mardi 5 novembre 2019

Corrigé d'une explication de texte de Descartes sur le bonheur et la vérité

Sujet.
Je me suis quelquefois proposé un doute : savoir, s’il est mieux d’être gai et content, en imaginant les biens qu’on possède être plus grands et plus estimables qu’ils ne sont, et ignorant ou ne s’arrêtant pas à considérer ceux qui manquent, que d’avoir plus de considération et de savoir, pour connaître la juste valeur des uns et des autres, et qu’on devienne plus triste. Si je pensais que le souverain bien fût la joie, je ne douterais point qu’on ne dût tâcher de se rendre joyeux, à quelque prix que ce pût être, et j’approuverais la brutalité de ceux qui noient leurs déplaisirs dans le vin ou les étourdissent avec du pétun (1). Mais (…) voyant que c’est une plus grande perfection de connaître la vérité, encore même qu’elle soit à notre désavantage, que l’ignorer, j’avoue qu’il vaut mieux être moins gai et avoir plus de connaissance. (…) Ainsi je n’approuve point qu’on tâche à se tromper, en se repaissant de fausses imaginations ; car tout le plaisir qui en revient, ne peut toucher que la superficie de l’âme, laquelle sent cependant une amertume intérieure en s’apercevant qu’ils sont faux.
DescartesLettre à Élisabeth du 6 octobre 1645.

(1) « pétun » : tabac.

Pour expliquer ce texte, vous répondrez aux questions suivantes, qui sont destinées principalement à guider votre rédaction. Elles ne sont pas indépendantes les unes des autres et demandent que le texte soit d'abord étudié dans son ensemble.

Questions

1. Dégagez l’idée essentielle et les étapes de l’argumentation.
2. Expliquez :
a. « Si je pensais que le souverain bien fût la joie, je ne douterais point qu’on ne dût tâcher de se rendre joyeux, à quelque prix que ce pût être » ;
b. « car tout le plaisir qui en revient, ne peut toucher que la superficie de l’âme, laquelle sent cependant une amertume intérieure, en s’apercevant qu’ils sont faux ».
3. Le désir du bonheur est-il compatible avec la recherche de la vérité ?

Corrigé
Doit-on chercher le bonheur à tout prix, notamment en tombant dans l’erreur ou bien faut-il préférer la connaissance de la vérité ?
Tel est le problème dont traite Descartes dans cet extrait d’une Lettre à Élisabeth du 6 octobre 1645.

1. Dégagez l’idée essentielle et les étapes de l’argumentation.
Descartes veut montrer que la connaissance du vrai concourt plus au bonheur que la recherche du plaisir.
Il commence par poser le problème en énonçant une alternative. La première hypothèse est celle de savoir s’il vaut mieux être dans l’erreur quant aux biens que l’on possède et être par là-même satisfait. Il en déduit que cela suppose ou l’ignorance ou de ne pas rechercher les biens qui nous manquent. La seconde hypothèse consiste dans la connaissance de la vérité quant à la valeur de chacun des biens que nous possédons. À quoi il ajoute qu’une telle connaissance pourrait nous rendre triste, c’est-à-dire mécontent de notre sort.
Il émet ensuite la supposition selon laquelle le souverain bien est la joie. Dans ce cas, il en déduit qu’il approuverait que l’on cherche à se rendre joyeux, quels que soient les moyens, notamment par l’usage de substances qui tels l’alcool et le tabac sont sources à la fois de satisfactions passagères et d’illusions.
À quoi il oppose que la vérité est un bien supérieur à l’ignorance dans tous les cas, y compris quand elle va à notre encontre. Il en tire comme conséquence qu’il est préférable d’être gai et avoir plus de connaissance.
Enfin, il réfute l’idée d’une recherche volontaire de plaisirs illusoires. La raison qu’il en donne c’est qu’ils ne touchent que la surface de l’âme puisque la connaissance de l’illusion conduit à une profonde insatisfaction.

2. Expliquez :
a. « Si je pensais que le souverain bien fût la joie, je ne douterais point qu’on ne dût tâcher de se rendre joyeux, à quelque prix que ce pût être » ;
Descartes suppose que le souverain bien est la joie. Cette supposition n’est pas la sienne. Par « souverain bien », il faut entendre le bien suprême, c’est-à-dire le bien en vue duquel tout s’ordonne et le bien supérieur à tous les autres. Dans cette supposition, il en tire la conséquence qu’il faut tout faire pour être joyeux. La précision « à quelque prix que ce pût être » indique qu’une fois le plaisir posé comme bien suprême, il n’est pas cohérent de refuser quoi que ce soit qui le procure. Au-delà des exemples de l’alcool et du tabac, Descartes laisse entendre que toutes les actions seraient licites, même les plus contraires à la morale. Il dévalorise donc ainsi la thèse qui fait du plaisir le souverain bien.
b. « car tout le plaisir qui en revient, ne peut toucher que la superficie de l’âme, laquelle sent cependant une amertume intérieure, en s’apercevant qu’ils sont faux ».
Descartes explique pourquoi chercher à se donner du plaisir en s’illusionnant, c’est finalement ne même pas se donner du plaisir. Car un tel plaisir ne peut avoir qu’un effet superficiel car, lorsqu’on cherche volontairement à s’illusionner, comme dans le cas du tabac et de l’alcool, on sait en même temps qu’on le fait. Dès lors la satisfaction est contrebalancée par une tristesse intérieure que Descartes appelle « amertume ».

3. Le désir du bonheur est-il compatible avec la recherche de la vérité ?
On peut penser que le désir du bonheur, c’est-à-dire l’aspiration à la plus grande satisfaction possible, est ancré en tout homme. Il semble s’opposer à la recherche de la vérité puisque celle-ci présuppose qu’on fasse des efforts pour la trouver.
Pourtant, désirer le bonheur paraît exiger la recherche de ce qui, en vérité, le permet.
Dès lors on peut se demander si le désir du bonheur et la recherche de la vérité sont compatibles.


C’est que si par bonheur on entend une satisfaction purement physique, un accomplissement de tous les désirs, il n’est pas du tout évident que la recherche de la vérité puisse être compatible avec le bonheur. C’est qu’en effet, rechercher la vérité c’est savoir qu’on ne la connaît pas, c’est-à-dire être dans le doute. Or, celui-ci est un état d’insatisfaction. Aussi beaucoup d’hommes tentent de s’oublier par des artifices. Car s’interroger, c’est découvrir ses propres manques et souffrir de le savoir.
En outre, le désir du bonheur vise la satisfaction immédiate alors que la recherche de la vérité implique que l’on mette à l’épreuve des hypothèses sans être assuré de la découvrir. Il y a là un long chemin semé d’embûches.
Enfin, la recherche de la vérité implique que l’on sacrifie tous les plaisirs pour atteindre un but dont on ignore s’il peut être satisfait. Aussi le poète et écrivain allemand Goethe (1749-1832) a-t-il représenté dans le personnage de Faust le type même du chercheur de la vérité profondément insatisfait et qui vend son âme au diable pour enfin connaître le bonheur.

Pourtant, le désir du bonheur implique de trouver de vraies satisfactions, sinon, il faudrait poser qu’il est compatible avec l’illusion. Or, une illusion ne peut produire de plaisir que si on ne la connaît pas comme illusion. N’est-ce pas pour cela que souvent celui qui vivait dans l’illusion est déçue lorsqu’il y a doute ? Autrement dit, le désir du bonheur implique un certain rapport à la vérité de sorte qu’on ne peut simplement opposer recherche de la vérité et désir du bonheur.


C’est que si nous désirons le bonheur, nous ne savons pas exactement ce qu’il est. Les plaisirs des sens sont éphémères et s’ils nous suffisaient pour être heureux, nous ne tenterions pas de les augmenter ou de les modifier. Même la recherche de plaisirs illusoires montre que le désir du bonheur chez l’homme n’est pas enfermé dans des limites naturelles. S’il est vrai qu’on prétend souvent à l’instar des épicuriens qu’il ne faut satisfaire que les désirs naturels et nécessaires pour être heureux, toujours est-il que la nécessité de cette prescription montre que les hommes la dépassent toujours.
Dès lors il faut bien rechercher la vérité pour savoir comment être heureux. Et même si pendant cette recherche, le bonheur n’apparaît pas, il n’en reste pas moins vrai qu’on se défait ainsi de ses illusions. La recherche de la vérité est donc le moyen de se débarrasser des préjugés qui nous encombrent. En nous donnant de fausses idées, ils nous déçoivent souvent par les plaisirs factices que la société, surtout la société de consommation nous propose.
D’ailleurs, le doute volontaire doit être distingué du doute forcé qui provient d’une déception. Le second nous surprend alors que le premier exprime la force de notre esprit. En conséquence, loin d’être source d’insatisfaction il implique une forme de plaisir, celui qui accompagne l’exercice de notre raison. Si nous étions de simples animaux, nous nous contenterions des plaisirs des sens. Loin d’être une souffrance, la recherche de la vérité donne donc des satisfactions solides, comme celles qu’éprouvent le corps dans l’exercice physique.


Bref, non seulement il est apparu que l’opposition entre la recherche de la vérité et le désir du bonheur ne reposait que sur l’illusion que l’homme pourrait se contenter des simples plaisirs physiques, mais il est également apparu que la recherche de la vérité constituait en elle-même la source d’un plaisir, à savoir satisfaire les exigences de notre raison. On peut donc dire qu’il n’y a pas d’incompatibilité entre le désir du bonheur et la recherche de la vérité.

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