Texte.
Art. 1. Que ce qui est passion au regard d’un sujet
est toujours action à quelque autre égard.
Il
n’y a rien en quoi paraisse mieux combien les sciences que nous avons des
anciens sont défectueuses qu’en ce qu’ils ont écrit des passions. Car, bien que
ce soit une matière dont la connaissance a toujours été fort recherchée, et
qu’elle ne semble pas être des plus difficiles, à cause que chacun les sentant
en soi-même on n’a point besoin d’emprunter d’ailleurs aucune observation pour
en découvrir la nature, toutefois ce que les anciens en ont enseigné est si peu
de chose, et pour la plupart si peu croyable, que je ne puis avoir (328) aucune
espérance d’approcher de la vérité qu’en m’éloignant des chemins qu’ils ont
suivis. C’est pourquoi je serai obligé d’écrire ici en même façon que si je
traitais d’une matière que jamais personne avant moi n’eût touchée. Et pour
commencer, je considère que tout ce qui se fait ou qui arrive de nouveau est généralement
appelé par les philosophes une passion au regard du sujet auquel il arrive, et
une action au regard de celui qui fait qu’il arrive. En sorte que, bien que
l’agent et le patient soient souvent fort différents, l’action et la passion ne
laissent pas d’être toujours une même chose qui a ces deux noms, à raison des
deux divers sujets auxquels on la peut rapporter.
Descartes,
Les passions de l’âme, première
partie (1649).
Analyse.
Dans
ce premier article des Passions de l’âme
Descartes rejette toute la tradition, ce qui justifie qu’il propose un nouveau
commencement.
Le
thème des passions à lui seul montre selon Descartes l’insuffisance de la
science des anciens. Il explique que la connaissance des passions a toujours
été recherchée et que cette connaissance ne paraît pas difficile à raison de
leur proximité qui permet à chacun d’en faire l’expérience. Cette double
condition aurait dû permettre au contraire aux anciens de découvrir la vérité. Il
n’en est rien selon lui.
Ce
que les anciens en ont proposé présente à ses yeux deux défauts, à savoir d’être
peu de choses et d’être peu croyables. C’est le deuxième défaut qui est le plus
important en ce qu’il justifie qu’il en déduise que le plus sûr moyen de
découvrir la vérité sur le thème des passions est de s’éloigner des chemins que
les anciens ont pris. On peut remarquer qu’il ne dit ni ce qu’est ce peu qu’ils
ont découvert, ni ce qu’il y a d’incroyable dans leur proposition, ni quels
chemins ils ont pris. Il en déduit également qu’il écrira comme si personne n’avait
rien écrit sur le sujet. Recommencer tout de nouveau est un geste que Descartes
répète pour les passions après l’avoir tenté en métaphysique (cf. Discours de la méthode, quatrième partie ;
Méditations métaphysiques, première
méditation et Principes de la philosophie,
art.1).
Il
prend un premier principe chez les philosophes, celui de l’identité de l’action
et de la passion dont la différence n’est que dans le sujet, la passion dans
celui qui subit, l’action dans l’agent qui effectue.
Il
est clair que la démarche paraît contradictoire : comment emprunter à des
philosophes à qui il reproche de n’avoir rien trouvé sur les passions un
principe ?
Mais
la généralité du principe alliée à sa simplicité, puisque rien n’est dit de ce
que sont les sujets qui agissent ou pâtissent, font dudit principe une sorte de
donnée première de la réflexion qui n’emprunte rien aux théories anciennes des
passions.
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