mercredi 6 février 2019

Corrigé : L'homme est-il responsable de tout ce qu'il fait ?

Combien de fois n’a-t-on pas entendu « ce n’est pas de ma faute », « j’étais obligé », voire « c’était les ordres » ? À chaque fois, il s’agit pour l’individu de s’ôter toute responsabilité dans ce qu’il a fait. Cela paraît bien facile. Or, l’homme est-il responsable de tout ce qu’il fait ?
Il est vrai qu’en un sens, c’est une évidence. Si je fais quelque chose, j’en suis responsable. Sinon, ce n’est pas moi qui fais, mais la réalité extérieure ou mes instincts, ma nature, etc.
Toutefois, je ne suis pas seul au monde et dans ce que je fais, il y a aussi d’autres causes que moi, de sorte que je ne suis peut-être pas responsable de tout ce que je fais.
On peut donc se demander s’il est possible de penser que l’homme est responsable de tout ce qu’il fait.
On s’interrogera d’abord sur la possibilité d’une responsabilité limitée, puis sur celle d’une responsabilité totale et enfin sur l’hypothèse de l’inconscient.

Être responsable, c’est être l’auteur, autrement dit le principe de ce qui se produit. Plus précisément, c’est être capable de répondre de ses actes selon l’étymologie. C’est en ce sens d’ailleurs qu’on peut dire de quelqu’un qu’il fait. Ainsi, en toute rigueur, les abeilles ne font pas leur ruche. C’est l’instinct en elle qui produit la ruche comme effet comme Kant l’indique dans la Critique de la faculté de juger. C’est la raison pour laquelle ne peut faire à proprement parler qu’un être responsable, autrement dit libre. Tout le reste est l’effet de cause(s). Est-ce à dire que l’homme en tant qu’être libre est responsable de tout ce qu’il fait ?
Pour cela, il faut que l’homme sache ce qu’il fait. Certes, en tant qu’il est libre, il est bien l’auteur de ce qu’il fait. Mais il y a des actes qu’il commet dont il n’est pas responsable : ce sont les actes involontaires. Il faut entendre par là les actes dont il ne pouvait pas savoir qu’il se produirait lorsqu’il agit. C’est pour cela que juridiquement, s’il est tenu pour responsable, il l’est à un moindre degré que pour les actes volontaires ou préméditées. Et l’inconscience radicale, celle de la folie, écarte toute responsabilité. Ce fut le cas d’Issei Sagawa (né en 1949), qui tua et mangea partiellement une étudiante néerlandaise en 1981 et qui fut reconnu et déclaré irresponsable. Il bénéficia donc d’un non lieu : il n’avait pas commis de crime.
N’en sont pas exclus les actes commis dans un état d’inconscience voulue car justement on les impute à l’individu comme Aristote, dans l’Éthique à Nicomaque, le remarquait. Toutefois, là encore la responsabilité est atténuée par l’ignorance. Un crime commis en état d’ébriété sera moins puni que s’il est commis de façon lucide. Ce qui fait donc la limitation de la responsabilité, c’est donc la connaissance qu’a le sujet qui précède ce qu’il fait.

Il n’en reste pas moins vrai que si on établit des degrés dans la responsabilité, elle paraît pourtant entière. Car, l’absence de réflexion ne suffit pas à enlever la responsabilité de ce qu’on fait. Car justement, la réflexion précède l’action. Durant l’action, elle est impossible. Dès lors, n’y a-t-il pas plutôt une responsabilité totale pour l’homme ?


On peut en effet penser avec Sartre, notamment dans L’existentialisme est un humanisme(1946) que l’homme doit se comprendre comme l’être qui n’a pas de nature. C’est que si on se demande ce qui peut nous permettre de nous définir, il faut partir du cogito, c’est-à-dire du fait que nous pensons. Or, cette pensée ou conscience n’est pas une intériorité : elle est toute entière tournée vers l’action. Aussi faut-il concevoir l’homme comme projet, c’est-à-dire comme un être qui n’est d’abord rien et qui se définit par le projet qu’il est. Et ce projet, ce n’est pas ce qu’il veut faire. C’est, en deçà de la réflexion, ce qu’il vise à être et qu’il montre dans les actes qui sont les siens. Et même celui qui échoue montre par son absence d’action qu’il n’est que rêve avorté.
Dès lors, faire, c’est ce qui résulte du projet qu’on est. Le manque de connaissance appartient lui aussi au faire car il est aussi le résultat d’un choix. Et s’il est vrai que la situation face à laquelle chacun choisit s’impose à l’individu, toujours est-il qu’elle n’impose à personne ce qu’il fait. Ainsi Sartre donne-t-il, dans L’existentialisme est un humanisme, le cas d’un de ses élèves qui hésitait entre s’occuper de sa mère ou entrer dans la Résistance. Cette hésitation montre en quoi il avait le choix.
Aussi la responsabilité de chacun est-elle totale en ce qui concerne ses actes. Tout ce qu’il fait dépend radicalement de lui. C’est lui qui décide. Ni les règles de la morale, ni la nature, ni quelque divinité ne peuvent décider pour lui. Les règles morales, il doit les interpréter et donc choisir car elles sont toujours trop larges. La nature n’est rien d’autre pour l’homme que la situation des choses qui forment la matière de ses actions. Quant à la divinité, c’est l’homme qui doit décider si c’est bien elle qui lui parle. Ainsi Abraham, selon la Bibleou le Coran, a-t-il dû décider que c’était un ange envoyé de Dieu et non le diable qui lui enjoignait de sacrifier son fils légitime malgré la promesse antérieure d’avoir une longue descendance.

Néanmoins, il y a des actes dont le sujet est bien l’auteur mais en lesquels il ne se reconnaît pas du tout. De tels actes semblent manifester en lui la présence de sources non consciences de décision ou de motivations. Dès lors, n’entraînent-elles pas l’impossibilité d’affirmer que le sujet est responsable de tout ce qu’il fait ?


Freud a présenté de nombreux cas de sujets qui ignorent pourquoi ils agissent comme ils le font. Par exemple, dans le chapitre 17 de l’Introduction à la psychanalyse, il présente le cas d’une femme d’une trentaine d’année qui court chez elle de son salon à sa chambre et inversement, qui ordonne quelque chose à sa servante, et qui repart en courant. Or, elle court malgré sa volonté. C’est bien elle qui le fait, sans quoi elle ne s’interrogerait pas sur l’acte lui-même, mais elle n’est nullement responsable de ce qu’elle fait. En effet, elle ignore les raisons de son acte. On peut illustrer ainsi l’idée d’inconscient, c’est-à-dire le fait qu’il y ait en nous des motifs d’actions qui échappent à notre conscience. N’est-ce pas un cas de maladie qui n’a rien à voir avec l’action normale ?
Nullement. Dans certains actes de la vie quotidienne que Freud a explorés, se manifeste le même processus. C’est ce qui montre que nous ne sommes pas toujours responsables de ce que nous faisons. Il s’agit des actes manqués. Ainsi de ce chimiste allemand dont Freud rappelle qu’il oublia de se rendre à son mariage et alla à son laboratoire dans le chapitre 3 de son Introduction à la psychanalyse. En réalité, le motif qui a été assez fort pour qu’il oublie l’inoubliable n’apparaissait pas à sa conscience. Aussi est-il bien l’auteur de son acte mais sans en être responsable. On ne peut dire de ce chimiste qu’il avait le projet de ne pas se marier mais qu’il refusait d’en être conscient puisque justement qui dit mariage, dit préparatifs et donc conscience.
On peut donc dire que le sujet n’a pas immédiatement accès au contenu de ce qui le constitue. Le moi « n’est seulement pas maître dans sa propre maison » écrit Freud dans le chapitre 18 de l’Introduction à la psychanalyse. Aussi croit-il agir pour des motifs qui ne sont pas les siens ou agit-il pour des motifs qui lui sont inconnus. Mais c’est bien lui qui fait puisque justement le moi ne s’identifie pas à la conscience. Il ne peut donc répondre de tout ce qu’il fait.


En bref, le problème était de savoir s’il est possible de penser que l’homme est responsable de tout ce qu’il fait. On a pu voir que la connaissance, son absence volontaire ou non, fait varier la responsabilité. Mais ce qui est valable ainsi sur le plan juridique ne l’est pas sur le plan métaphysique. Si l’homme est choix, il est responsable de tout ce qu’il fait. Mais comme l’homme est surpris par certains de ces actes, il faut penser qu’ils sont siens sans qu’il en soit responsable. Aussi avons-nous vu que l’homme n’est pas totalement maître de ce qu’il est, ce que signifie l’hypothèse de l’inconscient. C’est en ce sens qu’il ne peut répondre de tous ses actes, donc ne peut être responsable de tout ce qu’il fait.


20 commentaires:

  1. Superbe, mais l'ouverture du sujet à la fin de la conclusion ni figure pas !

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  2. Puis je savoir quel est le problème de ce sujet depuis là je n'arrive pas à le cerner ??

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