Texte.
Art.
5. Que c’est erreur de croire que l’âme
donne le mouvement et la chaleur au corps.
Au
moyen de quoi nous éviterons une erreur très considérable en laquelle plusieurs
sont tombés, en sorte que j’estime qu’elle est la première cause qui a empêché
qu’on n’ait pu bien expliquer jusques ici les passions et les autres choses qui
appartiennent à l’âme. Elle consiste en ce que, voyant que tous les corps morts
sont privés de chaleur et ensuite de mouvement, on s’est imaginé que c’était
l’absence de l’âme qui faisait cesser ces mouvements et cette chaleur. Et ainsi
on a cru sans raison que notre chaleur naturelle et tous les mouvements de nos
corps dépendent de l’âme, au lieu qu’on devait penser au contraire que l’âme ne
s’absente, lorsqu’on meurt, qu’à cause que cette chaleur cesse, et que les
organes qui servent à mouvoir le corps se corrompent.
Descartes,
Les passions de l’âme, première
partie (1649).
Analyse.
Après
avoir séparé la chaleur et le mouvement comme fonctions du corps des seules
pensées comme fonctions de l’âme – la suite (art.17 et sq.) montrera une
division des pensées entre volontés et pensées ou actions et passions –
Descartes analyse l’erreur qui consiste à attribuer le mouvement et la chaleur à
l’âme.
L’importance
de cette erreur est qu’elle empêche une connaissance des passions de l’âme.
Descartes ne précise pas ici en quoi l’erreur pose problème. On peut néanmoins
rapidement esquisser une solution. Si les passions de l’âme proviennent de
mouvements du corps, alors ce n’est pas en l’âme que se trouvent leurs sources.
S’éliminent ainsi la culpabilité, voire une explication physiologique de ces
passions que sont le remords et le repentir devient possible. Alain, dans ses Propos sur le bonheur (VI Des passions,
propos du 9 mai 1911), montre l’importance de cette analyse de Descartes pour
se débarrasser du mécanisme de culpabilisation et de la torture mentale que
constituent les passions. En outre, la maîtrise des passions ne pourra qu’être
indirecte. Autrement dit, la morale repose bien sur une connaissance physique
comme l’image de l’arbre de la philosophie l’avait indiqué (cf. Descartes, Lettre-préface aux Principes de la
philosophie).
La
source de l’erreur, c’est la mauvaise analyse du cadavre. On trouve en effet
dans Les parties des animaux d’Aristote
une analyse voisine de l’erreur qu’expose Descartes qui consiste à mettre en
lumière que l’âme est une forme en un sens non matériel, contrairement à ce que
soutenait Démocrite. En effet, le cadavre n’ayant ni chaleur, ni mouvement, on
attribue leurs présences à l’âme.
Descartes
renverse la relation entre la chaleur, le mouvement et l’âme. C’est la
cessation de la chaleur et du mouvement qui fait le départ de l’âme. La mort n’est
donc pas un événement métaphysique, mais un fait physique.
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