Texte.
Art.
7. Brève explication des parties du
corps, et de quelques-unes de ses fonctions.
Pour
rendre cela plus intelligible, j’expliquerai ici en peu de mots toute la façon
dont la machine de notre corps est composée. Il n’y a personne qui ne sache
déjà qu’il y a en nous un cœur, un cerveau, un estomac, des muscles, des nerfs,
des artères, des veines, et choses semblables. On sait aussi que les viandes
qu’on mange descendent dans l’estomac et dans les boyaux, d’où leur suc,
coulant dans le foie et dans toutes les veines, se mêle avec le sang qu’elles
contiennent, et par ce moyen en augmente la quantité. Ceux qui ont tant soit
peu ouï parler de la médecine savent, outre cela, comment le cœur est composé
et comment tout le sang des veines peut facilement couler de la veine cave en
son côté droit, et de là passer dans le poumon par le vaisseau qu’on nomme la
veine artérieuse, puis retourner du poumon dans le côté gauche du cœur par le
vaisseau nommé l’artère veineuse, et enfin passer de là dans la (332) grande
artère, dont les branches se répandent par tout le corps. Même tous ceux que
l’autorité des anciens n’a point entièrement aveuglés, et qui ont voulu ouvrir
les yeux pour examiner l’opinion d’Hervaeus touchant la circulation du sang, ne
doutent point que toutes les veines et les artères du corps ne soient comme des
ruisseaux par où le sang coule sans cesse fort promptement, en prenant son
cours de la cavité droite du cœur par la veine artérieuse, dont les branches
sont éparses en tout le poumon et jointes à celles de l’artère veineuse, par
laquelle il passe du poumon dans le côté gauche du cœur ; puis de là il va
dans la grande artère, dont les branches, éparses par tout le reste du corps,
sont jointes aux branches de la veine cave, qui portent derechef le même sang
en la cavité droite du cœur ; en sorte que ces deux cavités sont comme des
écluses par chacune desquelles passe tout le sang à chaque tour qu’il fait dans
le corps. De plus, on sait que tous les mouvements des membres dépendent des
muscles, et que ces muscles sont opposés les uns aux autres, en telle sorte
que, lorsque l’un d’eux s’accourcit, il tire vers soi la partie du corps à
laquelle il est attaché, ce qui fait allonger au même temps le muscle qui lui
est opposé ; puis, s’il arrive en un autre temps que ce dernier
s’accourcisse, il fait que le premier se rallonge, et il retire vers soi la
partie à laquelle ils sont attachés. Enfin on sait que tous ces mouvements des
muscles, comme aussi tous les sens, dépendent des nerfs, qui sont comme de
petits filets ou comme de petits tuyaux qui viennent tous du cerveau, et contiennent
ainsi que lui un certain air ou vent très subtil qu’on nomme les esprits
animaux. (333)
Descartes,
Les passions de l’âme, première
partie (1649).
Analyse.
De
l’article 7 à l’article 16, Descartes fait un exposé de physiologie.
Cet
article propose une explication que nous appellerions biologique mais qui pour
Descartes appartient à la physique dans la mesure où ces sortes de machines ou
plutôt d’automates que sont les vivants s’expliquent physiquement pour
Descartes.
Notre
corps est nommé directement nommé « machine » de sorte qu’il faut
prendre la machine non comme un modèle mais comme l’essence même du corps
vivant.
Descartes
énumère d’abord certaines parties du corps : « un cœur, un cerveau,
un estomac, des muscles, des nerfs, des artères, des veines, et choses
semblables ».
Il
explique ensuite la nutrition. Les nourritures qui vont dans l’estomac se
mêlent au sang.
Il
décrit ensuite la circulation du sang à partir du corps s’appuyant sur ce que
ses lecteurs ont pu entendre de la médecine, ciblant en priorité ceux qui ne
sont pas obnubilés par les préjugés des anciens et qui connaissent les thèses de
son contemporain William Harvey (1578-1657). Descartes décrit une seconde fois
la circulation, le rôle des artères et des veines et comment tout le corps est
ainsi concerné.
Il
passe ensuite à une description du mouvement des muscles dans leur opposition.
Enfin,
il présente le rôle des nerfs qui viennent du cerveau et dans lesquels
circulent les esprits animaux qu’il définit « un certain air ou vent très
subtil », bref, quelque chose d’inobservable. On est assez loin dans le
détail de la conception actuelle des nerfs. Les linéaments du réflexe ne sont
peut-être même pas présents comme Georges Canguilhem (1904-1995) a essayé de le
montrer dans La formation du concept de
réflexe au XVII° et au XVIII° siècles (1955).
Le
style de l’explication est strictement mécanique, autrement dit tout se passe
par mouvement qui implique le contact et sans que soient invoquées des âmes,
entéléchies ou des intentions.
Le
corps se présente ainsi avec une certaine indépendance par rapport aux autres
corps même s’il est impossible de créditer Descartes de l’invention de la
notion de milieu intérieur dont se prévaudra Claude Bernard (1813-1878).
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