Texte.
Art. 6. Quelle différence il y a entre un corps
vivant et un corps mort.
Afin
donc que nous évitions cette erreur, considérons que la mort n’arrive jamais
par la faute de l’âme, mais seulement parce que quelqu’une des principales
parties du corps se corrompt ; et jugeons que le corps d’un homme vivant
diffère autant de celui d’un homme (331) mort que fait une montre, ou autre
automate (c’est-à-dire autre machine qui se meut de soi-même), lorsqu’elle est
montée et qu’elle a en soi le principe corporel des mouvements pour lesquels
elle est instituée, avec tout ce qui est requis pour son action, et la même
montre ou autre machine, lorsqu’elle est rompue et que le principe de son
mouvement cesse d’agir.
Descartes,
Les passions de l’âme, première
partie (1649).
Analyse.
L’objet
de cet article est de corriger l’erreur qui consiste à conclure du cadavre à
certaines fonctions attribuées à l’âme alors qu’il faut les attribuer au corps
selon Descartes, erreur corrigée à l’article 5. Il s’agit de montrer
positivement comment on peut l’éviter. Ce n’est pas l’observation, c’est un
principe de méthode ou plutôt un “modèle” qui va rendre possible ce
déplacement.
La
mort n’est pas un événement qui aurait l’âme pour source selon Descartes, encore
moins un événement qui surviendrait à l’âme de sorte qu’elle disparaisse, c’est
une corruption du corps ou tout au moins d’une de ses parties principales. Autrement
dit, les parties qui ne le sont pas peuvent se corrompre sans qu’il y ait mort.
Il y a là un principe expérimental pour distinguer
Pour
expliquer sa conception, Descartes compare le corps mort à une montre défectueuse,
généralisant sa comparaison à tous les automates qu’il définit des machines qui
se meuvent d’elles-mêmes. On voit en quoi il transfère la conception platonicienne
de l’âme comme principe automoteur (Phèdre,
245c ; Les Lois, 896a) à
certains dispositifs matériels. Il compare alors le corps vivant à une montre
dont le mécanisme fonctionne et le corps mort à une montre au mécanisme radicalement
détérioré.
La
comparaison avec l’automate permet donc d’attribuer au corps des fonctions qu’on
attribuait à l’âme dans la philosophie antique – si on fait abstraction des
matérialistes, Démocrite, puis Épicure et ses disciples comme Lucrèce.
Un
pas de plus consistera à ramener les fonctions de l’âme elle-même à des
dispositifs matériels plus sophistiqués, ceux justement que la technique
humaine peut produire. Alors l’âme passera pour le « fantôme dans la
machine » (cf. Gilbert Ryle, La
notion d’esprit).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire