On dit souvent que la loi nous empêche de faire ce qu’on veut. Elle apparaît alors comme un obstacle à la liberté.
Pourtant, en l’absence de loi, lorsque chacun fait ce qu’il veut, c’est l’anarchie, et finalement, on ne peut faire ce qu’on veut.
Dès lors, la loi constitue-t-elle, pour la liberté, un obstacle ou une condition ?
La loi apparaît d’abord comme un obstacle pour la liberté. Par loi, entendons toute prescription de l’autorité légale dans une société, y compris les coutumes. Or, la loi interdit ou prescrit et menace par les punitions qui lui sont attachées. Aussi empêche-t-elle nos désirs. Soit parce que nous ne pouvons les réaliser au moment où nous le voulons, soit parce qu’ils sont prohibés. Par exemple, la loi en France jusqu’en 1965, interdisait aux femmes de travailler sans le consentement de leurs maris. Elle était donc un obstacle à la liberté des femmes.
Elle est également un obstacle dans la mesure où elle présente des limites aux actions que nous voulons entreprendre. Autrement dit, il nous faut toujours tenir compte de la loi. C’est pour cela que même si la loi est nécessaire pour assurer la sécurité, il n’y a de liberté que là où elle n’interdit pas. Si elle trace une route pour que nous prenions un chemin qui nous conduit à notre but comme le prétend Hobbes dans le chapitre 30 du Léviathan (1651), elle nous interdit tous les autres chemins.
Toutefois, ce n’est pas vraiment être libre que de faire tout ce qu’on désire puisqu’on est soumis à des impulsions dont on n’est pas responsable. Dès lors, la loi n’est peut-être pas tant un obstacle qu’une condition pour être libre ?
En effet, la loi interdit. Elle limite donc le désir. Elle permet alors de ne pas être soumis au désir. Elle permet d’accéder à la maîtrise de soi. Un enfant qui n’est pas discipliné n’est pas libre, il est capricieux. Il change d’objectifs au gré des désirs qui le ballotent. Son humeur varie en fonction des désirs et de leur réalisation. Il est incapable de la moindre constance. Durkheim avait raison de soutenir dans L’éducation morale(posthume, 1925) qu’un despote tout puissant ne serait pas libre parce que ses désirs se contrediraient. Or, la loi n’empêche-t-elle pas la réalisation de certains actes ?
Si la loi empêche la réalisation de certains actes ou les limite, elle constitue un obstacle qui se transforme en condition dans la mesure où elle met à l’épreuve l’individu. Ainsi, je peux grâce à la loi transformer ma volonté et la faire véritablement mienne. La loi m’oblige par exemple à travailler pour subvenir à mes besoins plutôt que de voler. Elle me permet alors de réaliser quelque chose.
Néanmoins, la loi peut servir à certains pour en dominer d’autres. Si donc elle permet à l’individu de se libérer, ce n’est pas à n’importe quelle condition. Ne faut-il pas alors que la loi soit valable pour tous ?
On ne peut être libre lorsqu’on est dominé par d’autres. C’est pourquoi il faut que la loi empêche que certains dominent les autres. Elle n’est donc pas dans ce cas un obstacle à la liberté, mais un obstacle à ce qui fait obstacle à la liberté, à savoir, ce qui nuit à la liberté humaine. Or, que doit-être une loi pour qu’elle ne soit pas un instrument de domination ?
Il faut que la loi ne puisse être utilisée, donc qu’elle s’impose à tous. Les gouvernants selon l’expression de Rousseau dans les Lettres écrites de la montagne (1764) ne doivent pas être des maîtres, mais seulement des chefs. À cette condition, non seulement la loi libère des désirs impulsifs, mais elle empêche toute domination, toute servitude, tout esclavage.
Disons pour finir que nous nous demandions si la liberté est un obstacle à la liberté ou sa condition. Il est apparu qu’elle est un obstacle si on pense la liberté comme ordinairement comme faire ce qui nous plaît. Mais la liberté implique bien plutôt de ne pas être soumis. Aussi est-elle une condition pour se libérer des désirs et une condition pour ne pas être dominé par les autres lorsqu’elle est la seule maîtresse.
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