jeudi 5 novembre 2015

Descartes, Les passions de l'âme - analyse de l'article.1

Texte.
Art. 1. Que ce qui est passion au regard d’un sujet est toujours action à quelque autre égard.
Il n’y a rien en quoi paraisse mieux combien les sciences que nous avons des anciens sont défectueuses qu’en ce qu’ils ont écrit des passions. Car, bien que ce soit une matière dont la connaissance a toujours été fort recherchée, et qu’elle ne semble pas être des plus difficiles, à cause que chacun les sentant en soi-même on n’a point besoin d’emprunter d’ailleurs aucune observation pour en découvrir la nature, toutefois ce que les anciens en ont enseigné est si peu de chose, et pour la plupart si peu croyable, que je ne puis avoir (328) aucune espérance d’approcher de la vérité qu’en m’éloignant des chemins qu’ils ont suivis. C’est pourquoi je serai obligé d’écrire ici en même façon que si je traitais d’une matière que jamais personne avant moi n’eût touchée. Et pour commencer, je considère que tout ce qui se fait ou qui arrive de nouveau est généralement appelé par les philosophes une passion au regard du sujet auquel il arrive, et une action au regard de celui qui fait qu’il arrive. En sorte que, bien que l’agent et le patient soient souvent fort différents, l’action et la passion ne laissent pas d’être toujours une même chose qui a ces deux noms, à raison des deux divers sujets auxquels on la peut rapporter.
Descartes, Les passions de l’âme, première partie (1649).

Analyse.
Dans ce premier article des Passions de l’âme Descartes rejette toute la tradition, ce qui justifie qu’il propose un nouveau commencement.
Le thème des passions à lui seul montre selon Descartes l’insuffisance de la science des anciens. Il explique que la connaissance des passions a toujours été recherchée et que cette connaissance ne paraît pas difficile à raison de leur proximité qui permet à chacun d’en faire l’expérience. Cette double condition aurait dû permettre au contraire aux anciens de découvrir la vérité. Il n’en est rien selon lui.
Ce que les anciens en ont proposé présente à ses yeux deux défauts, à savoir d’être peu de choses et d’être peu croyables. C’est le deuxième défaut qui est le plus important en ce qu’il justifie qu’il en déduise que le plus sûr moyen de découvrir la vérité sur le thème des passions est de s’éloigner des chemins que les anciens ont pris. On peut remarquer qu’il ne dit ni ce qu’est ce peu qu’ils ont découvert, ni ce qu’il y a d’incroyable dans leur proposition, ni quels chemins ils ont pris. Il en déduit également qu’il écrira comme si personne n’avait rien écrit sur le sujet. Recommencer tout de nouveau est un geste que Descartes répète pour les passions après l’avoir tenté en métaphysique (cf. Discours de la méthode, quatrième partie ; Méditations métaphysiques, première méditation et Principes de la philosophie, art.1).
Il prend un premier principe chez les philosophes, celui de l’identité de l’action et de la passion dont la différence n’est que dans le sujet, la passion dans celui qui subit, l’action dans l’agent qui effectue.
Il est clair que la démarche paraît contradictoire : comment emprunter à des philosophes à qui il reproche de n’avoir rien trouvé sur les passions un principe ?
Mais la généralité du principe alliée à sa simplicité, puisque rien n’est dit de ce que sont les sujets qui agissent ou pâtissent, font dudit principe une sorte de donnée première de la réflexion qui n’emprunte rien aux théories anciennes des passions.





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