dimanche 3 novembre 2019

Corrigé d'une dissertation : La culture dénature-t-elle l'homme ?

Quand on voit la diversité des cultures humaines, c’est-à-dire des acquis transmis de générations en générations dans de nombreux domaines (religions, connaissances, techniques, art, etc.), et donc la diversité de ce que les hommes font, pensent ou disent, on ne peut manquer de se dire que la culture change l’homme, voire le transforme, autrement dit qu’elle le dénature.
Cependant, un homme sans culture serait-il vraiment un homme ? La culture n’est-elle pas bien plutôt ce qui lui permet d’être humain ?
On peut donc se demander si la culture dénature l’homme ou si au contraire, c’est elle qui le rend humain.
La culture dénature l’homme pour le rendre humain, ou plutôt elle est la réalisation de sa nature, en ce sens que l’homme est un être pour qui la distinction entre culture et nature n’a pas de sens.


Si on veut penser l’homme indépendamment de la culture, il faut le concevoir abstraction faite de ce que la société lui apporte. Certains croient trouver, dans ce qu’on appelle l’état de nature, un état bon, celui de l’innocence que l’homme n’aurait pas dû quitter. Ils se trompent selon Hegel. En effet, dans sa Propédeutique philosophique (1808), le philosophe refuse qu’on décrive l’état de nature comme un état de bonheur et de bonté morale. En effet, loin d’être telle, l’innocence est l’ignorance du bien et du mal et n’a donc aucune valeur. En outre, laissés à eux-mêmes, les hommes sont bien plutôt dans le conflit, bien loin du bonheur supposé de l’état de nature. Or, les hommes savent agir moralement. N’est-ce pas que la culture les a dénaturés pour les rendre tels qu’ils sont ?
En effet, Hegel soutient qu’il faut que les hommes sortent de l’état de nature pour vivre en société, plutôt une société où il y a un État. On peut entendre par là l’institution qui détient le pouvoir (législatif, exécutif et judiciaire) de façon séparée de la société. Dès lors, la culture, c’est-à-dire non seulement les traditions qui se transmettent dans tous les domaines (connaissances, art, techniques, etc.), mais également la culture au sens de l’éducation, est ce qui enlève à l’homme ce fond de méchanceté gratuite qu’il a sans éducation. La culture dénature donc bien l’homme au sens où elle change sa nature de départ pour lui en substituer une nouvelle, celle qui lui permet de vivre moralement avec les autres.

Cependant, si l’homme n’était absolument pas capable d’agir moralement, comment pourrait-il être capable d’être éduqué ? Ne faut-il pas penser bien plutôt que la culture, loin de dénaturer l’homme, réalise sa nature ? Comment est-ce possible ?


En effet, de même que les hommes marchent naturellement, mais qu’il faut leur apprendre, on doit considérer avec John Stuart Mill, dans De l’utilitarisme (1863), que les qualités morales sont naturelles quoiqu’elles soient acquises. En effet, un humain qui ne marche pas n’est pas vraiment humain. De même, un humain incapable de raisonner. Il faut donc apprendre à marcher – ce qui se fait dans toutes les cultures. Il faut aussi apprendre à raisonner : ce qui se fait plus ou moins bien suivant les différentes cultures. Dans toutes, les hommes ont dû raisonner en s’appuyant sur l’expérience pour découvrir les techniques qu’ils utilisent. Et chaque culture peut emprunter aux autres ses découvertes. Pour la raison dans les sciences, là encore sa formation est variable en fonction des cultures mais les emprunts sont possibles. Ainsi, les mathématiques inconnues chez certains peuples sont devenues une discipline vraiment universelle puisque les raisonnements qu’on y trouve sont strictement universelles comme Leibniz le faisait remarquer dans ses Nouveaux essais sur l’entendement humain (posthume, 1765).
On peut de même considérer avec John Stuart Mill que les sentiments moraux sont à la fois acquis et naturels, bref, que la culture humanise l’homme loin de le dénaturer. En effet, c’est bien plutôt un homme non éduqué moralement qu’on considèrera comme un sauvage, voire comme un barbare, bref, comme quelqu’un qui n’est pas vraiment humain. Or, cette éducation est bien culture, c’est-à-dire qu’elle consiste à cultiver, à prendre soin des sentiments naturels si faibles soient-ils que nous avons en nous, pour les développer afin que l’homme s’humanise.

Néanmoins, il paraît difficile de considérer les sentiments comme naturels et la culture comme devant les faire acquérir quand on s’aperçoit de la diversité des sentiments, y compris des sentiments moraux. N’est-ce pas que la distinction entre nature et culture en l’homme n’a pas de sens ?


En effet, on peut considérer avec Merleau-Ponty dans la Phénoménologie de la perception (1945) que la distinction entre nature et culture en l’homme n’a pas de sens. Autrement dit, les conduites humaines sont à la fois naturelles et culturelles. Lorsque nous embrassons dans l’amour, nous croyons qu’il s’agit d’une conduite naturelle par contre la diversité des langues nous amène à penser que lorsque nous parlons c’est culturel. Pourtant, les anciens Japonais n’embrassaient pas dans l’amour – et les Japonais ont depuis appris. De même, comme nier que l’homme est bien naturellement un animal parlant ?
De même pour les sentiments moraux, force est de convenir qu’ils sont aussi bien naturels que culturels et qu’ils varient en fonction des cultures. On peut en prendre pour preuve le sentiment de la paternité qui nous semble si évident. Or, Merleau-Ponty prend l’exemple des Trobiandais pour qui c’est l’oncle maternel qui exerce cette fonction et surtout l’absence de jalousie du mari trobiandais quand il découvre un nouvel enfant chez lui après une longue absence.
Ce qui n’exclut pas qu’il y ait certains sentiments moraux universels, comme la véracité ou la générosité. Dans tous les peuples, on trouvera des rituels d’hospitalité. Mais, c’est le génie propre de l’homme selon Merleau-Ponty d’inventer des conduites sur la base de la nature en lui. Dès lors, la culture ne peut ni dénaturer ni réaliser la nature humaine. Elle est ce par quoi l’homme n’est pas seulement nature.


Disons en dernière analyse que le problème était de savoir si la culture dénature l’homme ou si au contraire, c’est elle qui le rend humain. Si on admet que l’homme n’a aucune valeur morale naturellement et qu’il est bien plutôt naturellement méchant, alors on soutiendra que la culture dénature l’homme. Mais elle ne le pourrait pas s’il n’y avait en lui virtuellement des sentiments moraux. C’est pourquoi il est apparu préférable de penser que la culture réalise bien plutôt l’humanisation de l’homme. Toutefois, on ne peut nier la diversité des cultures humaines. Il faut donc penser que nature et culture ne se séparent pas en l’homme, autrement dit, que l’homme est l’être qui invente ce qu’il est, bref, qu’il n’est pas seulement nature, ni seulement culture, mais un être qui a les deux faces indissociables comme le sont celles d’une pièce de monnaie.

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