Sujet
Résumez le texte suivant en 120 mots (plus ou moins 10%). Vous indiquerez les sous totaux de 20 en 20 (20, 40, …) par un trait vertical et par le chiffre correspondant dans la marge. Vous indiquerez obligatoirement votre total exact à la fin de votre résumé.
Le désir de chair, si vif, si tôt oublié, si aisé aussi à satisfaire, peut bien donner lieu à une sorte de passion ; c’est à voir ; mais cette passion n’est pas l’amour. Quant au désir louable de fonder une heureuse famille, il est à peu près ici ce qu’est le désir de gagner pour le joueur. Je décris maintenant une espèce de folie qui ressemble au jeu par certains côtés, mais qui ressemble surtout à l’ambition. L’erreur la plus grave serait de vouloir expliquer l’amour par les désirs animaux. L’acte de chair n’y est désiré que comme une preuve de puissance sur un autre être, mais libre, raisonnable, fier. Personne n’aimera une folle ; aucun amant ne songera seulement à violence ou surprise. Je la veux sage et inaccessible, si ce n’est pour moi, et encore de bon vouloir et même avec bonheur. Rien ne plaît mieux que les signes de la vertu et du jugement, chez une femme jeune et belle. J’ai cru observer que la jalousie vient principalement de ce que l’on croit reconnaître des désirs, de la faiblesse ou de la dépendance chez celle que l’on voudrait reine ; cette idée n’entre pas dans le poème. Et l’amour est un poème, quelque chose que l’on fait, que l’on compose, que l’on veut.
Non pourtant quelque chose de libre ; car on aimerait alors ce qui est aimable, au lieu de maudire et d’adorer en même temps, comme il arrive à chacun. L’idée fataliste règne encore ici, mais sans doute mieux et plus intimement adorée que dans les autres passions. Car tout se passe dans l’univers humain, où des signes sont toujours échangés, par les moindres mouvements, sans qu’on y pense. Aussi dès que l’on réfléchit sur un présage bien clair, comme des yeux riants ou sérieux, un son de voix ou seulement un silence, les souvenirs viennent en foule, et l’avenir est annoncé. Ces pressentiments tromperaient souvent, si la curiosité ne ramenait du côté de l’oracle ; ainsi, par l’idée de savoir si la prédiction est bonne, la prédiction est vérifiée. Cet événement fait éclater de nouveaux signes. Et ce qui fait voir que l’interprétation des signes est la vraie nourriture de l’amour, c’est que l’amour se fortifie par les obstacles.
Par l’attente encore plus. Nous ne sommes guère attentifs à ces mouvements de notre corps, si émouvants à sentir déjà quand les causes sont de peu. L’attente seule, qui paralyse un mouvement par l’autre, et nous occupe à ces événements musculaires, cause souvent l’impatience et même la colère, si la pensée n’est pas occupée d’autre chose. Mais l’attente d’une action un peu difficile, et que l’on commence cent fois, peut donner une espèce de courte maladie, comme savent les candidats, les orateurs, les acteurs, les musiciens. Encore prennent-ils la chose comme un mal inévitable, sans conséquence et comme étranger. Mais il n’en est plus ainsi dans l’attente de celle qu’on aime. Car le temps se passe à s’interroger soi-même ; ainsi le tumulte de l’attente entre dans les pensées ; et la question : « Viendra-t-elle ? » ne se distingue pas de cette autre : « M’aimera-t-elle assez ? » Les auteurs ont décrit plus d’une fois le roulement de voiture et le coup de sonnette. Par le mécanisme du corps, n’importe quel bruit, surtout attendu et inattendu, nous trouble jusqu’aux sources de la vie ; oui, même un chien qui aboie ; seulement l’on n’y pense que pour en rire. Mais dès que ces émotions sont des signes de soi à soi, l’avenir se trouve décidé. Tout est mirage, tout concourt à tromper l’amoureux qui s’interroge ; car l’attente fait qu’il doute s’il est aimé ; mais l’attente fait aussi qu’il ne doute plus s’il aime, quoiqu’il n’ait pas délibéré là-dessus.
Je ne crois pas qu’il y ait de femme assez rusée pour faire attendre ainsi l’amoureux de propos délibéré. Au reste l’amoureux attend bientôt avant l’heure et toujours. Toute passion enferme un ennui royal des autres choses ; royal, j’entends par décret. Mais les manœuvres de coquetterie, presque toujours innocentes, font des attentes à chaque instant, surtout dans la vie de société où la politesse exige beaucoup, et l’éducation qu’on donne aux filles, et non sans raison, exige encore plus. Je ne sais pas trop comment aiment les femmes, et le dise qui pourra ; j’ose à peine dire que l’instinct de chair a des mouvements plus imprévus que chez l’homme et qui s’irradient mieux ; il y aurait attente là aussi, et mêlée de peur ; ainsi elles sont portées à dissimuler davantage, parce qu’elles n’éprouvent pas toujours à propos. J’ai pu remarquer que les hommes qui ont un peu de cette pudeur naturelle, et quelque crainte de l’amour, sont aussi plus aimés. Les signes alors se font attendre, et étonnent comme des éclairs ; au lieu que la coquetterie vulgaire et étudiée, qui jette les signes comme un bavardage, décourage les passions. Le malheur veut qu’une femme attachée à ses devoirs et qui lutte contre elle-même, soit la plus dangereuse des coquettes par cela seul. Ainsi il n’y a que les drames bien noirs qui se nouent. Le tragique n’est pas tant dans les massacres qui peuvent en résulter, que dans ce jugement fataliste, qui prévoit si bien une longue suite de malheurs et qui les annonce et qui s’y jette. Œdipe, le devin et les dieux, ensemble dans le même homme, voilà un assez beau masque tragique.
Alain, Éléments de philosophie, livre V Des passions, chapitre 3 De l’amour, 1940.
Corrigé
1) Analyse et remarques sur le texte.
Alain commence par distinguer le désir sexuel de l’amour tout en doutant que le premier puisse vraiment donner lieu à une passion. On comprend que pour lui l’amour est passion. Il fait une analogie entre le désir de fonder une famille et l’amour d’une part et le gain et le jeu d’autre part qui vise à exclure cet objectif (Schopenhauer avait développé l’idée que derrière la passion de l’amour, il n’y a qu’un moyen pour la nature de réaliser la reproduction entre certains êtres choisis par elle dans la « Métaphysique de l’amour » qui est le chapitre XLIV des Suppléments au livre IV du Monde comme volonté et représentationajoutés dans l’édition de 1844). Alain annonce qu’il va décrire l’amour comme une sorte de folie (la suite montre qu’il s’agit d’un terme dépréciatif). Il présente deux passions qui ressemblent à l’amour : le jeu et l’ambition. Le rôle du sexe est selon lui dans le sentiment de puissance. Cette puissance ne peut s’exercer que sur une femme libre, doué de raison. Il en déduit d’une part qu’on ne peut aimer une folle et d’autre part que le viol est exclu dans l’amour. Autre conséquence : c’est la femme vertueuse qui suscite l’amour. Il s’appuie sur ses observations pour analyser la jalousie comme tenant au fait que la femme est soupçonnée de ne pas être un modèle de vertu. Il définit alors l’amour comme un poème au sens étymologique (cf. Platon, Banquet, 205c).
Il exclut que la personne aimée le soit librement. La preuve qu’il avance est qu’on aimerait automatiquement ce qui est aimable, ce qui ne se produit pas, alors qu’on adore ou maudit en même temps l’être aimé. Aussi met-il l’amour sous le signe de l’idée fataliste qu’il attribue à toutes les passions mais qui se manifeste encore plus dans l’amour. On comprend d’après le contexte qu’il s’agit de considérer que l’avenir est déterminé, écrit en quelque sorte. Alain donne comme explication que l’univers humain est celui des signes, même involontaires, aussi la moindre manifestation donne au sujet une idée de l’avenir. Ce qui va faire l’avenir, c’est que le pressentiment donne lieu à une annonce de l’avenir qui conduit à sa réalisation. Cette dernière fait signe. L’amour vit de signes. La preuve selon Alain, il a besoin d’obstacles.
Après les obstacles, Alain met en lumière le rôle de l’attente dans la fabrication de l’amour. Elle produit des effets physiologiques et des sentiments. Mais dans l’amour, elle produit un plus grand effet. Car l’attente de la femme aimée implique de se fixer sur elle et non sur une tâche autre : les effets de l’attente sont psychologiques. Alain renvoie aux descriptions romanesques de l’attente. La spécificité est que l’événement qui trouble dans l’attente devient un signe de soi à soi, c’est-à-dire qu’il renvoie à l’amour de l’amoureux. L’attente implique l’incertitude sur le fait d’être aimé, mais il produit la certitude de l’amour – certitude fabriquée par l’amoureux qui est donc la dupe de sa création de façon involontaire.
Alain récuse que l’attente soit une ruse féminine. Il soutient par contre qu’elle une création masculine. La raison en est que la coquetterie produit de l’attente de même que tout ce qui est civilisation. Alain tente une description hypothétique de l’amour féminin en qui la chair aurait plus d’impulsion. Aussi les hommes pudiques sont plus aimés. À l’inverse, la femme fidèle est d’autant plus séduisante. Il peut alors définir l’amour par la tragédie. Le tragique de l’amour est exprimé par l’idée qu’Œdipe le devin et les dieux se trouvent dans une même personne, celle de l’amoureux : c’est en cela qu’on fait l’amour.
2) Proposition de résumé.
L’amour ne vient ni du sexe ni ne tend au mariage. Le sexe en cette passion manifeste la puissance [20], mais uniquement sur une femme libre, voire vertueuse. Aussi la jalousie vient de l’idée que la femme manque de [40] vertu. L’amour est donc fait par l’amoureux.
Or l’amour n’est pas libre, sinon, d’où proviendrait [60] le mécontentement de soi ? L’amour cherche la fatalité. Les signes de l’avenir conduisent à sa réalisation. D’où [80] l’importance de l’obstacle, et de l’attente dont les effets physiologiques refluent sur l’amoureux. Sa pensée doute [100] de la femme aimée mais non de son état. L’amoureux naît de son attente. La femme semble aimer plus [120] physiquement. Enfin, l’amour est une tragédie en l’amoureux même.
131 mots
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