dimanche 17 février 2019

Exercice : vengeance et justice, les peuples primitifs selon Hegel et Lévi-Strauss

Exercice : 1) En vous référant aux textes de Hegel, rédigez un texte où vous exposerez à la troisième personne la thèse de l’auteur et ses arguments essentiels. 2) À partir du texte de Lévi-Strauss, rédigez un texte où vous soutiendrez une thèse sur la vengeance chez les peuples primitifs.

La vengeance se distingue de la punition en ce que l’une est une réparation obtenue par un acte de la partie lésée, tandis que l’autre est l’œuvre d’un juge. C’est pourquoi il faut que la réparation soit effectuée à titre de punition, car, dans la vengeance, la passion joue son rôle et le droit se trouve ainsi troublé.
De plus, la vengeance n’a pas la forme du droit, mais celle de l’arbitraire, car la partie lésée agit toujours par sentiment ou selon un mobile subjectif. Aussi bien le droit qui prend la forme de la vengeance constituant à son tour une nouvelle offense, n’est senti que comme conduite individuelle et provoque, inexpiablement, à l’infini, de nouvelles vengeances.
Hegel, Propédeutique philosophique (1808).

Dans cette sphère de l’immédiateté du droit, la suppression du crime est sous sa forme punitive vengeance. Selon son contenu, la vengeance est juste, dans la mesure où elle est la loi du talion. Mais, selon sa forme, elle est l’action d’une volonté subjective, qui peut placer son infinité dans toute violation de son droit et qui, par suite, n’est juste que d’une manière contingente, de même que, pour autrui, elle n’est qu’une volonté particulière. Du fait même qu’elle est l’action positive d’une volonté particulière, la vengeance devient une nouvelle violation du droit : par cette contradiction, elle s’engage dans un processus qui se poursuit indéfiniment et se transmet de génération en génération, et cela, sans limite. (…)
Addition : Le châtiment prend toujours la forme de la vengeance dans un état de la société, où n’existent encore ni juges ni lois. La vengeance reste insuffisante, car elle est l’action d’une volonté subjective et, de ce fait, n’est pas conforme à son contenu. Les personnes qui composent un tribunal sont certes encore des personnes, mais leur volonté est la volonté universelle de la loi, et elles ne veulent rien introduire dans la peine, qui ne soit pas dans la nature de la chose. Pour celui qui a été victime d’un crime ou d’un délit, par contre, la violation du droit n’apparaît pas dans ses limites quantitatives et qualitatives, mais elle apparaît comme une violation du droit en général. C’est pourquoi celui qui a été ainsi lésé peut être sans mesure quand il use de représailles, ce qui peut conduire à une nouvelle violation du droit. La vengeance est perpétuelle et sans fin chez les peuples non civilisés.
Hegel, Principes de la philosophie du Droit (1821), § C102.

Des sociétés, qui nous paraissent féroces à certains égards, savent être humaines et bienveillantes quand on les envisage sous un autre aspect. Considérons les Indiens des plaines de l’Amérique du Nord qui sont ici doublement significatifs, parce qu’ils ont pratiqué certaines formes modérées d’anthropophagie, et qu’ils offrent un des rares exemples de peuple primitif doté d’une police organisée. Cette police (qui était aussi un corps de justice) n’aurait jamais conçu que le châtiment du coupable dût se traduire par une rupture des liens sociaux. Si un indigène avait contrevenu aux lois de la tribu, il était puni par la destruction de tous ses biens : tente et chevaux. Mais du même coup, la police contractait une dette à son égard ; il lui incombait d’organiser la réparation collective du dommage dont le coupable avait été, pour son châtiment, la victime. Cette réparation faisait de ce dernier l’obligé du groupe, auquel il devait marquer sa reconnaissance par des cadeaux que la collectivité entière – et la police elle-même – l’aidait à rassembler, ce qui inversait de nouveau les rapports ; et ainsi de suite, jusqu’à ce que, au terme de toute une série de cadeaux et de contre-cadeaux, le désordre antérieur fût progressivement amorti et que l’ordre initial eût été restauré. Non seulement de tels usages sont plus humains que les nôtres, mais ils sont aussi plus cohérents, même en formulant le problème dans les termes de notre moderne psychologie : en bonne logique, l’« infantilisation » du coupable impliquée par la notion de punition exige qu’on lui reconnaisse un droit corrélatif à une gratification, sans laquelle la démarche première perd son efficacité, si même elle n’entraîne pas des résultats inverses de ceux qu’on espérait. Le comble de l’absurdité étant, à notre manière, de traiter simultanément le coupable comme un enfant pour nous autoriser à le punir, et comme un adulte afin de lui refuser la consolation ; et de croire que nous avons accompli un grand progrès spirituel parce que, plutôt que de consommer quelques-uns de nos semblables, nous préférons les mutiler physiquement et moralement.
Claude Lévi-Strauss (1908-2009), Tristes tropiques, chapitre 38 « Un petit verre de rhum » (1955).

Corrigé

1) Hegel distingue la vengeance de la punition non pas immédiatement quant au fond puisqu’il n’y a vengeance que si et seulement s’il y a eu délit ou crime, c’est-à-dire violation du droit d’une victime (Propédeutique, Principes) mais quant à la forme de la sanction. La violation mérite une peine égale qu’exprime la loi du talion (Principes). La vengeance se distingue quant à la valeur du châtiment (Propédeutique, Principes).
Si le châtiment est moins fondé dans la vengeance c’est qu’il est l’acte de la victime (Propédeutique), autrement dit le sentiment et donc l’objectivité de la peine sont douteuses (Propédeutique, Principes).
Hegel en déduit que la punition à proprement parler (Propédeutique) doit être l’œuvre d’un juge qui jugera sans passion, sans partialité et qui prononcera une peine exempte de contestation. Les juges sont certes des personnes, analyse-t-il, mais leur volonté est celle de la loi. Dès lors, le châtiment qu’est la punition ne concerne que le délit ou crime (Principes) alors que le châtiment de la vengeance concerne le droit en général, d’où son caractère disproportionné (Principes).
Hegel en déduit que la vengeance par son caractère subjectif constitue une nouvelle offense qui entraîne à son tour une autre vengeance (Propédeutique) et ceci de façon indéfinie.
Enfin, d’un point de vue culturel, Hegel attribue aux peuples primitifs une forme sociale où n’ayant pas d’institution judiciaire, règne la vengeance et la vendetta indéfinie (Principes). On comprend donc que pour lui l’humanité doit sortir de la primitivité et entrer dans la civilisation pour que la justice soit possible, civilisation qui se définit par l’institution du tribunal.

2) Dans le chapitre 28 de Tristes tropiques, l’anthropologue Claude Lévi-Strauss donne un exemple d’institution judiciaire dans une société primitive. Loin de montrer des « sauvages » se vengeant brutalement contre qui a commis un crime, il nous montre au contraire une police qui juge et exécute la peine de façon à rendre possible la réintégration du coupable dans la société. La peine y est conçue et pratiquée comme une offense envers le criminel qu’il faut réparer. Au terme d’un processus de peine et de réparation, la société amérindienne considérait qu’il y avait retour à l’ordre initial. Ainsi les Indiens des plaines d’Amérique du Nord – modérément anthropophages par ailleurs – entraient bien dans un cycle ou le châtiment appelle réparation et ainsi de suite mais avec cette différence que c’est la justice comme institution qui prenait cet aspect sur elle. En outre, en réintégrant le coupable, cette justice primitive paraît à Lévi-Strauss plus humaine que la nôtre qui mutile physiquement et moralement les criminels en les infantilisant pour les punir et en les considérant comme des adultes pour ne pas les consoler.
Lévi-Strauss nous permet de penser d’une part que l’idée que la vengeance est ce qui règne dans toutes les sociétés primitives est un mythe et d’autre part que notre justice a été notamment sous l’Ancien régime avec ses effroyables supplices, voire actuellement avec la multiplication indéfinie des prisonniers, tout sauf l’exercice impartial du jugement à partir de la loi.
Bref, l’idée que la vengeance règne dans toutes les sociétés primitives est le mythe qui nous permet de ne pas voir les défauts de nos institutions judiciaires.

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