mardi 19 novembre 2019

Corrigé d'une dissertation : Le mensonge est-il parfois légitime ?

Il ne faut pas mentir. Cet interdit, nous l’avons entendu dès notre plus jeune âge. C’est que le mensonge implique de nuire aux autres, au moins de détruire la confiance comme le montre Ésope (VI° av. J.-C.) dans cet apologue [= court récit imaginaire ou parfois réel dont se dégage une vérité morale] relatant l’histoire de ce jeune berger qui, plusieurs fois, crie au loup et ameute ainsi les villageois. Or, un jour un loup arrive, il crie, mais plus personne ne le croit : le loup dévore son troupeau. Dès lors, le mensonge ne semble jamais légitime.
Cependant, il arrive qu’on mente, autrement dit qu’on énonce autre chose que ce que l’on croit vrai, pour aider un autre parce que la vérité lui serait nuisible ou au moins nous paraît tel.
Dès lors, y a-t-il des conditions qui peuvent rendre légitime le mensonge ?
Le mensonge paraît être une arme de défense légitime, pourtant il nuit toujours à l’humanité, mais pour autrui surtout, dans les cas graves, il est parfois légitime.


Le mensonge, qui consiste à dire autre chose que ce qu’on croit vrai, est une arme comme le soutient Schopenhauer dans son Fondement de la morale (1840). En effet, il sert à nuire aux autres. Aussi peut-il être légitime. Face à des assassins pour lesquels je n’ai pas assez de force, je ne peux me défendre physiquement. Or, le mensonge est l’arme du faible. De même que la loi m’autorise à me défendre, elle ne peut pas me condamner parce que j’ai menti dans ce genre de cas. Et si elle le fait, elle serait illégitime au sens d’injuste puisqu’elle privilégierait des assassins plutôt que honnêtes gens. La légitimité du mensonge s’arrête-t-elle là ?
Il l’est aussi lorsqu’on nous pose des questions indiscrètes soutient aussi Schopenhauer. En effet, qui m’interroge sur ma vie intime, cherche indirectement à me nuire en permettant la médisance, c’est-à-dire l’énoncé de vérités concernant quelqu’un qui peuvent lui nuire. De même donc qu’il arrive qu’elle soit punie comme Alain le rappelle dans les Éléments de philosophie – actuellement elle peut être condamnée au civil en France – elle est en elle-même injuste dans la mesure où elle nuit. Aussi est-il légitime, c’est-à-dire conforme à la légalité, mais également juste de mentir lorsqu’une curiosité malveillante nous assaille.

Cependant, une telle extension de la légitimité du mensonge laisse à chacun le soin de définir quand il peut dire la vérité. Dès lors, c’est la confiance, nécessaire dans toutes les relations humaines qui paraît détruite. Ne faut-il pas alors proscrire radicalement le mensonge ? Est-il légitime de ne jamais mentir ?


Mentir, c’est nuire à l’humanité en l’autre comme le soutient Kant dans son article, D’un prétendu droit de mentir par humanité (1797). La raison en est que la véracité est un devoir vis-à-vis de tout autre qu’on ne traite pas alors comme un simple instrument à son service. Même si des assassins me demandent si mon ami est là, je dois leur dire la vérité. D’abord parce que si je mens et que mon ami est parti sur la route, je serais responsable de sa mort. Je ne peux pas prévoir absolument ce qui résultera de mes déclarations pour savoir ce que j’ai le devoir de faire. Ensuite, rien ne m’interdit en ameutant les voisins de défendre mon ami : le mensonge paraît là une solution de facilité, voire de lâcheté.
Quant à l’indiscrétion, elle ne peut me nuire si je n’ai pas de vice. Je peux franchement dire que je ne veux pas répondre à la question même si l’autre me soupçonne des pires turpitudes et en répand le bruit. N’est-ce pas à moi, par mes actes, à m’assurer une bonne réputation. Si par contre, j’ai commis des fautes, l’aveu même peut permettre une réforme. Le sentiment de la honte (= malaise dû à la conscience d’avoir transgressé une norme sociale), la morsure du remords (= le sentiment de culpabilité morale) sont susceptibles de m’inviter à changer de comportement. D’ailleurs, il nous arrive d’avouer nos fautes à nos amis.

Néanmoins, les conséquences de ma sincérité doivent m’être imputées aussi bien que celles du mensonge. Si donc en disant la vérité un crime est commis, je ne puis faire comme si je n’y étais pour rien. Comment donc puis-je mentir sans que cela soit immoral ?


On peut dire alors que seul celui qui ne nuit pas aux autres a droit à la vérité. C’est ce que soutient Benjamin Constant (1767-1830) à juste titre dans ses Réactions politiques (1796) contre Kant. C’est que la confiance se mérite. Un criminel est par définition celui qui a décidé de tromper les autres. On ne peut donc le traiter comme les autres, sans quoi il n’y aurait pas de punition. Aussi faut-il bien convenir que dans ce cas, il y bien une légitimité du mensonge. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il est légal lorsqu’il s’agit de défendre la société tout entière, ou le groupe. Qui irait reprocher au résistant Jean Moulin (1899-1943) de ne pas avoir parlé sous la torture ?
Comme il y a de fortes chances que mon mensonge soit nuisible, je dois en tenir compte. C’est la raison pour laquelle, il n’est pas légitime de mentir dans la vie ordinaire. Seuls les cas extraordinaires et manifestes de négation des droits humains légitiment le mensonge pour les défendre. Aussi doit-on toujours les juger après coup et tenir compte non de ce qui doit nécessairement arriver, mais de ce qui est probable. Ainsi, il y a plus de chances que je sois responsable du meurtre de quelqu’un si je dis où je crois qu’il est que si je mens ou au moins prétend que je n’en sais rien.
Je peux même mentir lorsqu’il s’agit des autres si leur dire la vérité est susceptible de leur nuire. C’est ce que font parfois les médecins. Non qu’ils ne finissent par dire la vérité à leur patient, mais tant qu’ils la diffèrent, ils mentent. C’est la raison pour laquelle John Stuart Mill, dans L’utilitarisme, fait remarquer que le mensonge est nuisible en ce qu’il diminue la confiance, mais qu’il faut tenir compte des situations exceptionnelles où il est encore plus nuisible de dire la vérité. Il est donc immoral de dire la vérité à quelqu’un qui ne peut la recevoir. Et c’est pour cela qu’il est alors légitime dans ce cas de mentir.


Ainsi, nous nous demandions s’il y a des conditions qui peuvent rendre légitime le mensonge. Il est apparu comme une arme de légitime défense. Mais ainsi conçu, il n’y a aucune limite au mensonge. D’où l’idée qu’il n’y a aucune condition qui le légitime sur le plan moral. Mais la morale devient alors cruelle et finalement immorale. Il faut donc tenir compte de l’utilité, non pas de soi, mais des autres, ceux de notre société, voire l’homme en général.


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