L’homme partage avec les autres animaux, c’est-à-dire les vivants capables de se déplacer, de percevoir et de se reproduire de façon sexuée, nombre de caractéristiques. Aussi peut-on soulever la question : l’homme est-il un animal comme un autre ?
Il semble que par sa capacité de connaître, de réfléchir, par sa culture, l’homme se distingue radicalement des autres animaux, non pas simplement comme une espèce d’une autre, mais comme s’il y avait en lui une dimension par laquelle il échappe radicalement à l’animalité.
Pourtant, cette dimension en quelque sorte métaphysique de son être, peut paraître une pure et simple illusion qui lui donne à penser qu’il est à part dans la nature alors qu’il n’en est que le produit.
On peut donc se demander si ce par quoi l’homme pense se distinguer des autres animaux le met vraiment à part ou bien s’il est un animal comme un autre qui se méconnaît comme tel.
Il est incontestable que l’homme est un animal si on analyse ce qui fait sa communauté de genre pour parler comme Aristote avec les autres animaux. Il est certes une espèce à part, mais toutes les espèces le sont. Il perçoit comme les autres animaux par des sens et certains ont les mêmes sens que lui. Il se déplace comme eux. Il se reproduit comme eux. Plus précisément, il appartient aux animaux grégaires comme les abeilles ou les fourmis. Cette animalité, il ne peut la nier. Elle est donc une dimension essentielle de son être, celle qui fait son corps. Ne peut-on pas penser néanmoins qu’il a quelque chose de spécifique ?
En effet, Aristote, dans La politique (livre I, chapitre 2) montre que l’homme est un animal politique véritable à la différence des autres animaux qui vivent en société. La raison en est que l’homme possède le logos (λόγος, parole ou raison) que le philosophe distingue de la voix (φωνή, phonè). Celle-ci permet aux autres animaux de communiquer leurs sensations. Et c’est la condition pour qu’il y ait société et donc un but commun auquel tous participent. L’homme lui partage des notions morales comme l’utilité, la justice, etc. C’est pourquoi la cité n’est pas une simple société. Elle est une réalité différente. Cette différence met-elle l’homme à part ?
Si chaque vivant est dominé par une âme spécifique : la nutrition pour les plantes, l’âme sensori-motrice pour les animaux, seul l’homme selon Aristote dans le Traité de l’âme est doué de raison. Il peut donc s’écarter en quelque sorte de sa condition animale. C’est qu’en effet, non seulement il est capable de concepts moraux et/ou politiques, mais en outre, il est capable de penser sa place dans l’univers, de penser ce qu’il est. C’est la raison pour laquelle la connaissance manifeste une dimension de son être qui paraît couper radicalement avec l’animalité. Selon Aristote, elle le rapproche plutôt du divin dont la pensée est l’activité par excellence en tant que « pensée de la pensée » (cf. Métaphysique, L, chapitre 9).
Cependant, la notion d’âme entendue comme principe de vie paraît bien obscure. En effet, elle implique dans le vivant une finalité externe, celle de la nature qui agirait de façon analogue à un artisan en dotant un corps de fonctions. L’animal recevrait son âme de même que l’homme, âme qui animerait un corps fait d’une matière relativement inerte. Ne faut-il pas plutôt penser que le corps est capable de toutes les fonctions qu’on attribue à l’âme ? Dès lors, en quoi l’homme serait-il ou non un animal comme un autre ?
Du point de vue du corps, l’homme est bien un animal comme un autre qu’on peut penser grâce au modèle de la machine. En effet, nous exécutons nombre d’actions ou de fonctions sans les connaître. Ainsi, avant qu’Harvey ne découvre la circulation du sang dans la première moitié du XVII°, elle s’effectuait en nous sans aucune collaboration de notre esprit. Ainsi le modèle mécanique, quoiqu’imparfait, permet de penser le vivant sans introduire une âme chargée d’exécuter ses fonctions. S’il ne permet pas sous la forme que lui a donné Descartes de rendre compte de la reproduction ou des phénomènes de régénération, raison pour laquelle fut introduit la notion de force vitale ou de force formatrice pour user de l’expression de Kant dans le § 65 de la Critique de la faculté de juger (1790), il n’en reste pas moins un meilleur modèle en ce sens que les mécanismes se révèlent complexes mais sans aucune finalité. La découverte des mécanismes de la reproduction, la réduplication de l’ADN, le code génétique qui détermine la construction de l’organisme, n’implique pas de force vitale. Ainsi, tous les comportements des vivants semblent réductibles à un modèle mécanique. Ne faut-il pas faire un sort à part à la pensée ou conscience en l’homme ?
En effet, on peut avec Descartes dans la Lettre au marquis de Newcastle du 23 novembre 1646, dire que l’homme se distingue par son âme ou conscience qui se manifeste par la parole. Si un autre peut me reconnaître comme un homme, c’est parce qu’en parlant, je montre que je suis conscient de ce que je dis. D’abord, mes propos se rapportent au sujet au sens du thème. En ce sens, même un fou montre qu’il est conscient de ce qu’il dit même si ce qui dit n’est pas raisonnable. Ainsi en va-t-il de ce fou selon une nouvelle de Cervantès (1547-1616) qui croyait être en verre et qui demandait qu’on évite de le casser (cf. Nouvelles exemplaires, « Le licencié de verre », 1613). Par contre, le perroquet ou la pie répète hors de toute considération de thème quelques mots appris. En outre, l’homme est capable d’inventer des signes comme le montrent les sourds muets. Enfin, c’est librement que l’homme parle et non déterminé par quelque passion. Les animaux capables de prononcer des mots comme la pie le font par dressage et non pour dire quelque chose.
De façon générale, la pensée humaine ne peut s’expliquer mécaniquement de sorte que l’homme se distingue ainsi des animaux. En effet, on peut accorder que les animaux font nombre de choses que les hommes ne peuvent pas faire. Outre l’instinct, c’est-à-dire des comportements innés, automatiques et spécifiques, on trouve souvent des comportements acquis. Mais on peut expliquer par la simple association des impressions et des idées la source de cet apprentissage. L’homme se montre lui capable de se penser. C’est le sens du cogito de Descartes. Il montre la possibilité de remettre toutes les pensées en cause de sorte que se montre la vérité absolue du sujet, vérité que saisi le sujet (cf. Discours de la méthode, IV° partie ; Méditations métaphysiques, méditation seconde ; Principes de la philosophie, première partie, article 7).
Néanmoins, que l’homme se pense comme sujet ne prouve nullement qu’il l’est si on prend en compte que le « je » comme Hume l’a montré ne peut guère se séparer des perceptions particulières (cf. Traité de la nature humaine, livre I, De l’entendement, Quatrième partie, Du système sceptique et autres systèmes philosophiques, section VI, De l’identité personnelle, 1739). Dès lors, l’homme paraît victime d’une sorte d’illusion qui lui fait penser qu’il est à part. Or, comme l’existence humaine ne peut se séparer de la culture, est-il possible de penser que l’homme est un animal comme les autres ?
Il faut donc quitter l’analyse purement statique de l’homme pour l’envisager dans l’évolution des espèces. Il faut l’entendre au sens de Darwin (1808-1882) dans L’origine des espèces (1859). Toutes les espèces viennent d’une ou d’un très petit nombre d’espèces originelles. Les variations qui apparaissent dans les individus subissent une pression du milieu qui conduit à éliminer les moins aptes, c’est-à-dire ceux qui ne peuvent se reproduire. C’est ainsi que l’extrême diversité du vivant et notamment des animaux s’explique non pas par une finalité ni par des facultés implantées, mais justement par des caractères nouveaux. La communauté des vivants, la classification des espèces, genres, familles, ordre, classe, embranchement, règne, qui épouse les traces historiques qui corroborent l’idée d’évolution, tout renforce cette hypothèse qui a l’avantage d’éviter d’introduire dans l’explication toute considération religieuse.
En ce sens, que des caractères nouveaux apparaissent avec l’homme n’est pas étonnant. D’une part, on trouve traces de quelques techniques chez les animaux. D’autre part, on trouve également des formes d’organisations sociales acquises qui sont comme des proto cultures chez nombre d’espèces, notamment chez les grands singes qui sont comme de proches cousins de l’homme. Ainsi, les capacités qui chez l’homme sont si développées sont déjà esquissées dans diverses espèces animales. Si donc l’homme se montre si différent, c’est dans la mesure où il a hérité de capacités qui appartiennent au vivant, plus précisément à l’animal. Or ses capacités ne tranchent-elles pas avec les autres animaux par leur caractère spécifique ?
L’histoire biologique de l’homme montre au contraire une longue et lente évolution. Si l’on remonte à d’anciennes traces d’homme, disons à homo habilis vers deux millions d’années, on trouve un être tout juste capable de fabriquer un outil de pierre pendant plus d’un million d’années. Avec son successeur, homo erectus, la capacité technique s’accroit quelque peu. Disons donc que cette histoire montre une forte corrélation entre le développement biologique et au moins cette dimension de la culture qu’est l’outillage technique qui, chez l’homme, constitue un élément permanent de son existence. C’est tardivement, chez homo sapiens, que la culture paraît se développer. Qu’on pense les différentes espèces humaines comme des espèces au sens propre, c’est-à-dire comme capable de reproduction, ou seulement comme des sortes de variétés qui forment une continuité dont nous n’avons que quelques échantillons, toujours est-il que ce qui paraît faire de l’homme un animal à part provient de son animalité.
En un mot, le problème était de savoir si l’homme est un animal comme un autre qui se croit radicalement différent ou bien si effectivement il est un être à part dans la nature. On a vu que la politique et la pensée pouvaient être considérées comme des fins que la nature implante en l’homme mais qu’une telle conception impliquait la mystérieuse notion d’âme. Aussi est-ce plutôt en tant que sujet que l’homme peut passer pour un être à part. Mais on peut contester qu’il soit sujet en ce sens que sa conscience ne peut se séparer des multiples impressions qu’il éprouve. Dès lors, replacer dans l’ensemble de l’évolution, l’homme est bien un animal comme un autre qui a acquis quelques caractéristiques qui lui donnent l’illusion d’être un « empire dans un empire » (Spinoza, Éthique, préface livre III, Traité politique, chapitre II, §6).
On peut toutefois nuancer cette particularité de l'homme dont fait état Blaise-Pascal "l'homme est un roseau pensant".
RépondreSupprimerqui pourrai me dire ou se termine l'introduction svp est ou est la problématique dans l'introduction
RépondreSupprimerOui
SupprimerOù se termine l'introduction?
RépondreSupprimerOu se trouve l'ntroduction
RépondreSupprimerL'introduction va de 'L'homme partage" à "comme tel"
SupprimerQuel est la problématique Du sujet « L’homme est-il un animal ? »
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