser, elle libère pour la pensée. D’un autre côté, elle dispose à la liberté morale. En effet, celle-ci peut se définir comme obéissance à la raison, c’est-à-dire à l’universalité. Aussi, il apparaît nécessaire que le sujet soit libre par rapport à tout intérêt, y compris l’intérêt moral, pour que le respect de la morale ne soit pas déterminé par un intérêt. C’est en ce sens que le beau est le symbole de la moralité selon Kant (Critique de la faculté de juger, §59) et donc, que l’art y conduit, même s’il ne doit pas se conformer à des principes moraux comme l’exigeait Platon (cf. La république, l. III et l. X ; Les Lois, l. VII).
Toutefois, l’analyse de Kant sépare l’art de la vie. Dès lors, la double libération que constitue l’art est aussi une double aliénation puisqu’elle laisse intact la connaissance et la morale. Ainsi, l’art libère du désir, mais le désir ne reste-t-il pas alors soumis à la contrainte sociale ? Qu’est-ce qu’une libération qui ne modifie pas son objet ? Ainsi, en quoi les artistes nous aident-ils à être libres si ce qu’ils produisent n’a aucun effet sur la vie ou plutôt ne doit en produire aucun selon le concept kantien de l’œuvre d’art ?

Ainsi, penser comme réalisation de désirs refoulés par les exigences sociales, l’art apparaît aliéné, c’est-à-dire qu’il est réduit à une sorte d’orthopédie sociale ou de cure psychologique sauvage. Toutefois, penser comme libérant du désir, l’art n’apparaît que comme une vaine activité qui laisse le désir à son aliénation. Même s’il s’agit comme dans le surréalisme de libérer le désir de chacun par la production d’œuvres qui l’expriment en dehors de toute contrainte sociale et même esthétique, notamment par la pratique de l’écriture ou du dessin automatique, cela ne change en rien les conditions sociales. Cet argument que les communistes adressèrent aux surréalistes amena notamment certains d’entre eux, comme Louis Aragon ou Paul Eluard, à abandonner la poésie pure, pour produire des œuvres engagés. On peut même avec Sartre faire remarquer que si la peinture ou la musique peuvent être pures, parce qu’elles sont compositions de couleurs et de formes, de sons et de rythmes, la littérature est nécessairement engagée, parce qu’il n’y a pas de description ou de récit neutres (cf. Qu’est-ce que la littérature ?). Mais, un artiste engagé n’aide que son parti dont on peut se poser la question de savoir s’il favorise la liberté. En quoi le poème qu’Eluard écrivit pour et sur Staline a-t-il aidé quelqu’un à être libre ? En quoi l’engagement de l’écrivain Pierre Drieu La Rochelle, en faveur du nazisme, a-t-il aidé qui que ce soit à être libre ? A supposer même que l’engagement de l’artiste soit en faveur de la liberté, ce n’est pas en tant qu’artiste, mais en tant que porteur de certaines idées, philosophiques ou politiques. Ce serait alors à la philosophie ou à la politique que reviendrait l’honneur de nous aider à nous rendre libres.
Or, ne faut-il pas voir dans l’art, à la fois une réalisation du désir aliéné et une libération de ce désir ? C’est-à-dire, n’est-ce pas que l’œuvre d’art est, selon le mot de Stendhal à propos du Beau, « une promesse de bonheur » (cité par Nietzsche dans La généalogie de la morale, III, 6) ? La séparation de l’art et de la vie a été contestée par l’art moderne. Lorsque Marcel Duchamp présente un urinoir renversé, signé “R. Mutt 1917”, qu’il nomme « Fontaine », il récuse l’opposition traditionnelle de l’art et de la technique en transformant un objet industriel en œuvre à exposer. Il nie également les exigences classiques du génie et du métier, qui isolent l’artiste des autres hommes et les rendent impropres à l’art, puisque le moment technique de l’art est réduit à presque rien. Enfin, il présente à la contemplation un objet qui renvoie à la vie dans ses aspects les moins “élevés”. Certes, on pourrait nier qu’il y ait là une œuvre d’art. Pourtant, ce serait figer l’art dans un classicisme qui se réfute lui-même, puisqu’il consiste à poser que quelques œuvres originales sont des règles éternelles, alors que leur originalité fut invention en leur temps. Or, Duchamp propose une “œuvre” qui interroge l’idée même d’œuvre d’art, conformément au concept de l’art qui est d’inventer des objets singuliers qui touchent la sensibilité et la pensée. De même, l’extinction progressive de la figuration en peinture (cf. Le carré blanc sur fond blanc de Malevitch, exposé en 1918) ou l’absence de cohérence dans la figuration (cf. René Magritte, «les vacances de Hegel », de 1958 où l’on voit sur un fond orange un verre d’eau sur un parapluie, le tout ne reposant sur rien, ce qui est une présentation de l’absence de fondement du réel, le titre indiquant l’opposition à une philosophie qui a tenté de tout fonder, y compris l’art) ou une figuration de la sensation (cf. l’œuvre de Francis Bacon où les visages déformés libèrent des sensations tristes et fortifiantes à la fois) montrent que du point de vue de la forme, l’art s’est progressivement libéré de certains canons, de certains interdits, et notamment de l’exigence d’un art pur, éthéré, planant au-delà de la vie.
Ainsi l’art moderne exprime le paradoxe de la double libération que vise l’art. Du point de vue du désir, l’art vise à réaliser les désirs refoulés ou plutôt anticipe, c’est là un aspect de la promesse, la réalisation du désir. C’est la raison pour laquelle, quant à leur contenu, les œuvres, notamment littéraires et plastiques, présentent les désirs les plus immoraux. En un mot, c’est de la morale sociale que l’art libère. Il peut donc, comme Georges Bataille (1897-1962) l’avait vu, dans Lascaux ou la naissance de l’art (1955), être interprété comme une transgression, et ceci dès la peinture pariétale, où sont peints, énigmatiquement, les animaux peu ou pas consommés, c’est-à-dire, une vie non socialisée. Mais, en tant que le désir est socialisé, c’est de lui que l’art libère. Ainsi, les analyses de Freud et de Kant présentent deux moments solidaires. Du point de vue de la connaissance, l’art invente de nouveaux affects et percepts, ce pour quoi il donne à penser et invite la connaissance à se faire invention. En effet, si de nouvelles façons de voir et de sentir sont possibles, loin d’avoir à découvrir une réalité déjà faite qui n’est que le résultat de la réification due aux exigences sociales, la pensée a pour tâche d’inventer de nouveaux concepts. C’est en ce sens que l’art est libérateur pour la pensée, notamment philosophique, selon Bergson (cf. La pensée et le mouvant). Ainsi, Turner a libéré la couleur pure et l’a donnée à voir. Proust a libéré l’idée d’un amour dont l’objet, loin d’être la recherche de quelque unité perdue ou d’une hypothétique beauté absolue, présente sous les traits d’Albertine, une pure multiplicité (cf. A la recherche du temps perdu. La multiplicité des visages d’Albertine que voit le narrateur à la fin de A l’ombre des jeunes filles en fleurs lors de leur première rencontre, leur amour sera la douloureuse découverte par le narrateur des différentes Albertine). Enfin, les artistes empêchent la réflexion morale de s’endormir en proposant des œuvres qui se situent sur son terrain privilégié : celui du cas. Même immorales en apparence, les œuvres, notamment littéraires, parce qu’elles présentent des situations singulières, donnent à penser. Ainsi Laclos dans Les liaisons dangereuses présente, en la figure de la libertine Marquise de Merteuil, la triste condition faite aux femmes par les hommes et une tentative de s’en libérer, qui, pour immorale qu’elle soit, n’en préfigure pas moins l’espoir d’une libération.


Ainsi, les artistes ne nous aident pas à être libres au sens où leurs œuvres nous permettraient la libre disposition de nous-mêmes vis-à-vis de nos désirs auxquels elles donneraient un substitut de satisfaction, ce qui ne serait qu’une illusion de liberté. Ce n’est pas en s’engageant, c’est-à-dire en se mettant aux services d’idées toutes faites que les artistes nous permettraient d’être libres, puisque s’engager, c’est transformer l’œuvre d’art en propagande ou en publicité, ce qui ne peut être efficace qu’à la condition de répéter des formes esthétiques usées. Ce n’est pas non plus en tant qu’elles rendraient possibles l’action et la pensée libre de désir que les œuvres d’art nous aideraient à être libre, puisqu’elles nous laisseraient asservis à la réalité sociale et aux désirs qu’elle fait naître en nous. Mais en tant qu’elles présentent, en des choses faites, la promesse d’une vie, qui, dans tous ses aspects, est libre, les œuvres que créent les artistes authentiques, ceux qui inventent et qui nous surprennent d’abord, nous disposent à un tout autre rapport au monde, y compris social, que celui de la fourmi travailleuse que les exigences de la vie sociale imposent aux hommes, à savoir un libre rapport au triple point de vue de la sensibilité, de la connaissance et de l’action.








[1] Voici le poème : Les chars d’argent et de cuivre – / Les proues d’acier et d’argent – / Battent l’écume, - / Soulèvent les souches des ronces – / Les courants de la lande, / Et les ornières immenses du reflux, / Filent circulairement vers l’est, / Vers les piliers de la forêt, - / Vers les fûts de la jetée, / Dont l’angle est heurté par des / tourbillons de lumière.

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